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« Le poids des mots, le choc des photos »

samedi 27 novembre 2021 par Francis Arzalier (ANC)

Cette phrase fut le slogan publicitaire de l’hebdo Paris Match il y a 70 ans, quand la presse française était encore composée de quotidiens sérieux nés de la défaite des occupants. L’Humanité, journal du PCF et sa cohorte provinciale, Marseillaise et Écho du Centre.
Libération, né du croisement d’un réseau de Résistance anti-nazie, et du Parti Progressiste, de l’anti-colonialiste aristocrate D’Astier de la Vigerie.
Et d’ex-quotidiens Vichystes convertis au Gaullisme, à la Social-Démocratie, ou à la Démocratie Chrétienne, Le Parisien dit Libéré, France Soir, Le Monde, issu du Temps d’avant la guerre, Le Figaro, et d’autres du même tonneau, tous anticommuniste, mais d’affiliations politiques diverses.

Une autre époque que la nôtre, marquée par les victoires de l’URSS et des Résistances antifascistes. Une époque en tout cas où la majorité des journalistes et des partons de presse pratiquaient un code moral reposant sur le respect des faits et des sources, le commentaire venait en second. Seuls quelques-uns d’entre eux, et notamment à Paris Match, étaient friands de « scoops » à l’anglo-saxonne, se parfumaient volontiers aux relents de sexe et de sang, qui font grimper le tirage et donc les profits des actionnaires.

Certes, les pressions de dirigeants, politiciens et Capitalistes, étaient fréquentes, mais jusqu’à la décennie 70 du XXéme siècle, la presse et les pouvoirs économiques et politiques formaient des mondes séparés, parfois antagonistes. La preuve en est, à contrario, la censure fréquente des quotidiens et des hebdomadaires durant la guerre coloniale d’Algérie, parce qu’ils dénonçaient tortures et répression. Cette sanction politique fut infligée des dizaines de fois au journal L’Humanité, mais aussi à l’Express, l’Observateur, etc… dès 1955.

La gouverne Gaulliste, de 1958 à 70, vit l’émergence de la télévision, et des radios miniaturisées (transistors) et le chef de la Véme République sut tirer profit de ces nouveaux médias, d’une efficacité accrue pour influer sur l’opinion (contre les putschistes d’Alger par exemple). Mais les journalistes, massivement rétifs à la servilité, savaient alors démontrer leur indépendance. Ceux de la télévision d’État eurent le courage en 1968 d’engager une grève massive aux côtés des salariés, que beaucoup payèrent de leur exclusion des micros et des caméras par la suite.

Une insurrection impensable au XXIéme siècle, car la reprise en main des différents médias se doubla de mutations technologiques et financières qui en firent le cœur de la contre-révolution idéologique libérale de la fin du XXéme siècle.

1/ la première étape fut la répression contre les journalistes grévistes de 68, et leur remplacement par des confrères choisis pour leurs solides convictions libérales et anticommunistes, au-delà de leurs attachements à divers partis politiques. Sous les gouvernances de Pompidou, puis de Mitterrand, les dirigeants politiques successifs mirent en pratique progressivement les axiomes d’Orwell : il n’est pas besoin de censure et d’oukases pour contrôler le discours médiatique, il suffit au départ de bien choisir parmi les journalistes ceux qui auront accès à la parole et à l’image.

2/ les vecteurs d’information, télévisions, radios et presse écrite, connurent un véritable tsunami libéral de privatisation capitaliste : Europe I, RMC, RTL, TFI, Canal Plus, devinrent progressivement plus influentes que les « publiques « France Inter ou la Deuxième chaîne.

Et cette loi du privé commercial, insidieusement, s’est progressivement étendue à l’ensemble des médias, par l’introduction du financement par la publicité. Il fallait pour survivre faire de l’audience, appâter les lecteurs, et pour cela cultiver le scoop, vrai ou faux peu importe, qui « fait le buzz », recruter des clients sur la base des plus bas instincts, ce qui amène plus de ressources publicitaires, ou complaire à tel ou tel mécène intéressé.

Cette « dérive marchande » à peu à peu englouti corps et biens les journaux les mieux intentionnés, y compris ceux militants qui ne disposaient pas du support d’un parti politique, et les télévisions qu’elles soient d’État ou privées, animées de la même logique marchande et libérale. Ce fut encore plus vrai avec l’apparition des chaînes d’info continues, pour lesquelles l’avalanche de faits et l’immédiateté prime sur la vérification des sources.

