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{in memoriam} : Idriss Deby, Roland Weyl

vendredi 23 avril 2021 par Francis Arzalier, ANC

Deux personnages viennent de mourir le 20 avril 2021, et, comme de coutume, ils méritent qu’on rappelle leur séjour parmi nous. D’autant qu’ils racontent à eux deux un siècle d’Histoire des relations entre la France, et les peuples africains.
L’usage habituel veut qu’on s’incline devant la dépouille d’un trépassé, qu’on ne dise d’un mort que ses qualités mémorables. Même si l’on sait bien que tout humain a ses défauts et ses contradictions.

Au risque de choquer les belles âmes hypocrites, je n’émettrai aucun sanglot pour la disparition inattendue d’Idriss Deby, dictateur de l’État du Tchad depuis 30 ans, et pilier avéré de l’intervention militaire française au Sahel.

Idriss Deby est né en 1952 dans une famille d’éleveurs Zaghawas de l’est du Tchad, colonie de la France. Un pays dont les frontières ont été artificiellement tracées par l’administration coloniale, rassemblant des " ethnies" différentes sans volonté nationale préalable, Zaghawas de l’est aride proche du Soudan britannique, Gorane au nord proche de la Libye, et agriculteurs des rives du lac Tchad.

1952, c’est à dire 8 ans avant les Indépendances octroyées par le gouvernement du Général De Gaulle, corsetées par des accords imposés aux nouveaux dirigeants africains. Une époque de transition, qui fit passer l’Afrique Occidentale de l’Empire colonial à un émiettement d’États théoriquement indépendants, mais enchaînés à l’orbite française, économiquement, politiquement, et militairement, dans ce qui sera nommé par certains la Françafrique, et par d’autres le néo-colonialisme.

Un système de sujétion au profit de l’ancienne métropole, assuré par une génération de dirigeants africains formés, choisis et adoubés par la France, et maintenus au pouvoir par elle en cas de besoin.

L’itinéraire d’Idriss Deby est une illustration parfaite de ce passage de relais entre la colonisation directe et le néo-colonialisme qui caractérise la région jusqu’à aujourd’hui.

Enfant, le jeune Idriss va à l’école française, créée par l’administration pour fabriquer des "évolués ", futurs cadres subalternes de la colonie. Il suivra ensuite la filière permettant d’accéder à la carrière d’officier, l’un de ces guerriers tchadiens très appréciés de l’État-major français, depuis le rôle qu’ils ont joué dans l’armée de la "France Libre "de Leclerc en 1943.

Idriss Deby sera élève de l’école d’officiers de Djamena, et ira ensuite perfectionner sa formation militaire en France. Ses qualités reconnues de " baroudeur " le feront rapidement progresser dans la hiérarchie militaire de son pays, et il ne tardera pas à se mêler des conflits internes qui le déchirent, entre factions qu’opposent leur origine ethnique, et surtout les ambitions des chefs militaires.

Dans ces conflits, qui génèrent une véritable guerre civile de 1979 à 1982, Idriss Deby sera toujours aux côtés du protagoniste soutenu par la France, et les agents de la DGSE. C’est avec la France qu’il aidera Hisséne Habré à supplanter Goukouni Oueddei, et c’est avec le soutien des Jaguar français qu’il dirige une guerre victorieuse contre les Libyens de Khadafi en 1987. Et quand en 1990, la France de Mitterrand, furieuse de voir le même Président tchadien Hisséne Habré soutenir les USA alliés alors aux Libyens (!), décide de s’en débarrasser, c’est au profit d’Idriss Deby que se fait le coup d’état militaire organisé par la DGSE !

Un exemple caricatural du mode de fonctionnement du "pré-carré" français, où le pouvoir tient plus aux barbouzes de la DGSE qu’au peuple lui-même, tenu en laisse par la terreur et le clientélisme ethniciste.

Et depuis, il a régné en dictateur sur son peuple, muselé par une répression féroce, avec l’aide des espions et soldats français chaque fois que se dessine un soulèvement armé, en 2006, 2008, et en 2019.

Tout au long de cette Présidence, Idriss Deby a toujours été présent au service des autorités françaises, en soutenant l’intervention militaire au Sahel malien dès 2013 (Serval, puis Barkhane), en participant aux côtés de la France aux guerres civiles en Centrafrique. Et encore tout récemment, le Président Macron s’était fort félicité du renfort d’un contingent tchadien à l’Opex Barkhane en difficulté sur le terrain. Des guerriers fort efficaces d’après l’État-major français, mais au prix fréquemment de pillages et viols dans les villages, par exemple de Centrafrique, même si le TPI de La Haye ne semble distinguer les crimes de guerre que s’ils sont commis par des ennemis de l’Occident...

