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La genèse du système représentatif a un caractère de classe très précis

dimanche 24 février 2019 par Pierre Zarka

Je vais tenter de montrer que la genèse du système représentatif a un caractère de classe très précis. D’ailleurs la notion de « démocratie représentative » n’existe pas à l’origine ni durant les années soixante, elle nous vient de Mitterrand en 80-81. La conception courante de la politique en découle.

La structure étatique est conçue comme un organisme spécialisé rendant possible d’assembler les diverses composantes d’un peuple en les mettant en extériorité des processus de cet assemblage, donc en les dépossédant et en les dominant. Ainsi notre premier point commun identitaire nous est donné du haut d’un système vertical. On évoque ainsi les politiques publiques comme un synonyme de l’État.

Le mot « public » est abusivement assimilé à l’État. Pourtant, il suffit de parler d’opinion publique pour mesurer à quel point il n’y a pas de synonymie entre public et État. L’État se substitue régulièrement au collectif.

Contrairement aux images construites par les vainqueurs -comme toujours- les acteurs de Thermidor qui allèrent du Directoire en 1794 à Napoléon n’eurent de cesse de contenir le peuple en dehors des possibilités d’interventions.

Écoutons Joseph Sièyès, pilier du Tiers État déclare durant les séances de la Convention : « le peuple ne peut parler par lui-même parce qu’il n’a pas d’existence politique propre, il ne peut parler que par ses représentants ».

Écoutons Boissy d’Anglas en 1794 [1] : La Constitution de 1793 organise l’anarchie parce que « le pouvoir est trop faible et que les assemblées primaires [de quartiers] livrées au suffrage universel, sont une des principales sources d’anarchie parce qu’elles y concentrent un pouvoir important et que le peuple y est constamment délibérant (…) seuls les meilleurs [éthymologiquement une aristocratie] sont aptes à gouverner. Ceux qui possèdent une propriété sont attachés aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois… »

Ainsi le peuple est souverain mais dans la mesure où tout se fait en son nom et sans lui : selon Cabanis « le vrai système représentatif où tout se fait au nom du peuple et pour le peuple ; rien ne se fait directement par lui ; il est la source sacrée de tous les pouvoirs mais il n’en exerce aucun… le peuple est souverain mais tous les pouvoirs dont sa souveraineté se compose sont délégués… ».

Ce qui faisait dire au Jacobin Pétion que selon eux, on était citoyen juste le temps de désigner à qui on doit obéir ensuite. Pour tous les Thermidoriens, il est grand temps que « la Révolution s’arrête ». Pour saisir le sens profond de qui doit être force de pouvoir, il faut savoir qu’en 1795, le gouvernement a abolit une loi de 1793 qui interdisait la création des société financières.

A la différence de 1793 et de 1848, l’innovation de la, 3ème République, a été de dissocier République et Révolution, faisant de la conflictualité une anomalie, renvoyant le rôle politique du peuple aux seules élections [2]. Et ce, suffisamment durablement pour que l’association République-Révolution paraisse aujourd’hui incongrue. Toute autre forme d’accès à la politique n’étant que de l’ordre d’un droit strictement individuel à avoir ses opinions.

Contrairement à ce qu’avaient exprimé les révolutionnaires de la Commune et ceux de Février 1848 et après l’échec de ces mouvements, la sphère du travail est isolée du politique. On oublie trop vite que Thiers et Mac-Mahon qui participent activement à la fondation de la Troisième République étaient des monarchistes.

A ses pairs qui s’étonnent qu’il s’engage sur la voie du suffrage universel masculin, Thiers rétorque : « outre que la demande est trop forte, 1830… 1848… 1871… n’en avez-vous pas assez d’être pris par surprise ? Le droit de vote sera le moyen de prendre régulièrement le pouls des classes dangereuses… ». Il poursuit en précisant que c’est aussi le moyen de dissocier les « élites républicaines » de ces « classes dangereuses ». Il inscrit ainsi dans la durée, la dissociation entre mouvements sociaux et espace institutionnel.

Cette dissociation entre social et action politique va perdurer : en 1968, le mouvement impose la reconnaissance de l’action syndicale dans l’entreprise, mais évacue l’activité politique. Ce qui équivaut à intégrer comme normalité qu’on ne peut être citoyen et travailleur en même temps. Et cette normalité s’impose encore aujourd’hui au mouvement démocratique. C’est dire combien la conception de la politique dominante a un contenu de classe précis.

