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Sahel : Périr ou Partir ?

mardi 18 février 2020 par Guillaume Berlat pour Proche&Moyen-Orient

Quand les intérêts égoïstes de quelques grands groupes capitalistes entrainent l’impérialisme français vers la déconfiture ... (NDLR)
« Le réel, c’est quand on se cogne », nous rappelle fort justement Jacques Lacan. Et, c’est bien ce qui advient à nos dirigeants successifs – François Hollande, puis Emmanuel Macron – confrontés à ce qui tourne désormais au casse-tête africain. Les cercueils de militaires français tués au combat au Mali se succèdent à un rythme soutenu dans la Cour des Invalides pour un dernier hommage de la Nation. Les derniers étaient au nombre de treize. Que de morts pour rien ! [1] Pathétique…

Quelques jours plus tard, ce sont plus de soixante-dix militaires nigériens qui sont abattus à In-Ates, attaque la plus meurtrière de l’Histoire du Niger revendiquée par l’EI. Trois jours de deuil national sont décrétés dans le pays. Les présidents Kaboré, Issoufou, Keïta et Déby Itno se sont inclinés le 15 décembre 2019 à Niamey sur les tombes des 71 soldats morts dans l’attaque d’In-Ates, en prélude un sommet extraordinaire du G5 Sahel auquel a également participé M. Ould Ghazouani.
Ces derniers et tragiques développements de l’opération « Barkhane » interpellent au moins à deux titres : les aléas d’un cavalier seul et le mépris du réel de la part de nos dirigeants.

Faire cavalier seul : un pari risqué

Au fil du temps, le fardeau de l’opération française dans le Sahel est de plus en plus insupportable. Et cela d’autant plus que l’action de la France se résume en une diplomatie du chien crevé au fil de l’eau.

Un fardeau insupportable

Emmanuel Macron, qui avait caressé un temps, le projet de réunir les cinq chefs d’État du G5 Sahel, à Pau pour poser les questions qui fâchent, est conduit à reporter son projet au mois de janvier 2020 [2]. Les évènements en ont décidé autrement [3]. Faute de disposer de moyens suffisants pour contrôler un territoire plus vaste que la France, Emmanuel Macron en appelle à ses partenaires européens afin qu’ils donnent un coup de main allant au-delà de l’opération de formation EUTM. 

Il saisit l’occasion du dernier sommet de l’OTAN à Londres pour secouer le cocotier [4]. Du côté de la MINUSMA, c’est l’électroencéphalogramme plat et il n’y a rien à espérer tant elle est limitée dans ses conditions d’emploi en dépit d’un important budget. Le G5 Sahel relève de la diplomatie du gadget inefficace, de la diplomatie des apparences.

Mais rien n’y fait !

La France se trouve seule, bien seule pour conduire son noble combat contre des islamistes – de plus en plus nombreux et aguerris dans le Sahel – qui se transforme en Afghanistan pour elle [5]. Au fil des années, l’opération « Barkhane » se transforme en véritable calvaire pour nos femmes et hommes, cibles privilégiées pour les « terroristes » de tout poil. Comment se transformer en gendarme d’une zone aussi vaste que l’Europe avec 4 000 hommes, si expérimentés, si motivés soient-ils ?
Rappelons que cette opération d’une ampleur inédite a succédé à une autre plus limitée dans le temps et dans l’espace, « Serval » dont l’objet était, en 2013, de prévenir un renversement du régime malien par des hordes de terroristes descendant vers Bamako [6].

Une diplomatie du chien crevé au fil de l’eau

Comme souvent dans notre République monarchique, le prince décide seul, sous la pression de l’émotion, d’une opération militaire sur un théâtre extérieur sans se livrer à une étude sérieuse du problème : objectifs précis, moyens, soutiens, porte de sortie… ? C’est ce que l’on appelle pratiquer la politique du somnambule.
Nos dirigeants semblent déboussolés, pris de court par une évolution catastrophique de la situation sur le terrain qui était des plus prévisibles. À l’heure où s’imposerait une réflexion à froid et de grande ampleur sur notre présence dans la zone, dans les milieux bien informés, on évoque un « moment d’inflexion majeur, un moment charnière » [7]. Ce qui signifie un cautère sur une jambe de bois. On nous sert les mêmes raisonnements éculés (avec le temps et la patience, les choses vont évoluer dans la bonne direction) qui ont amplement démontré leur « pertinence » sur d’autres théâtres d’opération, comme l’Afghanistan [8].
Ne parlons pas du risque que courent certains militaires français d’épouser la cause de l’adversaire [9]. L’expérience démontre amplement qu’il est dangereux de faire l’impasse sur le réel dans des situations aussi paroxystiques.

Faire fi du réel : la tête contre les murs

Nous interroger calmement sur les raisons de notre étrange défaite dans le Sahel doit nous conduire à nous interroger sur les raisons de l’effondrement des États sahéliens. Elle implique une incontournable réaction salutaire qui tienne compte du discrédit africain de la présence militaire française sur le terrain.