3/ une véritable mutation technologique a bouleversé le champ médiatique au tournant des deux siècles, lui conférant une puissance de conviction idéologique et politique qui n’avait jamais existé dans l’histoire. L’appareil médiatique actuel est en capacité de faire accepter par la majorité de l’opinion une affirmation (vraie ou fausse), tout au moins durant quelques jours. Les appareils d’État et les idéologues de Louis XIV, de Napoléon Ier ou de De Gaulle ne disposèrent jamais d’un tel pouvoir de formatage des esprits. Cette puissance idéologique passe depuis la fin du XXéme siècle par la télévision surtout en milieux populaires, par les infos, mais tout autant par les jeux, les humoristes, les séries, la publicité, diffusant le même credo idéologique libéral, individualiste, consumériste et « apolitique ».

C’est ainsi notamment qu’en quelques décennies, on a développé sans relâche dans les milieux les plus exploités les thèmes du « tous pourris », confondant allègrement politiciens corrompus et militants intègres, et parvenant ainsi de 2017 à 22, à créer l’abstention massive, et à dériver les colères populaires vers la xénophobie raciste, l’extrême droite sécuritaire, et la destruction des partis politiques, qui avaient structuré le fonctionnement des Républiques successives.

La croissance exponentielle des « réseaux sociaux à côté des médias classiques n’a rien changé fondamentalement. Certes ils donnent une illusoire impression de liberté individuelle à leurs utilisateurs, mais sont étroitement contrôlés financièrement et idéologiquement par des multinationales essentiellement états-uniennes (GAFAM), et ne font la plupart du temps que refléter les thèmes idéologiques libéraux, en les simplifiant souvent jusqu’à l’outrance et à l’insulte.

4/ Cette « révolution médiatique » pourrait être orientée différemment, mais comme il en est de toute mutation technologique, elle est au service de qui la possède, et de ce fait en contrôle l’usage… En l’occurrence en France, la propriété de cet instrument a été un enjeu idéologique majeur, disputé entre les Capitalistes, et l’État au service de la grande Bourgeoisie.
Le discours officiel sur « le service public d’information », incarné par le CSA par exemple, n’a pas changé d’un iota cette réalité, qui s’est traduite par une concentration capitalistique effrénée dès la fin du XXéme siècle.

Ce n’est pas un phénomène nouveau : en 1980 déjà, on pouvait s’inquiéter de voir le milliardaire Hersant contrôler 40% de la presse écrite nationale, et 20% de celle régionale. Dans un environnement capitaliste, les profits à tirer des médias sont importants depuis longtemps, et motivent les investissements.

Mais les enjeux idéologiques se sont considérablement accrus au XXIéme siècle, et se sont traduits par une véritable ruée des capitaux sur les médias, que se répartissent aujourd’hui quelques dizaines de financiers, maîtres du CAC 40. On y trouve Bouygues, grand patron de travaux publics, mais aussi de TF1, M6, RTL, etc…On y rencontre Drahi, qui contrôle le quotidien Libération, l’hebdo l’Express, la télé BFM et la radio RMC. On y découvre Niel, qui parraine Le Monde, et le serveur internet Free. Et on y croisait déjà il y a 20 ans l’industriel breton de la « France-Afrique » Bolloré, dont nous reparlerons pour ses récentes frasques.

En 2017, tout ce petit monde, au-delà de ses concurrences, s’est mis d’accord pour introniser le candidat du CAC 40, Emmanuel Macron, en faisant d’abord place nette par l’élimination médiatique de Fillon, trop englué dans ses "affaires", en organisant ensuite la promotion médiatique de cet inconnu "ni Droite, ni gauche", son élection à la Présidentielle (contre le danger Le Pen !) et celle de sa majorité parlementaire.

Et cela continue en 2021, les télévisions d’État et privées réduisant l’actualité quotidienne aux déplacements publicitaires du Président à réélire, et faisant par le biais de Zemmour la promotion des idées d’extrême droite, en mettant comme thème central du "débat national" le danger immigré et islamique.

5/ À ce sujet, le dernier épisode de cette saga capitaliste des médias français en 2017 mérite d’être raconté.
Bolloré, le milliardaire breton qui fit une partie de sa fortune grâce au soutien des pouvoirs d’État français en Afrique néo-coloniale, de travaux publics sénégalais en portuaire en Côte d’Ivoire, fut en 2017 un « ami » résolu de Macron, et en resta proche quand il fut Président. Jusqu’au jour où leurs relations se tendirent du fait de la goinfrerie capitalistique de « Vincent ». Ce dernier, en effet, semble avoir rejoint récemment un projet politique grandiose, plus politicien qu’économique, la grande réunion des Droites cléricales dont il fait partie (ce fut un proche des Manifs pour tous, contre l’IVG légale), et de l’extrême Droite nationaliste, identitaire, voire raciste.

Le patron de Vivendi, géant industriel présent dans plus de 100 pays, héritier de l’ancienne Compagnie Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux et du Groupe Suez, a délibérément décidé pour cet objectif de conquérir l’univers médiatique, et y est en partie arrivé.

