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Ce samedi, à 15 h, j’ai regardé sur France 2 la retransmission des obsèques de Philippe, duc d’Édimbourg, époux de la reine Élisabeth.

lundi 19 avril 2021 par Philippe Arnaud

La remarque 13 est sans doute la plus originale !(NDLR)

Remarque 1. Thomas Sotto présentait le sujet et, comme à l’accoutumée, Stéphane Bern "officiait" (presque à tous les sens du terme). Parmi les intervenants, à côté de Stéphane Bern, on trouvait Adélaïde de Clermont-Tonnerre [directrice du magazine "royaliste-people" Point de vue], dont le prénom et le nom sont, à eux seuls, tout un programme.

Au début de l’émission, Thomas Sotto eut cette remarque : "C’est un moment d’Histoire (avec un "H" majuscule, au sens d’événement) qu’on va vivre", qu’il a réitérée à la fin : "Les mots sont souvent galvaudés mais on est vraiment en train de vivre un moment d’Histoire".

Cette remarque est révélatrice en ce qu’elle ignore 90 ans de transformation de l’histoire (avec un "h" minuscule, au sens de science du passé), notamment la révolution de l’École des Annales, initiée dans les années 1930 par Lucien Febvre et Marc Bloch, et qui jetait par-dessus bord l’histoire-bataille, l’histoire événementielle, et, surtout, l’histoire des "élites" (et plus encore des "élites" que sont les empereurs, les rois, les aristocrates, les ducs, les princes, les altesses de tout plumage) pour lui substituer l’histoire des masses, l’histoire économique et sociale, l’histoire des prix, des productions, des populations, l’histoire du climat, de l’alimentation, des techniques, des arts, etc.

Pour Thomas Sotto, l’Histoire ne peut-être que la "grande" Histoire, autrement dit l’histoire des "grands"... [On ne s’étonnera donc pas des succès éditoriaux de Lorant Deutsch, Stéphane Bern, Eric Zemmour, Patrick Buisson, comme jadis de leurs prédécesseurs André Castelot, Philippe Erlanger, Jean-François Chiappe et consorts].

Remarque 2. Au cours de la retransmission, un journaliste (Thomas Sotto, me semble-t-il) a évoqué des obsèques "en tout petit comité". S’il entendait par là que ces obsèques n’ont pas eu lieu, dans Londres, ou à la cathédrale Saint-Paul, en présence du gouvernement, du Parlement, du corps diplomatique et de trois millions de spectateurs le long des rues, la formule était exacte.

Néanmoins, une cérémonie diffusée dans le monde entier, sur les télévisions et par Internet, par satellite et par câble ne saurait être dite "en tout petit comité". Il y a même dans cette façon de procéder, une manière hypocritement ostentatoire, comme le choix, par Chateaubriand, de son tombeau sur l’îlot du Grand Bé, sans inscription nominative, pour que tout le monde sache bien qu’il s’agissait là de la sépulture de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe.

Si la famille royale avait réellement voulu "d’un petit comité", elle n’aurait pas convoqué les caméras...

Remarque 3. Les obsèques ne sont pas ce qui en constitue la finalité pratique (inhumer quelqu’un dans un caveau), mais ce qui en est la finalité idéologique et se déroule durant les deux heures précédant cet acte : mettre en scène un spectacle, et un spectacle codifié, à l’exemple de tous les sports que, depuis le XIXe siècle, ont inventés les Britanniques.

On y voit des gens marcher de façon étrange, dans un accoutrement particulier, s’arrêter sans explication, repartir, accomplir des gestes ordinaires de façon bizarre, etc. Le port du cercueil de Philippe, par exemple, par sa gestuelle réglée, fait penser à ces deux moments du rugby (sport éminemment britannique) que sont la mêlée fermée et la touche. Pour lever le cercueil, les soldats (dans l’analogon du maillot qu’est leur uniforme) se placent en face à face, comme les joueurs des équipes qui se disposent pour la mêlée.

De même, les soldats hissent le cercueil sur leurs épaules comme les joueurs hissent celui des leurs qui va attraper le ballon lors de la touche. Plus tard, ils s’immobilisent lors de la montée des marches de la chapelle de Windsor, comme les joueurs s’immobilisent lorsqu’un des leurs s’apprête à frapper un coup de pied de pénalité (ou à transformer un essai).
Et ainsi de suite.

La cérémonie des obsèques du prince Philippe a été un spectacle que la nation britannique s’est offert à elle-même, et dont l’équipe s’appelle famille royale. [Et, pour pasticher la définition du football par l’avant-centre Gary Lineker : "... et, à la fin, c’est toujours la reine qui gagne"].

