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Le nazisme : Une des matrices du management moderne

mercredi 8 avril 2020 par Didier Epsztajn

« Le passé apparaît au présent ». Il est bien facile de rejeter le nazisme dans une fantasque et macabre « case » nommée barbarie et affublée de la caractéristique extraordinaire. Cela dispense les paresseux et paresseuses d’étudier les continuités, les discontinuités, les ruptures d’une société humaine. Sans oublier le silence sur les recyclages des idées et des personnes dans d’autres sociétés. Des nazis furent cachés, employés, revalorisés dans bien des pays…

Les livres de Johann Chapoutot permettent, me semble-t-il, de mieux appréhender la société nazie. Et ce livre-ci, très mal reçu (la lectrice et le lecteur comprendra rapidement pourquoi !) par les idéologues néolibéraux, en surprendra plus d’un.e.

Les criminels nazis « nous semblent résolument étrangers et étrangement proches, presque nos contemporains ». Étrangers mais traversés par des « effets de contemporanéité ». Dans son prologue, l’auteur aborde, entre autres, les objectifs, « Les tutelles fixent un « objectif » (Endziel) que les agents doivent atteindre sans perdre de temps, sans demander de moyens supplémentaires, sans gémir ni fléchir face à la difficulté de la tâche ».

Il nous rappelle que « Le management a une histoire qui commence bien avant le nazisme, mais cette histoire s’est poursuivie et la réflexion s’est enrichie durant les douze ans du IIIe Reich, moment managérial, mais aussi matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre ».

Il me semble important de souligner, comme le fait Johann Chapoutot que « le crime de masse avait été une industrie ». Ce dernier mot implique une organisation sociale et économique, et les crimes nazis un « ordonnancement policé d’une entreprise résolument moderne » Il n’y a ici aucun archaïsme.

C’est toujours une facilité de rejeter les crimes hors de l’histoire, c’est un travestissement de ne pas les penser comme manifestation d’un temps au présent. Il faut s’intéresser à la contemporanéité du nazisme, aux camps comme lieux « du contrôle social, de la hiérarchisation et de la réification » caractéristique de notre modernité comme le note Giorgo Agamben cité par l’auteur.

Il me semble juste d’aborder les crimes contre l’humanité comme « la traduction de projets politiques et économiques rationnels », la décision de « technocrates », et les travaux cités, sur certains dignitaires nazis, en rendent compte. La gestion des « ressources humaines » avait une dimension criminelle. « De l’objectification d’un être humain, ravalé au statut de « matériau », de « ressource » ou de « facteur de production », à son exploitation, voire à sa destruction, la concaténation a sa logique, dont le camp de concentration, lieu de destruction par le travail (à partir de 1939) et de production économique, est le lieu paradigmatique ».

Les nazis et l’organisation du travail, la répartition des taches, la structuration des administrations, la place de l’économie privée, la pensée du management… L’auteur souligne des questions, d’autant plus intéressantes que « la conception nazie du management a eu des prolongements et une postérité après 1945 ». Il ne s’agit pas rabattre l’ensemble du management sur sa période nazie. Mais de comprendre les élaborations, les espaces relatifs de liberté et d’autonomie, l’engagement, etc. ; sans se tromper sur les termes d’hier et d’aujourd’hui, « Assuré de l’autonomie des moyens, sans pouvoir participer à la définition et à la fixation des objectifs, l’exécutant se trouvait d’autant plus responsable – et donc, en l’espèce, coupable – en cas d’échec de la mission »

Johann Chapoutot termine son avant-propos par une première question : « comment administrer un Reich en expansion permanente, avec peu, voire moins, de moyens et de personnel ? »… prélude à comprendre « comment l’esprit vient aux juristes et aux administrateurs ».

Comme j’ai choisis de m’étendre sur l’avant-propos, je ne détaillerai pas toutes les analyses de l’auteur.

Je souligne néanmoins, l’exposition choisie et quelques grands thèmes, la pensée de l’administration, l’aryanité et l’ayrianisation, le topos ethnonationaliste de la liberté germanique, l’omniprésence de « la métaphore organique » et du « registre biologique » ou de la race, la conception bien particulière de la genèse de l’État ou de la « liberté germanique » comme « une catastrophe pour la race germanique », l’anti-étatisme des nazis et la multiplication des organes et des agences, « Les querelles de compétence sont permanentes, tout comme les conflits de préséance et les chamailleries entre caciques. Des personnalités s’affrontent, et des logiques se heurtent violemment, irréconciliables », les juristes dont Reinhard Höhn et « sa déconstruction historique et sa dévalorisation de la notion d’État », les activités « non rentables » et les corps « non performants »

L’auteur analyse et détaille les positions et les évolutions de Reinhard Höhn, de « la communauté du peuple » à l’entreprise, « c’est l’entreprise, et sa communauté de collaborateurs, qui devient le seul lieu de la liberté, de la créativité et de l’épanouissement », les développements autour de la « ressource humaine » et du « manager », le mérite, la « communauté » comme obsession, la formation de managers ou de leaders, son école de management, la haine de l’abstraction et la survalorisation de la pratique, « La liberté d’obéir et l’obligation de réussir »…

Je souligne les passages sur la loi d’amnistie du 31 décembre 1949… « Par leur présence dans les cercles du pouvoir politique et économique, et ce jusqu’au plus près d’Adenauer, au sein de la chancellerie comme au cœurs des conseils d’administration et des directions générales des plus grandes entreprises, les solidarités SS obtiennent charges et emplois pour les « anciens » »

Une réforme, un nouvel encadrement du travail, cette liberté particulièrement liberticide de l’obéissance et de l’obligation de réussir, la délégation de responsabilité sans la responsabilité de participer aux choix, la « collaboration » dans la double négation du système de socialisation et des oppositions d’intérêt, le non-autoritaire pourtant « pleinement hiérarchique », le choix des moyens et non des fins, « ne jamais penser les fins, être cantonné au seul calcul des moyens est constitutif d’une aliénation au travail dont on connaît les symptômes psychosociaux : anxiété, épuisement, « burn out  »… », la Nouvelle Gestion Publique « devenue une quasi-religion d’État ».

Reinhard Höhn « ancien juriste nazi et général de la SS est toujours célébré, par l’école et son site internet, comme un grand penseur du management et comme l’indépassable créateur de cette institution ».

Je vous souffle à l’oreille le terme ordo-libéralisme et j’extrapole la « maximisation du profit »  ; mais vous aviez fait vous mêmes ce saut dans notre réalité.

En épilogue, Johann Chapoutot fait un rapprochement en l’année 1954, la préparation de son école de cadres par l’ex-général nazi et la publication d’un essai de management L’Ère des responsables par un certain Maurice Papon, un autre criminel. Il parle du management comme discipline universitaire, de production de l’adhésion, du catéchisme des entreprises, de l’autonomie de façade, de l’idée « selon laquelle la vie est une guerre », de la performance, des êtres humains réduit·es en facteur de production, de la subordination inhérente au contrat de travail, de discipliner les femmes et les hommes en les considérant « comme de simples facteurs de production » et de dévastation de la Terre conçue « comme un simple objet »

Johann Chapoutot : Libres d’obéir

Le management, du nazisme à aujourd’hui

nrf essais – Gallimard, Paris 2020, 172 pages, 16 euros


Voir en ligne : https://entreleslignesentrelesmots....

   

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