En matière de télévision, le groupe Canal plus en 2016, un ensemble « divertissement » avec son fleuron C8, dont le maître à penser est Cyril Hanouna, et un groupe d’infos continues, avec C News, chapeauté par le chroniqueur « identitaire » Éric Zemmour, tous deux choisis et choyés par « le patron ».
En matière de radio, Europe I, plus récemment, et en presse écrite, Paris-Match, le Journal du Dimanche. Mais cet empire médiatique touche aussi l’édition, (Hachette, la Table-Ronde), la collecte d’informations (Havas), et les technologies informatiques.

Tout cela est décrit de façon magistrale dans l’enquête d’Ariane Chemin et Raphaële Bacqué (magazine Le Monde, du 20/11/2021). Il est vrai que le propriétaire du Monde est le concurrent avéré de Bolloré, tout aussi attaché que lui au capitalisme médiatique, avec d’autres réseaux politiciens.

Cette offensive capitalistique a permis à la nébuleuse Bolloré d’organiser à partir de sa vedette de CNews l’opération médiatique qui a fait de Zemmour et de ses éructations identitaires (le grand remplacement par les Musulmans !) le centre du « débat » pré-électoral français…
Résultat, alors qu’il n’est pas encore candidat, il est devenu le personnage quasi-exclusif de la pré-campagne. Ses idées xénophobes étaient approuvées en novembre par un Français sur 5, et les deux candidats d’extrême droite totalisaient le tiers des intentions de vote !

À tel point que Macron, pas mécontent au départ de la promotion Zemmour, qui lui avait semblé le seul moyen d’affaiblir ses concurrents Républicains, voua dès lors Vincent et son rêve réactionnaire aux gémonies, oubliant en avoir parrainé les prémices. On ne sait quelle sera l’issue de ce dérapage politicien mal contrôlé. Il démontre en tout cas la nocivité idéologique de cette intrusion capitalisto-libérale dans le pugilat électoral.

Les médias actuels sont devenus en France un danger premier pour toute aspiration à la Démocratie, un vecteur de manipulation idéologique contre l’égalité entre les hommes et les peuples, contre la paix civile et internationale.

Comment, dès lors, rendre les médias à leur mission première, qui est d’informer les citoyens des faits d’actualité, en assurant le respect des sources, et le pluralisme des opinions dans les commentaires ?

De multiples propositions de réforme des médias se bousculent. Il est vrai que tous les sondages disent que de plus en plus de Français affirment ne plus les croire.

Ainsi, moins d’1/4 des Français (24 %) déclarent avoir foi en ce qu’ils lisent ou voient dans la presse soit une chute de 11 points depuis l’année dernière.(NDLR)

Certaines sont hypocrites, énoncées par les profiteurs du système, d’autres, qui dénoncent juste, sont naïves, et incapables d’apporter une solution.

Ainsi celle de Nicolas Vescovacci, du Collectif « informer n’est pas un délit », cité dans le dossier publié par l’Humanité du 24/11/2021 (« l’inquiétante concentration des médias »), qui propose de « créer une sorte de cordon sanitaire entre les actionnaires et les rédactions ». Une idée très en vogue dans certains milieux médiatiques de la « gauche » ralliée au libéralisme, qui juge que tout serait pour le mieux si les journalistes occupant les micros et les écrans avaient une totale liberté d’expression. Le problème est qu’ils l’ont déjà, après avoir été choisis par les, dits actionnaires et leurs managers pour leur fidélité aux dogmes libéraux, et leur aptitude à les diffuser.

En toute structure économique ou sociale, le propriétaire est aussi décideur.
Pour faire des médias un service public d’information et de culture, il faudra donc en transformer radicalement la propriété, l’enlever aux Capitalistes qui se la partagent, et en faire une propriété collective, nationale, et sous le contrôle des citoyens. Ce qui implique une véritable mutation de l’État, aujourd’hui de la Bourgeoisie possédante et dominante, et la mise en place d’un État représentatif de la majorité qui n’a que son travail pour vivre.

Une véritable Révolution politique et sociale, qui a nom le Socialisme.

Bien sûr, rien n’interdit d’ici ce basculement révolutionnaire, de mener des luttes pour combattre les dérives médiatiques actuelles pied à pied. Mais ne perdons pas l’objectif ultime de vue, que tout candidat à la présidentielle réellement anticapitaliste devrait l’inscrire dans son programme.

Qui pourrait croire une seconde que des progrès sociaux et politiques réels et durables pourront voir le jour en France tant qu’y durera cette mainmise capitalistique et étatique sur les médias ?

Photo Une : Bolloré en costume breton au centre...

27/11/2021

   

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