Une crise plurifactorielle

Les causes de la dégradation de la situation dans les pays du Sahel sont connues, documentées par les experts de la chose politique et de l’Afrique depuis bien longtemps. Nous sommes en présence d’États qui risquent de se transformer rapidement en États faillis.
À titre d’exemple, le Quai d’Orsay vient d’interdire aux ressortissants français de se rendre au Burkina Faso. Mauvaise gouvernance ; corruption ; népotisme ; clientélisme ; paupérisation croissante ; problèmes économiques, financiers, sociaux, juridiques, religieux, ethniques, culturels, sanitaires insolubles à court terme ; armées inconsistantes, inapplicabilité de l’accord de paix d’Alger de 2015, insignifiance des solutions proposées au récent Forum de la paix de Dakar … constituent les principaux ingrédients du cocktail explosif qui minent durablement la région du Sahel.

Force est de constater que, si une réponse sécuritaire peut être nécessaire pour endiguer un effondrement momentané de ces États, elle ne saurait être suffisante pour régler durablement ces problèmes structurels bien connus en Afrique, plus d’un demi-siècle après la vague d’indépendance des années 1960. Cela se saurait en dépit de milliards engloutis en pure perte par la communauté internationale pour aider les pays en développement à s’en sortir.

Or, rares sont ceux qui, aussi bien en Afrique qu’ailleurs, veulent prendre le problème à bras-le-corps pour dégager quelques axes de solutions efficaces pour redonner de l’espoir à une jeunesse africaine qui n’a qu’un choix, partir ou rejoindre les rangs des trafiquants et autres islamistes pour survivre.

Que voulons-nous ou pouvons-nous faire pour tenter d’enrayer la spirale infernale autrement que par le recours aux armes ?

Une réponse uniquement sécuritaire

Les causes de notre enlisement dans le Sahel – n’hésitons pas à employer les mots qui fâchent – sont connues, documentées par les experts de la chose militaire et de l’Afrique depuis bien longtemps. Comme le souligne régulièrement, l’ex-CEMA, Pierre de Villiers, si nous savons gagner la guerre, nous ne savons pas gagner la paix. Pourquoi ?
Nous sommes victimes du syndrome de la médiatisation des conflits : l’urgence remplace les priorités, le temps s’écrase pendant que l’espace s’élargit ; le comment (la tactique) l’emporte sur le pourquoi (la stratégie) …
La combinaison de toutes ces dérives explique en partie nos déconvenues dans le Sahel. En des termes diplomatiques, le CEMA, le général François Lecointre souligne justement : « Je crois que nous n’atteindrons jamais une victoire définitive. Contrairement aux grands conflits du XXe siècle, jamais les armées françaises ne défileront en vainqueur sous l’Arc de Triomphe ».
Les faits sont têtus. Sans aller jusque-là, la victoire risque d’avoir le goût amer d’une débandade inéluctable dans le cas d’une guerre asymétrique. L’absence de clarté dans nos objectifs de crise et de sortie de crise dans le temps long est flagrante. Il ne suffit pas de se gargariser en martelant que le pire a été évité. Le pire est peut-être à venir. Mais, nous ne pourrons nous contenter encore longtemps de faire abstraction des brutales évidences du réel.

Une incontournable réaction salutaire

Mais, nos élites s’obstinent à ne pas vouloir porter le bon diagnostic sur le mal qui ronge « Barkhane ».

La situation est tout à fait hors de contrôle : « Les inquiétudes étaient déjà vives, mais l’attaque d’Inates au Niger le 10 décembre les ont brusquement confirmées : le Sahel plonge inexorablement dans un chaos orchestré par les groupes jihadistes, face auquel ni les États locaux ni l’intervention française ne trouvent de réponse à la hauteur des enjeux… Ça va très mal et cela va continuer d’empirer », craint Michael Shurkin, politologue à l’institut de recherche RAND, résumant une pensée largement partagée dans la communauté des experts de la zone… « Il n’est pas possible de régler la situation en tuant tout le monde. La situation est hors de contrôle », estime un responsable du département américain de la Défense sous couvert de l’anonymat. «  Les États sont désorganisés, je pense qu’ils sont justes dépassés. Le G5-Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mauritanie), dont les membres sont censés s’unir face à un ennemi chaque semaine plus menaçant, demeure selon lui une idée plus qu’une force. Avec plus de soutien international, ils pourraient devenir un acteur mais aucun signal n’indique que ce soit en train de se produire » [10].

Fini le temps des belles paroles, des discours creux qui font la une des gazettes mais qui ne résolvent rien.

