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Une histoire partielle du Djihad

samedi 30 mars 2019 par Consortium News, Daniel Lazare

Un présentateur vedette de CNN ne devrait pas être choqué par le fait que les États-Unis soient en ménage avec des terroristes yéménites.

Un reportage récent de CNN sur du matériel militaire américain parvenu aux mains d’Al-Qaïda aurait pu être un précieux complément aux connaissances des Américains sur le terrorisme.
Sous le titre de Vendu à un allié, perdu en faveur d’un ennemi, ce reportage de 10 minutes, diffusé le 4 février, avec en vedette l’étoile montante Nima Elbagir la montre passant près d’un convoi de véhicules blindés dits « Mine-Resistant Ambush Protected » ou MRAP [Résistant aux mines, protégé contre les embuscades, NdT] sur une autoroute yéménite.

« C’est totalement incroyable » dit-elle. « Et ce n’est pas sous le contrôle de la coalition [menée] par les [Saoud]. C’est un territoire sous le commandement des milices, ce qui est totalement interdit par les accords signés avec les États-Unis sur les ventes d’armes. »

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« Ce n’est que le sommet de l’iceberg », ajoute-t-elle. « CNN a appris par des informateurs du côté de la coalition qu’un système d’armes américain encore plus dangereux, le missile TOW [missile antichar filoguidé, NdT], a été parachuté en 2015 par l’Arabie Saoudite aux combattants yéménites. Les médias pro-Saoud l’ont fièrement annoncé à l’époque ». Ces TOWs ont été largués dans une zone contrôlée par Al-Qaïda, selon CNN. Mais quand Elbagir essaie d’approfondir le sujet, le gouvernement local affilié à la coalition la chasse, elle et son équipe, de la ville.

Des TOWs américains entre les mains d’Al Qaïda ? Elbagir est une bonne présentatrice. Mais c’est une vieille histoire que sa chaîne a longtemps minimisée.

Au début de la guerre en Syrie, les médias occidentaux ont péniblement admis que parmi les forces combattant Assad se trouvait Al-Qaïda. A cette époque, l’opposition était largement décrite comme un prolongement tardif des soulèvements du printemps arabe en faveur de la démocratie ailleurs dans la région.

Cependant, en avril-mai 2015, au moment même où les saoudiens larguaient des TOWs sur le Yémen, ils fournissaient également les mêmes missiles high-tech à guidage optique aux forces pro-Al-Qaïda dans la province d’Idlib, au nord de la Syrie. Les chefs rebelles exultaient lorsqu’ils ont repoussé les troupes du gouvernement syrien. Les TOWs ont « changé la donne », a dit l’un d’eux, tandis qu’un autre a déclaré : « Je réduirais les percées à un seul mot : TOW. »

CNN a raconté une toute autre histoire. Depuis le territoire tenu par les rebelles, Nick Paton Walsh, de CNN, a indiqué que les missiles pouvaient « changer la donne… et qu’ils finiront peut-être par affaiblir le côté le moins populaire de la division shiite-sunnite ». Il a concédé que ce n’était pas que des bonnes nouvelles : « Un gros inconvénient, pour Washington au moins, est que les rebelles qui sont souvent victorieux, le Front Al-Nosra, font de fait partie d’Al-Qaïda. Mais alors que les vainqueurs du moment sont les ennemis de l’Amérique, l’évolution rapide de la situation en Syrie peut provoquer ce que l’administration Obama a longtemps prôné et recherché, c’est-à-dire infléchir la ligne suivie par le régime d’Assad.  »

Foreign Policy, le Washington Post, le Guardian et le New York Times ont tous froncé les sourcils à chaque victoire d’Al-Qaïda tout en étant discrètement soulagé à l’idée que le président syrien Bashar al-Assad était enfin en difficulté.

Mais maintenant que Elbagir sonne l’alarme à cause des TOWs au Yémen, la chaîne CNN ferait bien d’admettre qu’elle s’est montrée, par le passé, bien négligente au sujet des TOWs aux mains d’Al-Qaïda.

En fait, CNN n’a nulle envie d’aller là où justement l’establishment pro-guerre de Washington n’a pas envie qu’il aille. Elbagir ne devrait pas être choquée d’apprendre que les alliés des États-Unis sont complices de terroristes yéménites.

Soldat américain tenant un « Tube-launched, Optically-tracked, Wire-guided (TOW) [missile lancé par tube à conduite de tir optique et filo-guidé, NdT] 2B Aero Missile » sur le terrain d’exercice de Fort Irwin, Calif, 2014. (U.S. Army photo by Sgt. Richard W. Jones Jr.)

Histoire des liens entre les états-Unis et les guerriers de la foi

Ce que les producteurs et correspondants de CNN, soit ne savent pas soit ne veulent pas mentionner, est que Washington soutient depuis longtemps le djihad. Cela remonte au président Dwight Eisenhower selon Ian Johnson dans « Une mosquée à Munich » (2010). Il voulait, selon des mémorandums de la Maison Blanche, « mettre l’accent sur le côté “guerre sainte” dans ses pourparlers avec des dirigeants musulmans au sujet de la menace communiste durant la guerre froide ».

