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Égypte : La mort de Morsi ou la fin d’un ennemi de classe aux mains d’un autre

samedi 29 juin 2019 par Dejan Kusic et Hamid Alisadeh

La mort de Mohamed Morsi, prisonnier du régime égyptien, a choqué beaucoup de monde. Elle a aussi débouché sur des réactions étranges. Assez discrètes tout d’abord, car la démocratie est passée depuis longtemps au second plan en Égypte et il semble falloir ménager la dictature en place. Les quelques analyses des médias mainstream étaient ensuite pour la plupart à côté de la plaque en saluant la mémoire du seul président démocratiquement élu. C’est un peu trop vite oublier comment Morsi est arrivé au pouvoir et ce qu’il a entrepris durant sa courte présidence. L’annonce de son décès révèle par contre à quel point la dictature de Sissi est fragile et pourquoi la révolution égyptienne lancée en 2011 est condamnée à resurgir, tôt ou tard. (IGA)

Le lundi 17 juin, l’ancien président égyptien, Mohamed Morsi, s’est effondré et est décédé en plein tribunal, alors qu’il était jugé pour espionnage contre l’État égyptien. Morsi, qui souffrait de diabète, de maladies rénales et d’hépatiques chroniques, était emprisonné depuis 2013, après que sa présidence a été renversée par l’un des plus grands mouvements de masse de l’Histoire.

Morsi était l’ancien chef du Parti de la Liberté et de la Justice, parti des Frères musulmans. Pendant qu’il était en prison, il aurait été gardé en isolement pendant 23 heures par jour, avec un accès limité à une alimentation adéquate, à des traitements médicaux nécessaires, à des conseils juridiques et à des visites familiales. Il ne fait aucun doute que les conditions inhumaines de son incarcération l’ont mené à une mort précoce alors qu’il était âgé de 67 ans.

La disparition soudaine d’un grand protagoniste de la période de révolution et de contre-révolution qui a marqué l’Égypte entre 2011 et 2014 a naturellement créé une sensation d’information dans le monde entier, d’autant plus que Morsi était sous la garde du régime égyptien. Sa mort met à nouveau en lumière les événements de la Révolution égyptienne, le rôle des Frères musulmans et les pratiques actuelles de l’appareil répressif du président Sissi. Alors que les médias bourgeois se livrent à un nouvel examen de la présidence Morsi, il convient de préciser comment les marxistes devraient se positionner sur cet événement, ce qu’il signifie pour la situation actuelle en Égypte et leur attitude vis-à-vis des Frères musulmans.

L’hypocrisie libérale, et l’homme qui serait pharaon

De nombreux médias libéraux dont le New York Times, le Guardian et BBC News, ont publié des articles déplorant la mort du premier président civil démocratiquement élu de l’Égypte. Le Guardian a même terminé son histoire en citant l’un des anciens conseillers de Morsi, prétendant qu’il était « un symbole pour de nombreux Égyptiens ».

En fait, les élections qui l’ont porté au pouvoir n’étaient guère plus libres et justes que les farces commises par le régime Sissi depuis, et que ces mêmes publications déplorent.

Premièrement, les Frères musulmans et l’ancien régime ont collaboré sur un large éventail de questions. Voyant que les chefs du Conseil suprême des Forces armées ne pouvaient plus s’accrocher au pouvoir après le renversement de Hosni Moubarak, ils procédèrent à la mise en œuvre d’une nouvelle constitution. Les lois électorales de cette constitution favorisaient indéniablement les Frères musulmans, un parti qui avait été conditionné durant des décennies comme une semi-opposition loyale au régime.

Deuxièmement, le premier tour des élections présidentielles a vu le candidat de gauche Hamdeen Sabahi éliminé au détriment de l’ancien Premier ministre du régime, Ahmed Shafik. Sabahi était pourtant classé premier au Caire, à Alexandrie et dans d’autres centres urbains. Mais il y avait des signes évidents de manipulation des votes et de bulletins volés visant à faire pencher la balance et à exclure le candidat de gauche du dernier tour. Alors que Shafik était le principal candidat de la bureaucratie d’État et de l’ancienne élite dirigeante, Morsi n’était pas perçu comme un personnage fiable tandis que Sabbahi avait derrière lui un mouvement de masse révolutionnaire.

