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L’Iran sur les routes chinoises de la soie

samedi 9 octobre 2021 par Paul-Arthur Luzu

Les routes historiques de la soie sont indissociables de la Perse où Marco Polo pensait avoir découvert le tombeau des Rois mages dans la ville de Saba, actuellement Saveh au sud-ouest de Téhéran. Pourtant la première image de ces artères commerciales est moins celle des caravanes que celle des trains affrétés depuis la Chine vers l’Europe et serpentant à travers l’Asie centrale.

Les « nouvelles routes de la soie » chinoises formellement dénommées Initiative ceinture et route (Belt and Road Initiative, BRI) par Pékin consistent en un ensemble de liaisons maritimes et ferroviaires couplées d’investissements, principalement financiers, permettant de relier la Chine à l’Europe pour faciliter le commerce bilatéral.

Depuis son lancement formel en 2013, l’initiative a largement dépassé son cadre initial pour impliquer un nombre croissant de pays y compris en Afrique et au Proche-Orient.
D’abord dédié aux infrastructures, le projet se décline désormais dans d’autres secteurs. On parle ainsi de “Digital Silk Road”, “Innovation Silk Road”, « Green Silk Road », etc. Le plan général permet, au-delà de la dimension commerciale, de renforcer le soft power, le poids géopolitique et l’emprise chinoise — notamment financière ou technologique — à l’étranger.

Les nouvelles routes de la soie sont avant tout des liaisons maritimes avec des investissements considérables dans des ports stratégiques pour l’acheminent des biens chinois vers le marché européen comme les marchés intermédiaires. Elles sont aussi les voies par lesquelles la Chine importe les matières premières et autres produits dont elle a besoin pour continuer à se développer.

Dans ce contexte, l’Iran présente un intérêt limité, sauf pour le port de Chabahar, à l’extrême sud-est du pays, idéalement placé dans le golfe d’Oman, voie de passage importante pour le transit des hydrocarbures des pays producteurs de pétrole du golfe Persique vers les marchés étrangers.

On retrouve néanmoins quelques investissements classiques de la BRI dans les routes et le rail. La modernisation de la ligne Téhéran-Mashad, deuxième plus grande ville d’Iran, située dans le nord-est, en est l’illustration la plus visible. Il s’agit surtout d’investissements importants dans les autres dimensions de la BRI : ainsi la Digital Silk Road avec le futur projet de déploiement de la 5G, l’Innovation Silk Road en partenariat avec l’Académie des sciences chinoise, la Green Silk Road avec des projets de stations solaires à travers des entreprises d’État chinoises, etc.


Les nouvelles routes de la soie Source : Atlas des nouvelles routes, Courrier international, septembre-octobre 2018

Un partenariat de 25 ans

Dès lors, les investissements chinois les plus conséquents prennent place en dehors du cadre formel de la BRI. À cet égard le partenariat stratégique pour 25 ans signé en mars 2021à Téhéran après des années de négociations fournit uniquement un cadre formel aux investissements du premier partenaire commercial de l’Iran.

Les chiffres dévoilés par la presse ne sont que des spéculations sur le potentiel de l’accord sans que l’on sache si les projets qui seront annoncés résultent de cet accord ou si ce n’est que la finalisation d’investissements déjà initiés. Cette annonce a plus une portée diplomatique qu’économique à l’intention de la nouvelle administration américaine. Elle montre que l’Iran a des partenaires économiques sérieux alternatifs aux Occidentaux.

Pour autant, la dimension mineure de la BRI pour l’Iran ne doit pas faire oublier que le pays s’inscrit désormais dans le développement régional eurasiatique, bien au-delà de la Chine, dont il souhaite bénéficier et être un acteur actif. Cette dimension de la politique étrangère tournée vers l’Eurasie n’est pas nouvelle, mais elle s’est accélérée avec la mise en place de la BRI.

On retrouve ainsi un premier pas significatif en 2013, année du lancement des nouvelles routes de la soie, lorsque le Kazakhstan a hébergé les discussions sur le nucléaire iranien. En 2014, des projets ferroviaires Iran-Turkménistan-Kazakhstan sont engagés avec, en 2016, le premier train de fret arrivant directement de Chine en quatorze jours seulement.
On constate ensuite une accélération avec, en 2018, le traité sur la mer Caspienne jusqu’alors en attente, puis avec une tournée diplomatique iranienne majeure en Asie centrale en 2021, suivie de l’annonce d’une demande d’adhésion à l’Union économique eurasiatique (UEEA), un organisme de coopération qui regroupe la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizistan.

Cet intérêt diplomatique renouvelé pour la frontière nord s’est fait en parallèle d’investissements dans les infrastructures par d’autres acteurs que la Chine. Le projet de corridor commercial nord-sud (Inde, Iran, Azerbaïdjan, Russie), un autre serpent de mer, renaît de ses cendres grâce aux investissements indiens dans le port iranien de Chabahar.
Celui-ci pourrait d’ailleurs constituer une excellente alternative au projet ouzbek d’accès aux ports pakistanais via l’Afghanistan, dont la situation intérieure vient de subir un profond bouleversement et qui fait l’objet de nombreuses attentes — en particulier sécuritaires.