La Grande-Bretagne, de son côté, est impliquée dans ce genre d’histoire depuis au moins 1925 quand elle a aidé les Frères musulmans à s’implanter en Égypte. Elle et les États-Unis ont travaillé avec les islamistes depuis le coup d’état de 1953 en Iran selon Robert Dreyfus dans « Devil’s Game » (2006) [Le jeu du diable, NdT].

Durant les années 80, une révolte islamiste contre un gouvernement afghan gauchisant et prosoviétique a reçu le soutien des États-Unis. Déjà en 1979, Jimmy Carter et son conseiller national pour les questions de sécurité, Zbigniew Brzezinski, ont armé les moudjahidin afghans – non pas pour chasser les Soviétiques mais pour les attirer. Brzezinski voulait infliger à Moscou ce que les États-Unis ont subi au Vietnam, comme il l’a affirmé dans un entretien en 1998.

Pendant ce temps, quelques mois après que les États-Unis eurent commencé à armer les moudjahidin, le régime saoudien a été profondément ébranlé lorsque des extrémistes ont pris la Grande Mosquée à la Mecque et appelé à renverser la famille royale. Alors que l’Arabie saoudite a veillé à réprimer le djihadisme local, elle a aussi été un des plus grands soutiens des extrémistes sunnites de la région, plus précisément dans leur combat contre le régime chiite qui a pris le pouvoir à Téhéran, là aussi en 1979.

Depuis cette année là, les États-Unis ont utilisé le djihad de façon directe ou indirecte en collaboration avec les monarchies du Golfe ou les services secrets pakistanais ouvertement pro-islamistes de la Direction pour le renseignement inter-services. Ce soutien des États-Unis aux moudjahidin afghans a contribué à élever Oussama Ben Laden au rang de héros aux yeux de certains jeunes saoudiens et autres sunnites. Les camps d’entraînement qu’il a établis dans les campagnes afghanes ont attiré les djihadistes de toutes les régions.

L’artillerie russe bombarde des positions tchétchènes près du village de Duba-Yourt, 2000. (Wikimedia)

Le soutien des États-Unis au gouvernement islamiste de Alija Izetbegovic en Bosnie-Herzégovine a fait venir Al-Qaïda dans les Balkans, tandis que le soutien des États-Unis et des saoudiens aux militants islamistes pendant la seconde guerre tchétchène en 1999-2000 a permis l’implantation d’une base opérationnelle américaine sur ce territoire.

Mettre Al-Qaïda sous le tapis

Six ans seulement après le 11 septembre 2001, selon le journaliste d’investigation Seymour Hersh, les États-Unis ont minimisé la lutte contre Al-Qaïda afin de contrôler l’Iran – une politique, écrit Hersh, qui a eu pour effet « de renforcer […] les groupes sunnites extrémistes qui épousent une vision militante de l’Islam et sont hostiles aux États-Unis et favorables à Al-Qaïda ».

La politique de la secrétaire d’état Hillary Clinton à l’égard d’Al-Qaïda est encore plus curieuse. En mars 2011, elle a consacré presque deux semaines à persuader le Qatar, les EAU et la Jordanie de se joindre à la guerre aérienne contre la Libye de Moammar Khadhafi, pour ensuite regarder le Qatar dépenser des centaines de millions de dollars d’aide aux milices islamistes qui propagent l’anarchie d’une extrémité à l’autre du pays. L’administration Obama a songé à faire des remontrances au Qatar, mais elle ne l’a finalement pas fait.

C’est à peu près ce qui s’est passé en Syrie où, début 2012, Clinton organisait un groupe des « Amis de la Syrie » qui a rapidement fait transiter une aide militaire aux forces islamistes combattant les Chrétiens, les Alaouites, les laïques et les autres partisans d’Assad. En août 2012, la Defense Intelligence Agency [Agence du renseignement de la défense, NdT] a expliquée que « Les Salafistes, les Frères musulmans et AQI [Al-Qaïda en Irak] sont les principales forces à l’origine de l’insurrection [anti-Assad] » ; que l’Occident, la Turquie et les états du Golfe les soutenaient quand même ; que le but des rebelles était d’établir « une principauté salafiste déclarée ou non en Syrie Orientale » et que « c’est exactement ce que veulent leurs soutiens pour isoler le régime syrien… »

Biden « mange le morceau »

Deux ans plus tard, le vice-président Joe Biden déclara à la Harvard’s Kennedy School :

« Nos alliés dans la région ont été notre plus gros problème en Syrie. […] Les saoudiens, les émiratis etc. que faisaient-ils ? Ils étaient déterminés à faire tomber Assad et à commencer une guerre par procuration entre les Sunnites et les Chiites. Qu’ont-ils fait ? Ils ont versé des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à tous ceux qui allaient combattre Assad. sauf que cela revenait à équiper Al-Nosra, Al-Qaïda et les djihadistes extrémistes venant de toutes les régions du monde. » (la citation commence à 53:25)