Troisièmement, tout en purgeant certains éléments au sommet de l’armée et s’aliénant ainsi certaines couches de l’ancien État, Morsi a nommé sans le savoir son successeur, Abdel Fattah al-Sissi, qui gouverne l’Égypte aujourd’hui. Il avait été placé comme ministre de la Défense pour remplacer des figures auparavant puissantes.

Si Morsi est un symbole pour beaucoup d’Égyptiens, il représentait tout ce qu’on détestait chez les Frères musulmans au pouvoir. À maintes reprises au cours de l’année du règne de la Fraternité, des gangs islamistes armés se sont alliés à la police pour attaquer des manifestants pacifiques qui s’opposaient à l’approfondissement des mesures contre-révolutionnaires.

En novembre 2012, Morsi a introduit une loi qui l’a déclaré l’Exécuteur Testamentaire des Décisions et Lois irréversibles, lui donnant des pouvoirs inégalés. Il a également déclaré que l’Assemblée constituante (à l’époque, un corps de marionnettes totalement antidémocratique des Frères musulmans) ne pouvait pas être renversée. Dans la foulée, il a précipité une nouvelle constitution élevant explicitement l’autorité de la charia en Égypte.

Des manifestations massives ont éclaté à la suite de la déclaration de Morsi, menant à des affrontements majeurs entre les manifestants d’une part, et la police ainsi que les partisans de la Fraternité d’autre part. Morsi a personnellement ordonné à la police de briser une manifestation à l’extérieur du palais présidentiel, mais les policiers ont refusé. Des islamistes ont alors été envoyés, ils ont capturé et battu brutalement des dizaines de manifestants, y compris des enfants, ligoté leurs mains et les ont tenus sur le trottoir pendant la nuit.

L’article de la BBC News sur la mort de Morsi mentionne brièvement qu’il était en procès pour meurtre à la suite de cet incident, mais simplement pour souligner qu’il avait eu une peine de mort antérieure annulée en appel. Plutôt que de raconter le coup de force qui a conduit aux manifestations, l’article choisit de souligner que Morsi a été parfois loué pour ses talents d’orateur. En général, le mouvement de Morsi pour concentrer le pouvoir dans ses mains, et la violence contre-révolutionnaire menée par les Frères musulmans pendant sa présidence ne sont guère mentionnés dans les reportages et les chroniques nécrologiques. Au mieux, ces faits sont relégués au-dessous des éloges aux aspirations démocratiques du peuple égyptien et les condamnations pour avoir gardé un homme aussi important en cruelle détention, alors qu’il était jugé pour meurtre.

Le peuple égyptien, pour sa part, ne semble pas avoir beaucoup de sympathie pour la fin prématurée de Morsi. Seulement dans la ville natale de Morsi, Al-Edwa, dans une province rurale arriérée du delta du Nil, il y a eu une protestation notable, incluant des partisans de la Fraternité. Le parti a été forcé à se cacher profondément depuis 2013, mais une manifestation aussi faible montre aussi à quel point sa base active a décliné. La plupart des Égyptiens ont des préoccupations plus pressantes, comme les hausses de prix périodiques causées par les réductions des subventions au carburant, ou le taux de chômage des jeunes atteignant des niveaux catastrophiques. Mais cela ne préoccupe pas beaucoup nos soi-disant démocrates.

Ils soulignent le dur traitement que Morsi a subi en prison. Mais lorsqu’il s’agit d’abus de la part de l’État, la plupart des Égyptiens se rendent compte qu’ils pourraient subir des tortures bien pires que celles que Morsi n’a jamais subies. Et les motifs seraient bien moindres qu’une tentative de prise de pouvoir ou même l’envoi de milices islamistes pour attaquer de jeunes révolutionnaires. Dans certains cas, agiter un drapeau arc-en-ciel à un concert peut entraîner une inspection de votre cavité anale par les agents de police, avant d’être jeté en prison. Pendant ce temps, critiquer le harcèlement sexuel sur les médias sociaux peut entraîner l’humiliation publique et la condamnation pour menace à la sécurité nationale.