Remarque 4. Le terme d’Histoire (au sens d’événement) pour parler des obsèques du prince Philippe, est d’autant plus inapproprié que les monarques britanniques n’ont plus de pouvoir depuis la Glorieuse Révolution de 1688 (et leur famille encore moins). Et, dans l’actuelle famille royale britannique, le prince Philippe en avait encore moins que tous les autres, lui qui, exclu de l’ordre de succession au trône britannique, n’était pas même la centième roue du carrosse...

Remarque 5. Au cours de la retransmission, on a souvent entendu que le duc Philippe d’Édimbourg était né prince de Grèce et de Danemark. Cette présentation était fallacieuse : si Philippe d’Édimbourg était effectivement né à Corfou on n’aurait pu, pour autant, le dire Grec (ou même Danois) : ce n’est pas parce qu’une chatte fait ses petits dans le four de la cuisinière qu’on doit les appeler des biscuits...

Remarque 6. Et effectivement, ce que l’on constate, au vu de la généalogie des familles royales d’Europe (toujours en fonction ou non), c’est qu’elles sont étroitement liées entre elles et ce depuis au moins le XVIIe siècle et qu’elles ne font que se recroiser au fil des générations.

Par exemple, le défunt prince Philippe était prince de Battenberg (nom anglicisé en Mounbatten pendant la Grande Guerre). Mais Battenberg était aussi le nom de famille de l’épouse du roi d’Espagne Alphonse XIII (1886-1931), Victoire-Eugénie de Battenberg, arrière-grand-mère de l’actuel roi d’Espagne Philippe VI.

Un autre exemple célèbre de cette parenté est, avant la guerre de 14, celui du roi d’Angleterre George V et du tsar de Russie Nicolas II, qui étaient cousins et se ressemblaient tant qu’après la mort du tsar en 1918, le roi George, en visite auprès des membres de la famille impériale russe, vit des serviteurs de son cousin se jeter à ses pieds, croyant apparaître leur ancien maître ressuscité...

Remarque 7. Au demeurant, les deux monarques (le britannique et le russe) étaient également cousins de l’empereur d’Allemagne Guillaume II. De même que l’actuelle reine Élisabeth II avait deux liens de cousinage avec son époux Philippe : par le roi Christian IX de Danemark et par la reine Victoria du Royaume-Uni. Où veux-je en venir avec ces généalogies ?

À ceci : il n’y a pas, en Europe, une dynastie par pays. Il n’y en a qu’une seule : européenne, endogamique, prolifique, protéiforme...

Remarque 8. En examinant de plus près ce réseau de familles, on constate de surcroît un curieux phénomène : pratiquement toutes incluent (parfois même à l’origine) une dynastie princière allemande. Et qui remonte parfois assez loin. Par exemple :

- Pour les Anglais. J’ai évoqué plus haut la Glorieuse Révolution anglaise de 1688, qui mit fin au règne du roi catholique Jacques II. Les catholiques étant à partir de cette date, exclus du trône, les Anglais, quelques années après, en 1714, allèrent chercher le plus proche parent protestant descendant du roi Jacques Ier : ce fut Georges de Hanovre, petit-fils de Frédéric V du Palatinat, de la maison de Wittelsbach (surnommé "Roi d’un hiver", à l’origine de la guerre de Trente ans).
Puis, en 1840, "un" des successeurs de Georges Ier, la reine Victoria, épousa en 1840 le prince de Saxe-Cobourg-Gotha (qui était par ailleurs son cousin). Et, plus tard (je passe les intermédiaires), l’actuelle reine Élisabeth épousa, en 1947, Philippe de Battenberg (issu d’une lignée morganatique de la maison allemande de Hesse).

- Pour les Belges. La maison royale de Belgique est issue de cette même maison de Saxe-Cobourg-Gotha, ainsi que de la maison bavaroise de Wittelsbach.

- Je passe sur les autres maisons royales d’Europe, l’une des plus caractéristique étant celle de Russie dont, depuis 1762 avec le tsar Pierre III (qui était d’ailleurs né Karl Peter Ulrich de Holstein-Gottorp) tous les souverains, jusqu’à Nicolas II, (le dernier), eurent une mère et une épouse allemandes. [Lors des obsèques du prince Philippe, il y eut une trace de cette parenté germanique dans la présence du prince Bernard de Bade, du prince Heinrich Donatus de Hesse et du prince Philippe de Hohenlohe-Langenburg].