Biden en 2012. (Kelly Kline via Flckr)

Le fait qu’Obama ait ordonné au vice-président de s’excuser auprès des saoudiens, des EAU et de la Turquie pour ses commentaires a confirmé en retour qu’ils étaient vrais. Lorsque les TOWs sont arrivés entre les mains des rebelles pro Al-Qaïda en Syrie le printemps suivant, tout ce qu’un haut fonctionnaire de l’administration aurait dit était : « Ce n’est pas quelque chose qu’on ne s’abstiendrait pas d’aborder avec nos partenaires. »

Il était évident dès le début qu’Al-Qaïda serait l’un des principaux bénéficiaires de l’intervention saoudienne au Yémen. Le fait d’immobiliser les Houthis – « l’ennemi le plus déterminé d’Al-Qaïda », selon le Times – lui a donné de l’espace pour s’épanouir et croître. Alors que le département d’État a déclaré qu’elle comptait jusqu’à 4 000 membres en 2015, un rapport de l’ONU estimait que le nombre de ses membres se situait entre 6 000 et 7 000 trois ans plus tard, soit une augmentation de 50 à 75 pour cent ou plus.

Au début de 2017, l’International Crisis Group [ONG dont la mission est de prévenir et résoudre les conflits meurtriers grâce à une analyse de la situation sur le terrain et des recommandations indépendantes, NdT] notait qu’Al-Qaïda « prospérait dans un contexte d’effondrement de l’état, de sectarisme croissant, d’alliances changeantes, de vide sécuritaire et d’une économie de guerre en plein essor. »

Carte du Sud Yémen (PBS, Frontline)

Au Yémen, Al-Qaïda « a fréquemment combattu du côté des forces de la coalition saoudienne à […] Aden et ailleurs dans le sud, y compris à Taiz, obtenant d’eux de manière indirecte des armes » selon l’ICG. « … Dans le Nord-Yémen […] la coalition [menée par l’Arabie saoudite] s’est engagée dans des alliances tacites avec les combattants de l’AQAP ou du moins a fait semblant de ne pas les voir, tant qu’ils les ont aidé à attaquer l’ennemi commun. »

Un documentaire de la chaîne PBS montrait en mai 2016 des membres d’Al-Qaïda combattant aux côtés des forces des EAU près de Taiz. (c.f. « The Secret Behind the Yemen War », (le secret derrière la guerre du Yémen) Consortium News, May 7, 2016.)

Capture d’écran du reportage « Le Yémen assiégé » de l’émission Frontline sur la chaîne PBS, 2016.

En août dernier, une équipe d’enquêteurs de l’Associated Press a découvert que la coalition saoudienne a conclu des accords secrets avec des combattants d’Al-Qaïda « en payant des gens pour quitter des villes clés et en laissant d’autres se retirer avec des armes, de l’équipement et des liasses d’argent pillé ». Les milices soutenues par les saoudiens « recrutent activement des militants d’Al-Qaïda », a ajouté l’équipe de l’AP, « parce qu’ils sont considérés comme des combattants exceptionnels » et leur fournissent également des camions blindés.

S’il n’est pas nouveau que des alliés des États-Unis équipent des forces pro Al-Qaïda avec du matériel américain, pourquoi CNN prétend-elle découvrir ce fait ? D’une part parce qu’elle se sent libre de critiquer la guerre et tout ce qui l’accompagne maintenant que la catastrophe humaine grandissante au Yémen devient un embarras majeur pour les États-Unis. D’autre part, le fait de critiquer les états-Unis pour ne pas avoir réussi à maîtriser leurs alliés lui fait gagner des points auprès des téléspectateurs en donnant l’impression qu’elle est dure et indépendante, même si c’est l’inverse.

Et puis il y a Trump, avec qui CNN est en guerre depuis son élection. La décision de Trump, le 19 décembre, de retirer ses troupes de Syrie a offert au réseau de CNN une double opportunité car elle lui a permis de s’insurger contre le retrait considéré comme « bizarre » et une « victoire pour Moscou » tout en se plaignant de la politique administrative au Yémen. Selon ces gens, Trump a tort, semble-t-il, quand il se retire et quand il reste sur le terrain.

Dans les deux cas, la CNN se montre arrogante en attaquant lourdement le chef de l’exécutif que les médias des multinationales adorent haïr. Elbagir aurait peut-être dû donner à son exposé un autre titre : « Pourquoi armer des maniaques meurtriers est une mauvaise nouvelle dans un pays mais pas dans un autre. »

Daniel Lazare a écrit « The Frozen Republic : How the Constitution Is Paralyzing Democracy » (Harcourt Brace, 1996) ainsi que d’autres livres sur la politique américaine. Il a publié dans un large éventail de publications allant de « The Nation aux blogs du Monde Diplomatique à propos de la Constitution et de sujets connexes sur Daniellazare.com.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.


Voir en ligne : https://www.les-crises.fr/une-histo...


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