En Grande-Bretagne, après la mort de Morsi, notre noble humanitaire, le député conservateur Crispin Blunt, a intensifié sa campagne de longue date pour que les autorités égyptiennes enquêtent sur le traitement de l’ancien président. Curieusement, il n’a rien à dire au sujet des 60 000 prisonniers politiques actuellement détenus par l’État égyptien, dont beaucoup sont complètement innocents de tout crime. Quand il était président du Comité Spécial des Affaires Étrangères entre 2015 et 2017, les relations amicales de la Grande-Bretagne avec le régime de Sissi et l’appui apparent des conservateurs au président égyptien, ne semblaient pas non plus poser de problème à Blunt. L’hypocrisie, les mensonges et les doubles standards épatent l’esprit !

Cette hypocrisie témoigne de la mauvaise foi d’une grande partie des préoccupations exprimées par les politiciens bourgeois et les médias au sujet des droits de l’homme. En fait, leur inquiétude est que le régime de Sissi est devenu trop autoritaire pour son propre bien, bien de la classe dirigeante égyptienne, mais aussi celui des classes dirigeantes au niveau international (aux États-Unis en particulier). Ils sentent le danger, un seul faux mouvement du régime pourrait relancer la révolution égyptienne. Si bien que l’homicide involontaire d’un ancien chef de l’opposition et ancien président suffit à les mettre sur le qui-vive.

Leur nouvelle admiration pour le pluralisme et les références démocratiques, apparemment incarnée par la présidence de Morsi, reflète aussi leur inquiétude devant l’enracinement de la dictature de Sissi. Il est clair que c’est un régime faible auquel on ne peut pas se fier pour stabiliser un pays dont l’économie est plongée dans la tourmente et dont la situation politique est encore plus tendue. D’une certaine manière, la mort de Morsi a rappelé aux stratèges et aux commentateurs bourgeois que la classe dirigeante égyptienne a déjà épuisé l’unique alternative politique dont elle disposait.

Les Frères musulmans

L’organisation politique à laquelle appartenait Morsi, les Frères musulmans, a été d’abord autorisée à se présenter aux élections égyptiennes lors du scrutin législatif de 2005. C’était la première fois qu’un parti officiellement opposé au régime militaire était autorisé à se présenter, et c’était une concession qui, avec les grèves du textile de Mahalla en 2006, a effectivement marqué le début de la fin de la dictature Moubarak. Mais même avant 2005, les candidats de la Fraternité étaient autorisés à se présenter comme indépendants, et le parti existait semi-légalement, en conflit périodique avec les autorités de l’État.

Tout au long de l’histoire de l’Égypte, les Frères musulmans ont été le principal parti de réaction. C’est le seul parti qui a réussi à mobiliser l’establishment religieux conservateur, les couches paysannes et bourgeoises contre les masses ouvrières et révolutionnaires des villes. Elle représente une aile junior de la classe capitaliste égyptienne, elle est beaucoup moins menaçante pour les intérêts des grands capitalistes que pour les masses révolutionnaires.

Pendant des années, le régime a cultivé la Fraternité pour pouvoir intervenir, en cas de menace imminente à sa position. En le laissant tenir, l’État créa une opposition loyale, capable de canaliser les humeurs révolutionnaires montantes sur des voies capitalistes « sûres ».

Alors que la base de la Fraternité était entraînée dans le mouvement révolutionnaire dès le début, sa direction ne se joignit à elle que lorsque la chute de Moubarak était évidente, mais continuait à saboter la révolution à chaque tournant.

Face à un mouvement révolutionnaire qui ne pouvait être arrêté par la répression, la Fraternité fut amenée à détourner le mouvement du bas vers un canal plus contrôlable afin d’éviter la chute de tout le régime. Ils agissaient comme une dernière ligne de défense pour le capitalisme égyptien, un rôle qu’ils ont joué à la perfection.

Et c’est précisément parce que la Fraternité est un parti bourgeois qu’elle n’a pu résoudre aucun des problèmes posés par la révolution. Les salaires, le niveau de vie et le bien-être public ont continué à décliner, alors que le népotisme et la corruption s’étendaient. Le seul vrai changement fut la pilosité faciale de certaines personnes qui dirigeaient l’exploitation des masses ouvrières. Au cours de l’année qui suivit l’élection de Morsi, cela entraîna une augmentation constante des affrontements entre les masses d’un côté, et la Fraternité ainsi que l’appareil d’État de l’autre.

