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L’Afrique ne veut plus être l’arrière-cour de l’Europe

jeudi 3 février 2022 par Sergio Cararo (rédacteur en chef de Contropiano.org)

Il y a quelques jours, à Rome, s’est tenue une conférence d’information sur le soulèvement populaire au Soudan contre le coup d’État militaire.
La rencontre a été organisée par la Rete dei Comunisti avec la Communauté soudanaise en Italie, qui quelques jours auparavant avait participé et pris la parole lors des manifestations contre les sanctions contre le Mali convoquées à Milan et à Rome par diverses forces panafricanistes actives dans notre pays.

Des journalistes et des militants de la diaspora soudanaise des associations et des forces politiques de l’opposition ont expliqué à la fois l’histoire récente du pays, depuis l’indépendance en 1956, et la situation actuelle qui voit une résistance populaire très dure au coup d’État, mais surtout la détermination à ne pas accepter de compromis avec les militaires comme le voudrait l’ONU.

Le chercheur Jacopo Resti et d’autres représentants de la diaspora africaine en Italie, notamment du Mali et de la Guinée, ont également participé au débat. Ces deux pays ont connu des coups d’État répétés qui, à des degrés divers, ont vu la condamnation et dans certains cas les sanctions de l’Union européenne et de la CEDEAO (la Communauté économique des pays d’Afrique centrale bien contrôlée par Paris et Washington).

« La décision de geler les avoirs nationaux du Mali porte donc clairement l’empreinte des dirigeants des pays de l’UEMOA, pour la plupart inféodés à la France. Elle a cependant été approuvée et annoncée par la CEDEAO, actuellement sous présidence ghanéenne », ont expliqué Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla dans leur article.

Mais les jeunes Africains qui sont intervenus ont tenu à souligner que tous les coups d’État ne se ressemblent pas. Certains visent à rétablir ou à imposer des privilèges exclusifs à tel ou tel groupe de pouvoir, d’autres ouvrent la voie à la libération du pays de l’asphyxiante mainmise coloniale exercée dans cette zone, notamment par la France. L’expulsion de l’ambassadeur français au Mali et la demande de retrait des contingents militaires étrangers (dont un italien) en sont une démonstration claire.

Dès lors, comment évaluer le retour des coups d’État en Afrique, comme cela s’est produit récemment au Soudan, au Tchad, au Mali, en Guinée Conakry ou au Burkina Faso, ou lors des coups d’État manqués au Niger et hier en Guinée Bissau ?
Avec le même critère ou en essayant de comprendre quels besoins et intérêts les ont inspirés, en différenciant ce qui doit l’être et en analysant les conséquences qu’ils peuvent produire ?

Il serait bon, entre autres, de rappeler à l’Europe que certains coups d’État, comme ceux de 2011, en Libye contre Kadhafi et en Côte d’Ivoire contre Gbagbo, ont vu la participation militaire directe de la France.

Un des éléments qui ressort des discours, qui relatent aussi des réalités différentes, est qu’un des facteurs de crise mais aussi d’émancipation dans les pays africains est la question de l’État.

Le colonialisme a systématiquement agi pour affaiblir ou détruire les fragiles entités étatiques issues de la décolonisation et des luttes de libération des pays africains. S’il devait piller les ressources des territoires qui en sont riches, le colonialisme européen, comme tous les autres, a agi pour briser les États existants, les affaiblir, les réduire à des enclaves souvent ethniques en conflit les unes avec les autres et choisir de temps à autre l’interlocuteur des différents acteurs (secteurs militaires, bandes paramilitaires, groupes tribaux) pour négocier le prix le plus avantageux pour le contrôle des zones les plus riches en ressources.

Au contraire, les États unifiés et centralisés ont souvent vu augmenter la tentation de négocier durement avec les multinationales, et avec les États qui les soutiennent, à partir de positions moins soumises, peut-être en demandant des redevances plus élevées sur les droits d’extraction ou de passage ou en allouant des fonds publics au développement plutôt qu’au paiement de la dette extérieure ou à l’obéissance aux diktats antipopulaires du FMI.

Dans la faiblesse des États africains post-coloniaux, le seul appareil structuré s’est souvent avéré être l’armée.

C’est ici qu’ont été produits des dictateurs et des meurtriers en série, mais aussi des dirigeants et des chefs d’États anticolonialistes. L’armée donnait la possibilité d’étudier, de faire le tour du monde pour se former mais aussi de mieux comprendre les mécanismes qui déterminent les relations internationales.
En outre, les forces armées sont souvent la plus grande "entreprise" de leur pays, y compris en termes économiques. En bref, dans les forces armées des États affaiblis ou désintégrés, on produit des virus, mais aussi des anticorps.
Le colonialisme préfère parler aux premiers, et les exemples d’émancipation aux seconds.