C’est finalement ce 20 avril 2021, lors de combats contre les opposants armés du FNACT, fortifiés dans les montagnes désertiques du Tibesti, aux limites de la Libye, que le guerrier Deby, autoproclamé Maréchal avant de se déclarer "réélu" Président par 79 pour cent des électeurs ( aucun autre candidat n’était autorisé à concourir ! ), est mort.

Ce qui risque de poser quelques problèmes à son ami Macron, bien ennuyé de ne pouvoir célébrer les " qualités " de son ami, un peu encombrant en période électorale.
On ne sait quelles conséquences aura cette disparition, pour Barkhane, et le Tchad, même si son fils, " Kaka " Deby, Général de 36 ans formé par l’armée française, s’est empressé de se proclamer chef d’une " transition" gérée par les militaires.

La disparition du despote.ne signifie donc pas la mort du système néo-colonial. Il faudra pour cela des luttes populaires plus fortes encore en Afrique et en France. Ce serait profitable aux peuples des deux côtés de la Méditerranée.

Lire à la fin de l’article le texte des opposants tchadien, le FACT


Ce même 20 avril, est décédé l’avocat français Roland Weyl,
à l’âge de 102 ans. Issu d’une famille de juristes, il était destiné à rejoindre lui aussi le barreau parisien, dans lequel frétillent tant "d’avocats d’affaires", enrichis au service des patrons de l’industrie et de la banque, des politiciens leurs fondés de pouvoir, et de milliardaires délinquants.

Les mesures antisémites prises par les autorités françaises de la France vaincue par le Nazisme interdisent au jeune juriste de devenir avocat avant la Libération du pays. C’est peut-être cette vexation xénophobe qui pousse le jeune homme de vingt ans, de famille aisée, à devenir un militant au service des persécutés.

Il le fait d’abord durant la guerre à Lyon, au sein des Auberges de Jeunesse, créées par Pétain, mais vivier de Résistance antifasciste. Sa longue carrière d’avocat, à partir de la Libération, sera toute consacrée à la défense des opprimés, syndicalistes persécutés par le patronat, combattants anticolonialistes de France et Africains. Et cela, adossé aux organisations qui luttent pour une société plus juste, contre le Capitalisme et le Colonialisme français.

Le Parti Communiste Français, dès 1946 ; le Secours Populaire Français, le Mouvement de la Paix ;
Il est même parmi les fondateurs de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, dont il sera l’animateur durant des décennies. En 1957, il sera l’un des défenseurs des jeunes soldats français qui ont refusé de servir sous les ordres de l’ancien nazi Hans Speidel, nommé par les Occidentaux à la tête des troupes de l’OTAN.

Mais surtout, dès 1951, il se consacre avec d’autres avocats anticolonialistes (Pierre Kaldor, Gisèle Halimi, etc…) au service des militants africains, notamment Ivoiriens, et plus tard du FLN algérien, emprisonnés et menacés de la guillotine par les autorités coloniales. En 1957, un véritable pont aérien des avocats est organisé par le Secours Populaire (qui sait alors ne pas se limiter au charitable) entre Paris et Alger, pour aller s’opposer aux condamnations à mort de militants poursuivis sur ordre des ministres " de gauche " comme Mitterrand.

Roland fut un des organisateurs de ce " collectif d’avocats ", militants français anticolonialistes, qui furent l’honneur du peuple de notre pays, quand tant d’autres le déshonoraient. Juriste reconnu, il le fut dans les prétoires au service des plus faibles, y compris sur le plan international, jusqu’à sa vieillesse.

Puis vint l’enlisement du PCF dans l’opportunisme électoral de " l’Union de la Gauche ".
Je conserve un souvenir des temps de "mutation", quand Roland vint participer un jour à une rencontre organisée par le Collectif Communiste Polex, fondé par des militants écartés de leur Parti pour avoir refusé les dérives droitières. Sa seule présence, alors qu’il était très au fait des débats internes au PCF, montrait qu’il était lui aussi inquiet de l’érosion des fondamentaux communistes.

Mais jusqu’à la fin de sa vie, il resta fidèle au Parti de sa jeunesse, en poursuivant ses actes militants sur le plan juridique.

Nous n’étions pas d’accord sur ce point, mais je ne peux que respecter son attachement viscéral, et saluer aujourd’hui une vie, toute entière vouée à ses idéaux d’égalité sociale, de paix, et d’égalité entre les peuples.

23/04/ 2021

   

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