En même temps, un conflit éclata au sein de la classe dirigeante entre la Fraternité, qui tentait d’accéder à des parties de l’appareil d’État et de l’économie, et l’élite dirigeante traditionnelle, qui défendait sa position. Un signe d’avertissement fut lancé quand Morsi supprima une clause dans la constitution rendant le président responsable devant l’armée. Sa tentative d’élever l’Assemblée constituante dominée par la Fraternité au-dessus de toute autre instance judiciaire était également un pas trop loin.

Alors que l’ancienne élite était mal à l’aise avec la Fraternité se frayant un chemin dans certaines parties de l’État, elle était encore plus terrifiée par la révolution. Ainsi, dans de nombreux cas, l’ancienne élite a collaboré avec la Fraternité contre les masses dans les rues. Le 25 janvier 2013, par exemple, l’armée, la police et les Frères musulmans ont mené conjointement une répression meurtrière des manifestations de masse contre les Frères dans tout le pays et ont imposé des couvre-feux au Caire, à Alexandrie et à Port-Saïd.

La répression n’a pas arrêté la radicalisation dans les rues, cependant, et moins d’un an après son arrivée au pouvoir, les masses égyptiennes étaient prêtes à se débarrasser de Morsi.

Voyant que l’humeur dans les rues atteignait encore une fois le pas de la fièvre, l’armée et l’appareil d’État ont commencé à rejoindre l’opposition contre Morsi. En plus de craindre l’influence de la Fraternité au sein de l’État et de l’économie, l’ancienne élite ne croyait plus que le parti pouvait sauver le régime. C’est la principale raison pour laquelle elle a mis Morsi à sec pour les crimes qu’il a commis au nom de la classe dirigeante dans son ensemble. Voyant la montée du mouvement révolutionnaire imparable de millions d’ouvriers, de pauvres et de jeunes, la vieille élite se hâta d’abandonner la Fraternité, avec des sections en train de revêtir les vêtements de la révolution, comme Morsi et compagnie l’avaient fait en 2011.

Malheureusement, les dirigeants du mouvement de 2013 n’étaient pas conscients de la nature de classe de la révolution et de la nécessité d’arracher le pouvoir économique et étatique à l’ancienne classe dirigeante. Au lieu de cela, ils ont remis le pouvoir aux mêmes généraux qui les opprimaient depuis des années. En pénétrant dans le vide du pouvoir, Al-Sissi utilisa alors les lettres de créance révolutionnaires qui lui avaient été données par ces dirigeants pour écraser la Confrérie haïe, un prétexte pour consolider son règne et se diriger vers des mesures de plus en plus répressives.

Le principal problème des révolutions égyptienne et arabe était que, tout en retirant le chef de l’État, elles laissaient l’État et le pouvoir économique entre les mains de l’ancienne élite dirigeante qui pouvait alors lentement rétablir son règne. Le système capitaliste est resté intact, et à travers lui, tous les maux du capitalisme, qui ont conduit à tant de souffrances pour les masses.

Néanmoins, rien n’a été résolu du point de vue de la classe dirigeante. Leur problème actuel est que toutes les contradictions économiques et sociales qui ont conduit à la révolution en premier lieu n’ont fait que s’aggraver et ne manqueront pas de revenir à un moment donné. La répression de masse comme moyen de maintenir l’ordre se transformera en son contraire, comme sous Moubarak, et deviendra le fouet qui fait avancer un nouveau mouvement révolutionnaire. À ce moment-là, l’état décrépit de la bourgeoisie égyptienne, incarné dans la personne d’Abdel-Fattah al-Sissi, sera dévoilé à tous.

Malgré tout, la révolution se cache encore sous la surface en Égypte. Si les masses n’ont pas encore bougé, ce n’est pas à cause d’un manque de volonté ou de confiance, mais parce qu’elles ne voient aucune raison de retirer un réactionnaire si c’est seulement pour le remplacer par un autre régime tout aussi réactionnaire. Néanmoins, le mouvement fera sans doute surface de nouveau, tôt ou tard. Mais cette fois, la classe dirigeante n’aura pas les Frères musulmans comme échappatoire, pour détourner et désorienter le chemin de la révolution.

La suite de l’article Ici.

Source originale : In defence of marxism

Traduit de l’anglais par JL Scarsi pour Investig’Action


Voir en ligne : https://www.investigaction.net/fr/e...

   

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