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« Europe : comment sortir de la dictature du capital ? »

Un regard d’au-de là les Pyrénées

dimanche 21 août 2022 par Aron Cohen

Sujet d’une importance cruciale s’il en est. Mais question qui prête difficilement à des réponses sous forme d’un plan détaillé, avec un calendrier achevé [1].
Nous n’en sommes pas là.

Nous savons bien ici que le diktat imposé par le grand capital se manifeste partout dans l’UE par les atteintes généralisées et toujours aggravées aux droits des travailleurs (dérégulations, précarisation, suppressions d’emplois, baisses de protection face au chômage…), les privatisations, les délocalisations, la dégradation d’institutions-clé de l’ « État-providence » (Sécurité sociale) et du service public dans tous les domaines (à commencer par ceux de la santé et de l’éducation…), la fragilisation des systèmes publics de retraite, la fiscalité régressive… Et maintenant l’envolée des mesures belliqueuses sous pression des USA, avec leurs retombées sur les prix et le pouvoir d’achat de vastes couches populaires ; la priorité accordée à un réarmement effréné sans doute porteur de nouvelles restrictions sur les budgets dits « sociaux », dans un contexte de signes annonciateurs d’approfondissement de la crise du capitalisme et, en même temps, de renforcement de la dimension impérialiste et militaire de l’UE qui expose désormais nos peuples aux dangers les plus graves. De tout cela nous pouvons faire le constat quotidiennement.

Pourtant, chez nous en Espagne ̶ et je pense que cela ne vaut pas que pour notre pays, hélas ̶ , un effort formidable d’explication et de démystification de ce que signifie vraiment l’UE pour les travailleurs et pour l’ensemble des classes populaires reste, nous semble-t-il, la première tâche qui s’impose à ceux qui s’opposent à la dictature du capital en Europe.

1) Un bref regard en arrière me paraît utile pour aborder la situation dans laquelle nous nous trouvons en Espagne en ce qui concerne le sujet du débat, marquée par la représentation biaisée et embellie de l’UE qui fait l’unanimité des grands médias et, à de rares et peu audibles exceptions près, aussi des forces politiques. Au Parti Communiste Espagnol (PCE), qui fut de loin le pilier des combats ouvriers et antifascistes pendant les 40 ans de dictature de Franco, la direction menée par Santiago Carrillo a pris la décision, lors du VIIIe Congrès du Parti (réuni en 1972, toujours en clandestinité), d’un tournant favorable à l’adhésion de l’Espagne au Marché Commun Européen, en l’attachant à la politique dite de « pacte pour la liberté ». Cette politique cherchait à converger avec des secteurs de la grande bourgeoisie censés enclins à des changements politiques, ceux-ci étant considérés comme la condition première pour l’admission de l’Espagne au club communautaire. Remarqué sous cet angle-là comme un espace de « libertés », le MCE devenait de facto une structure qui serait en contradiction majeure avec la dictature espagnole. Certes, la lecture des documents produits par le congrès montre que les interventions critiques des délégués n’ont pas manqué. « Nous n’ignorons ni n’embellissons pas ̶ a tranché le spécialiste des thèmes économiques au Comité Central de l’époque ̶ le caractère du Marché Commun (…), une association régionale d’États monopolistes, le cœur de l’impérialisme européen ». C’est par un impératif de réalisme que la nouvelle approche était justifiée ; celle-ci - je cite - « avait non seulement une grande importance tactique, mais aussi des implications stratégiques ». À peine deux ans après, en juillet 1974, la déclaration fondatrice de la Junte démocratique, co-signée par Carrillo avec les représentants d’un certain nombre de formations mineures et quelques personnalités opposées au régime franquiste, soutenait (je cite) « la moderne convergence dans la liberté des aspirations sociales et matérielles » des différentes classes sociales, entre lesquelles le temps ne serait plus à « la confrontation irréconciliable, mais à la libre concertation, créatrice de progrès… ». Je vous rappelle que ce ne fut qu’en 1978, à l’occasion de son IXe Congrès, que la référence au « marxisme-léninisme » fut formellement éliminée par le PCE. Des membres de sa direction n’ont pas caché par la suite que cet abandon datait en fait de plusieurs années avant. Rappelons aussi que cette orientation contraste vivement avec celle du PCP, y compris à propos des positions à l’égard du MCE, auquel celui-ci est resté résolument opposé, avant et après le 25 avril 1974.