Remarque 9. Pourquoi cette omniprésence de dynasties allemandes dans pratiquement toutes les familles royales d’Europe (et, parfois de rameaux secondaires de ces dynasties) ?
En raison du prestige du Saint-Empire romain germanique ?
De sa position au centre de l’Europe (prolongée, jusqu’en 1918, par les empires allemand et austro-hongrois ?
Du fait qu’il n’y eut longtemps pas de monarque unique (comme en France) dans l’espace germanique et que les souverains locaux, même régnant sur un mouchoir de poche, y conservaient un statut princier, consacré par la Diète d’Empire, bien au-dessus de celui des aristocrates des autres pays ?

Remarque 10. Cette endogamie, cette multiplicité de liens croisés, souvent sur plusieurs générations, sont d’ailleurs une des caractéristiques des classes hyper-privilégiées, qui explique pour partie leur solidité, leur cohésion, leur capacité de résistance et de réaction aux revendication du reste de la population.

Cela commence (comme le disent les Pinçon-Charlot dans Le Monde diplomatique de septembre 2001) par les rallyes, où les pères et mères convient les enfants "bien-nés", dès l’âge de 10-13 ans, à des sorties culturelles, à des soirées dansantes, à des lunchs, afin que ceux-ci apprennent à se connaître et qu’au moment où s’amorcent les flirts, les premières amours, ils évitent les "mésalliances".

Puis cela se poursuit, à l’âge adulte, par la fréquentation de cercles de sociabilité (où l’on est reçu par cooptation) comme le Jockey Club, le Club de l’Union interalliée, le Dîner du Siècle, plus tous les cercles plus discrets, mais tout aussi prestigieux, où se rencontrent "les élites" de la naissance, de l’argent et des talents.

Remarque 11. Ces liens croisés ne se nouent pas uniquement entre personnes physiques, ils existent aussi entre personnes morales. Par exemple par l’entrée réciproque au capital de deux ou plusieurs entreprises, par la participation de leurs dirigeants aux conseils d’administration des entreprises dans lesquelles ils ont investi. Les classes privilégiées entretiennent entre elles une multiplicité de relations dont les classes moyennes n’ont pas idée. Ces classes sont entre elles comme les atomes du diamant par rapport aux atomes du graphite, très solides car arrimés les uns aux autres par de multiples liens..

Remarque 12. En cherchant les articles sur la généalogie, on tombe, à un moment ou à un autre, sur le généalogiste allemand Stephan Kékulé von Stradonitz, qui popularisa une méthode d’arbre généalogique ascendant connue sous son nom. [L’individu-source y est numéroté 1, son père 2, sa mère 3, et ainsi de suite. Chaque père reçoit un numéro du double de son enfant et la mère le numéro de son conjoint plus 1.
Et, parfois, l’arbre généalogique n’y est pas présenté de façon classique (comme un arbre) mais sous-forme d’une série de cercles concentriques, l’individu-source figurant dans le cercle central.] Et Stephan Kékulé von Stradonitz (en 1898-1904) dressa 79 tableaux d’ascendance de souverains européens et de leurs conjoints. Mais ce n’est pas à ce digne généalogiste que je souhaite m’arrêter mais à son père, qui fait l’objet de la remarque suivante.

Remarque 13. Le père de Stephan Kékulé von Stradonitz s’appelait Friedrich August Kékulé von Stradonitz et il était non pas généalogiste mais chimiste. Parmi ses découvertes figure celle de la formule développée du benzène. Ce qui m’a fait passer de l’un à l’autre a été leur façon de représenter graphiquement leur découverte, par des cercles concentriques et une formule mathématique simple pour le fils, par la présentation cyclique du benzène pour le père.

Il m’est alors venu l’idée [que je soumets à votre jugement] que les liaisons des dynasties européennes (autour d’un petit nombre de familles de base : Hesse, Saxe, Glucksbourg, Holstein, Hohenzollern, Wittelsbach...) s’apparentent aux combinaisons de la chimie organique, où un petit nombre d’atomes (carbone, hydrogène, oxygène, azote...) s’agglomèrent pour former des assemblages diversifiables presque à l’infini, ce qui expliquerait à la fois leur air de parenté, leur solidité et leur plasticité.

Ainsi, de manière inconsciente - mais instinctive - les classes dominantes (et, parmi elles, les classes hyper-privilégiées) reconstitueraient-elles, au niveau de leur groupe social, ce qui advient au niveau de la matière, en cherchant, chaque fois, à lui conférer la cohésion la plus solide.

   

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