Un discrédit africain croissant de la présence française sur le terrain

De plus, et pour compliquer le tableau, que les troupes françaises héroïques sont de plus en plus considérées – qu’on le veuille ou non – comme de vulgaires armées d’occupation venues défendre les intérêts économiques de l’Hexagone (lesquelles ?) et non défendre la sécurité des États du Sahel (ce qui est un comble !) alors que nos courageux principaux alliés sont aux abonnés absents.
On croit rêver à entendre de telles sornettes de la part de dirigeants qui accueillaient, il y a peu encore, les armées françaises en libératrices.
On croit également rêver à entendre d’autres sornettes dans la bouche de notre inculte ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves le Chouchen : « Au Sahel, il faut lever les malentendus et se remobiliser » [11]. Parfait exemple de la diplomatie de l’improvisation [12] ou l’art de repousser à demain ce que l’on ne peut ou veut faire aujourd’hui.
Il est plus que temps de nous extraire du piège de l’immobilisme qui est la plaie de la société française dans le contexte de « guerres ingagnables » [13].

« Le macronisme est une politique de l’insensible » juge la philosophe, Myriam Revault d’Allonnes [14]. Ce à quoi nous pourrions ajouter, au moment où nous entrons dans l’acte II du quinquennat, que nous sommes face à une politique qui manque du plus élémentaire bon sens tant sur la scène intérieure que sur la scène internationale. Que signifie un « réveil des consciences », un « passage à un étage politique dans la résolution de la crise » qu’Emmanuel Macon appelle de ses vœux de la part des membres du G5 Sahel pour en finir avec cette guerre sans fin [15] ?

Ceci relève de l’évidence, à crise globale, réponse globale. Mais, nous n’en sommes pas encore là. Alors que la stratégie militaire est dans l’impasse (plus de 40 militaires français tués conte 90 en Afghanistan), Emmanuel Macron aurait sollicité de nouvelles options pour sortir de ce bourbier [16] tant au Quai d’Orsay qu’au ministère des Armées tant il est évident qu’il « n’y aura pas de solution militaire au Sahel » (ce que déclarait naguère devant les commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, le général François Lecointre) [17].
À quelle échéance ?
Avec une liberté de parole totale ?
Toutes ces questions restent encore sans réponse. Un retrait en bon ordre ne vaut-il pas mieux qu’une débandade honteuse ?
Aujourd’hui, la seule question qui vaille de poser est la suivante, au Sahel, périr ou partir ?

On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. (Anatole France - NDLR)


Voir en ligne : https://prochetmoyen-orient.ch/sahe...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1Guillaume Berlat, un(e) mort de trop, un(e) mort pour rien, www.prochetmoyen-orient.ch , 11 novembre 2019.

[2Claude Angeli, Macron veut mettre au pas les chefs du Sahel, Le Canard enchaîné, 11 décembre 2019, p. 3.

[3Isabelle Lasserre, Après l’attaque au Niger, l’Élysée annule le sommet du G5 Sahel à Pau, Le Figaro, 13 décembre 2019, p. 9.

[4Jean-Michel Demetz, Quand de Gaulle quitte l’OTAN, Valeurs actuelles, 19 décembre 2019, pp. 70-71-72.

[5Renaud Girard, Le Sahel, un Afghanistan français ?, Le Figaro, 10 décembre 2019, p. 17.

[6Christian Makarian, Mali : l’intérêt du monde, le sacrifice de la France, L’Express, 4 décembre 2019, p. 18.

[7Nicolas Barotte, Sahel : « Barkhane » à l’heure de réflexion, Le Figaro, 16 décembre 2019, p. 8.

[8Jean Daspry, La victoire en perdant, www.prochetmoyen-orient.ch , 16 décembre 2019.

[9Jean Chichizola, Légionnaires, commandos, parachutistes, ces militaires français devenus djihadistes, Le Figaro, 18 décembre 2019, p. 14.

[11Cyril Bensimon/Christophe Châtelot/Piotr Smolar (propos recueillis par), Jean-Yves Le Drian : « Au Sahel, il faut lever les malentendus et se remobiliser ». Pour le chef de la diplomatie, le combat antidjihadiste sera « très long », Le Monde, 12 décembre 2019.

[12Jean Daspry, Des limites de la diplomatie de l’improvisation, www.prochetmoyen-orient.ch , 16 décembre 2019

[13Sylvie Kauffmann, Le syndrome des guerres ingagnables, Le Monde, 19 décembre 2019, p. 29.

[14Nicolas Truong (propos recueillis par), Myriam Revault d’Allonnes : « Le macronisme est une politique de l’insensible », Le Monde, 17 décembre 2019, p. 32.

[15Romain Rosso, Sahel. La guerre sans fin, L’Express, 4 décembre 2019, pp. 56 à 60.

[16Alain Gentil, Sahel : soubassement d’un désastre, Politique étrangère, automne 2019, pp. 89 à 98.

[17Claude Angeli, L’alliance des tueurs en série au Sahel, Le Canard enchainé, 18 décembre 2019, p. 3.

   

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