En Afrique, il y a donc un fort besoin d’avoir un État digne de ce nom et capable de garantir la sécurité et la redistribution à tous ses citoyens, même s’ils appartiennent à des groupes ethniques différents. Et parfois, cette garantie est offerte davantage par des secteurs des forces armées locales que par l’ingérence occidentale, qu’elle soit gouvernementale ou non gouvernementale, qui prospère précisément sur la faiblesse et la désintégration des États africains.

Tout aussi intéressantes sont les ambitions pour de nouvelles formes d’intégration régionale sans rapport avec celles imposées par le colonialisme moderne, ambitions qui se développent au nom d’un panafricanisme qui fait son retour parmi les nouvelles générations et qui est maintenant aussi clairement visible dans la diaspora africaine en Europe, qu’il serait une erreur tragique de réduire à une simple question des « immigrés ».

L’autre réflexion qui ressort des discours est la perception différente en Afrique de la figure de Kadhafi. Isolé et peu apprécié des gouvernements arabes et occidentaux, Kadhafi était beaucoup plus apprécié dans les pays africains. On peut dire qu’il avait mieux réussi à embrasser le panafricanisme que le panarabisme.
Ses tentatives pour mettre en place une Banque africaine libre de toute ingérence de la France et du FMI ont dû entraîner sa condamnation à mort, exécutée en octobre 2011 après un coup d’État fomenté par la France et la Grande-Bretagne surtout, mais aussi par l’Italie de l’ex président de la République, Giorgio Napolitano [1].

Le débat de la conférence doit sans doute être mis en relation avec les discours entendus dans la rue lors des manifestations à Rome et à Milan contre les sanctions contre le Mali. «  Quand on sait que les intérêts de l’impérialisme occidental (en particulier l’impérialisme français) peuvent se sentir menacés, on peut comprendre quelle est la véritable raison de la ‘punition’ que subit le Mali », a écrit le militant africain Françoise Sanduno.

Il est donc tout à fait possible – et nécessaire – de considérer les aspirations d’émancipation anticoloniales de l’Afrique avec un regard neuf, libéré de l’eurocentrisme et fondé sur un internationalisme moderne.
Le travail d’information, de formation et d’initiative que la Rete dei Comunisti développe est en train de prendre les bonnes mesures, en commençant par ce dossier spécial sur le Soudan [2].

C’est un acte dû, surtout pour les communistes européens, parce que l’Union européenne et les grands groupes monopolistiques pour lesquels elle a été créée, considèrent maintenant ouvertement l’Afrique et ses ressources comme « leur propre arrière-cour » à exploiter et à contrôler, tout comme les États-Unis l’ont fait et croient devoir le faire encore en Amérique latine.

Et c’est précisément sur la base de cette analyse que, ces dernières années, la proposition d’une zone Euro-Afro-Méditerranéenne a été avancée comme une alternative à l’Union européenne en termes politiques et économiques.

Pas seulement ça.
Le colonialisme est né en Europe et c’est aussi sur cette base qu’il a construit son propre modèle idéologique euro-centrique qui est encore hégémonique – y compris dans la gauche européenne – et qui doit être sapé depuis la base, aussi et surtout dans les nouvelles générations d’activistes, de militants, de révolutionnaires du 21ème siècle, qu’ils soient européens ou africains ou moyen-orientaux.

En discutant avec un camarade à la fin de la conférence, nous avons dit : « Nous avons besoin de la Tricontinentale comme du pain », c’est-à-dire l’organisation internationale anti-impérialiste qui, dans les années 1960 et 1970, a soutenu toutes les luttes de libération en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

L’impérialisme d’abord, puis les impérialismes, au cours de ces décennies d’hégémonie, pensaient avoir fait table rase, mais ils n’ont pas réussi – pas même en Afrique – et maintenant ils regardent tout cela avec une peur croissante.

Si l’Amérique latine a décidé de ne plus être le patio transitoire des États-Unis, en Afrique, on observe une volonté croissante de ne plus vouloir être l’arrière-cour de l’Union européenne.


Voir en ligne :  : https://contropiano.org/news/inte...


[1Ancien leader du Parti Communiste Italien - là-bas comme ici JP-ANC)

[2Ce que fait l’ANC sur Le Mali et le Sahel avec l’opération "plus un seul soldat français en Afrique" et le sommet Panafricain de Montpellier ;(JP-ANC)

   

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