Contourner les sanctions américaines

Les sanctions secondaires américaines qui touchent l’Iran et les restrictions bancaires qu’elles engendrent restent des freins importants, mais pas rédhibitoires pour le commerce. Les circonstances se prêtent à des canaux financiers alternatifs que n’acceptent pas les entreprises européennes, tels la vente par le Kazakhstan de licences financières [1] incluant les cryptomonnaies, le secteur bancaire ouzbek ancien et en cours de privatisation avec l’emploi de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (Swift) [2] et de son équivalent russe, l’arrivée annoncée du e-yuan [3], etc. Même de manière indirecte, Téhéran est donc en bonne position pour bénéficier des nouvelles routes de la soie.

Le Kazakhstan en est un excellent exemple. Première économie d’Asie centrale, le pays est également un partenaire actif de l’Iran. Son ambassade à Téhéran a mené plus de cinquante évènements, rien qu’en 2020, pour promouvoir les relations économiques bilatérales. Aucun pays européen ni même arabe ne peut en dire autant.
Par ailleurs — et c’est notable —, les échanges sont réellement bilatéraux. On retrouve plusieurs grandes entreprises iraniennes dans tous les secteurs à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan. Comme d’autres avant lui, ce pays pourrait devenir une plateforme commerciale d’importance pour l’Iran.

Au-delà des seules opportunités économiques, la République islamique poursuit plusieurs objectifs dans sa politique de raccordement aux nouvelles routes de la soie : désenclavement et développement – et sécurisation.

Par exemple, le traité de la mer Caspienne de 2018 empêche toute présence militaire étrangère sur cet espace commun. Durant son mandat, le président Donald Trump a allié pression extrême sur l’Iran et désintérêt quasi total pour l’Asie centrale. Téhéran a profité de ce vide pour renforcer sa position et pour postuler avec succès comme membre à part entière, auprès de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), une organisation sécuritaire et économique régionale liée à la Chine (et à la Russie).

Cependant la Chine poursuit des objectifs stratégiques régionaux qui peuvent diverger de ceux de l’Iran. Elle vise ainsi, dans le Golfe, à promouvoir positivement la BRI, mais aussi à trouver de nouveaux marchés pour ses investissements et ses entreprises. Il s’agit également de sécuriser son approvisionnement énergétique via le détroit d’Ormuz qui relie le golfe Persique au golfe d’Oman. Enfin, elle vise à s’implanter durablement, sans pour autant contester frontalement l’hégémonie revendiquée par les États-Unis dans cette zone.

Il s’agit donc pour les Chinois d’équilibrer leurs relations commerciales avec les Saoudiens et les Iraniens et d’éviter toute escalade qui indisposerait les États-Unis. Pékin a besoin à la fois du pétrole à bas prix que l’Iran lui assure, faute d’avoir d’autres débouchés du fait des sanctions américaines, et du soutien arabe aux nouvelles routes de la soie.
Pékin se félicite ainsi de pouvoir aider une puissance régionale opposée à son concurrent américain sans pour autant être associé de trop près à un État considéré comme un paria par certains de ses voisins du sud. Il adopte donc une attitude attentiste et équilibrée. Elle pourrait toutefois évoluer si la rivalité sino-américaine se déplaçait vers l’est et que le désintérêt relatif de Washington pour le Golfe se confirmait.

L’Iran est un acteur mineur dans le plan de développement annoncé par Pékin, mais peut envisager d’en tirer quelques bénéfices directs en accueillant des investissements structurels minimums, mais stratégiques pour son partenaire chinois. De plus Téhéran peut espérer, à terme, devenir un acteur important dans la zone eurasiatique. La BRI crée des conditions de développement régionales nouvelles dont l’Iran, déçu par l’Europe à l’ouest et avec des partenaires limités au sud, souhaiterait bénéficier commercialement.

Il convient d’observer avec prudence les évolutions de ces prochains mois. Ainsi le premier sommet quadripartite (Iran, Ouzbékistan, Inde, Afghanistan) sur l’usage commun de Chabahar aura lieu cet automne 2021. Reste à savoir si le communiqué reprendra la vision indienne de corridor nord-sud, un réseau ferroviaire acheminant les biens indiens vers l’Europe à travers le territoire iranien.

Au-delà de l’exercice toujours périlleux de la prospective, une chose est déjà certaine : le mouvement de fond décrit précédemment va avoir un impact au Proche-Orient où l’Iran est un acteur essentiel. Regarder vers le nord ne détournera pas le pays de son statut d’acteur incontournable au sud.

Photo de une : Téhéran, 15 février 2016. Arrivée du premier train de marchandises reliant la Chine à l’Iran, en présence d’officiels iraniens. Stringer/AFP


Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/l-i...


[1Ce type de licence de banque centrale permet d’opérer comme prestataire de service de payement, agent de change ou encore pour des transactions en cryptomonnaie.

[2Système de communication interbancaire le plus répandu au monde, facilitant ainsi la remontée d’information aux autorités américaines.

[3Première monnaie numérique émise par la banque centrale d’une grande puissance économique, facilitant les transactions hors dollar et sans Swift.

   

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