Après 1871, le regard porté par le mouvement ouvrier sur l’échec de l’insurrection a poussé à un parlementarisme et à un étatisme qui ont finalement dominé lors de la constitution de la Seconde Internationale et la Troisième. Depuis 1871 c’est sur fond de défaite du mouvement ouvrier que la normalité politique se développe. Elle fait de l’étatisation de la politique l’évidence qui va servir de colonne vertébrale à la suite.

Héritant de la crainte de l’échec, une part majeure du mouvement ouvrier tend à réduire l’antagonisme avec le Capital à la seule redistribution des richesses, en limitant la question du pouvoir à comment « le prendre », et sans vraiment aborder d’autres formes de pouvoir possibles. Pourtant Marx trouvait qu’un des intérêts de la Commune était de ne pas avoir cherché à prendre le pouvoir d’État tel qu’il est mais d’avoir exploré d’autres conceptions, à savoir comment le peuple à travers sa participation à des comités pouvait lui-même se transformer en lieu et donc en force de pouvoir. [3]

Ainsi nous héritons de la République sans la démocratie. Toute la conception de la politique en découle. Les Partis s’inscrivent dans cette normalité. Le but étant « la prise du pouvoir d’État » (même de la part de ceux qui parlent de le rendre au peuple…ensuite) ils reproduisent cette conception délégataire.

Ainsi, il me paraît nécessaire de revoir non seulement nos démarches mais aussi nos outils d’analyse à partir du point de vue de la foule. Cela ne veut pas dire que tout ce qui vient d’elle serait bon à prendre mais que les transformations révolutionnaires de la société ne se produiront pas à partir de concepts et de programmes bien rangés mais à partir des confrontations que le caractère inévitablement chaotique de tels mouvements rend indispensables et possibles.

Bonnets Rouges, Climat, Mouvement des femmes, marches de chômeurs, Gilets Jaunes… autant de mouvements sans leaders, sans répondre à l’appel d’une ou d’organisations précises… Autant de mouvements qui surgissent, non pas de nulle part mais d’ailleurs que dans le cadre des structures lui préexistant. C’est l’expression du refus des « interprètes » qui finissent par parler (et penser) au nom des intéressés mais aussi et surtout à leur place. C’est déjà un acte profondément politique. A ce stade je penserai utile d’avoir une séance sur « conception de l’organisation ».

C’est dans ce cadre que peut devenir pertinente la question du fait électoral ?

Que devient-il si l’on refuse toute délégation de pouvoir et toute indépendance des élus ?

Ce que nous avons abordé comme système politique soumis à l’État et profondément délégataire a fait faire l’expérience douloureuse d’être continuellement floués par les élections. On peut espérer que ce soit parce qu’on a toujours élu les mauvais et pas encore les bons mais l’expérience mondiale fait dire que soit on n’a vraiment pas de chance, soit que c’est définitivement l’échec soit… que ce type d’élections ne débouchera jamais sur autre chose mais que cela ne supprime pas pour autant le vote.

Si agir devient consciemment la volonté de prendre du pouvoir sur celui des capitalistes ou de l’État, les échéances électorales ne seraient plus de l’ordre de la délégation mais de matérialiser (dans un premier temps) cet arrachage de pouvoir. Il ne s’agit plus de « soutenir » des forces, souvent jugées « les moins mauvaises » et de voter de plus en plus par défaut mais de désigner – non pas de représentants – mais des partenaires porteurs des réalités des mouvements et des exigences populaires ; des porte-parole.

Cela ne fait pas des élus de simples éponges passives mais bien des participants aux mouvements et c’est sur la base de cette participation qu’ils sont chargés de mission.

Les capacités du mouvement populaire ne devraient pas s’arrêter devant la nécessité d’instituer ses aspirations et volontés pour en confier la responsabilité à d’autres. En incluant le champ institutionnel dans sa volonté d’imposer ses choix, le mouvement populaire peut à partir de ses délibérations locales transformer les lieux du système représentatif en lieu de coordination et de mise en cohérence.

Le système représentatif et le monopole des partis sur l’institué peuvent être dépassés. La défiance envers les institutions dit qu’il y a une disponibilité pour engager un tel processus. Proposer que de la même manière que l’on réclame son dû, on crée toutes les conditions politiques et institutionnelles de la réalisation de ce que l’on veut n’est rien d’autre que de rétablir l’unité de l’individu avec lui-même.


Voir en ligne : https://entreleslignesentrelesmots....


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1Cité par Marc Belissa et Yannick Bosc in Le directoire / La République sans la démocratie, ed. La fabrique

[2Voir Samuel Hayat : Quand la République était révolutionnaire et Michèle Riot-Sarcey : le procès de la Liberté

[3Karl Marx : Les luttes de classes en France. Éditions sociales

   

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