Désormais, en ce qui concerne la pratique du PCE vis-à-vis de la CEE/UE, l’inhibition et/ou la routine seront, en général, les traits permanents, quitte à les accompagner de critiques sur certaines perversions et des formules de rigueur en faveur d’une Europe « sociale » ou « Europe des peuples ». Certes, Izquierda Unida (la Gauche Unie), marque de la formation sous laquelle fut placé l’essentiel de l’action du PCE depuis 1986, appela à voter contre la Constitution européenne au référendum de 2005, organisé en toute vitesse et dans la plus grande discrétion, en absence d’un vrai débat public, par le gouvernement du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) , présidé par Rodriguez Zapatero : près de trois électeurs sur cinq s’y sont abstenus ; 18% ont voté « non ». Les deux principaux syndicats, UGT et CCOO ont rejoint le PS et la droite en faveur du vote affirmatif…

2) Nouveau changement de cap au XXe Congrès du PCE (avril 2016-décembre 2017), le dernier à ce jour (le XXIe se réunira les 9 et 10 juillet prochains). Changement formel au moins et sur plusieurs points, y compris la réintroduction du « marxisme-léninisme » comme référent. Quatre décennies après son bannissement, mais sans l’accompagnement qu’on aurait pu espérer d’un examen collectif approfondi de la trajectoire du Parti pendant cette période, au-delà des remarques et des corrections ponctuelles portées par les délégations régionales les plus critiques envers le discours précédent. Le Congrès s’est prononcé pour la sortie de l’Espagne de l’OTAN et, avec le soutien de 80% des délégués, pour sa sortie de l’UE et de l’euro. Le document politique adopté signale l’UE et l’euro comme « un désastre terrible pour les peuples d’Europe » ; les deux sont « irréformables (…) car construits au service exclusif du pouvoir économique et financier ». « L’UE est un projet de classe qui agit comme un détachement de l’impérialisme, sous la dépendance totale de l’OTAN » ; « nous devons inexcusablement organiser la sortie de l’euro », contre « la position timorée d’une grande partie de la gauche, quand ce n’est pas sa complicité avec l’idée irréalisable d’une idyllique Europe des peuples », il est devenu « indispensable d’élaborer un programme propre au PCE, complet et détaillé, de rupture avec l’UE et l’euro et nous consacrerons à ce propos une conférence spéciale ». Enfin, « défendre notre souveraineté économique sera impossible sans mobilisation sociale », ce qui exige un travail « pour faire monter le niveau de conscience de la classe ouvrière… »

Rappelons sommairement quelques faits marquants des années qui ont précédé ce virage. À commencer par la crise « des subprimes », particulièrement aiguë dans un pays qui avait connu une spéculation frénétique autour de la construction et de l’immobilier, avec comme corollaire une bulle financière faramineuse. Dès 2011, avant que l’été finisse, sur injonction de Bruxelles et de Berlin, le PSOE encore au gouvernement et le Parti Populaire (PP) de Rajoy accordent d’urgence une modification de l’article 135 de la Constitution espagnole pour y inscrire la priorité absolue que l’État espagnol accorde désormais au service de la dette. Un an avant, le gouvernement Zapatero avait entamé les coupes budgétaires, avec, entre autres mesures, une réduction sévère des offres annuelles d’emplois publics (plafonnées très au-dessous du nombre de départs : « taux de remplacement » maintenu à 10% jusqu’en 2015). En 2011, la réforme du système public de retraites a relevé de 65 à 67 ans (à atteindre en 2027) l’âge légal de cessation d’activité et de 35 à 37 ans le nombre d’annuités de cotisation à la Sécu requis pour l’accès à une retraite à taux plein. En juillet 2012, le gouvernement présidé par Rajoy après la victoire du PP aux élections législatives de novembre 2011, faisait appel à la troïka Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et FMI pour le « sauvetage » des banques : sur un crédit accordé fixé à 100 milliards d’euros, les prêts finalement demandés atteignirent 41,3 milliards, amortissables en 2027 comme dernière échéance. Les aides totales reçues par les banques, selon les chiffres officiels (très en dessous d’autres estimations), dépasseraient les 48 milliards, dont le plus gros morceau destiné au mastodonte Bankia, qui fera plus tard l’objet d’une reprivatisation (fusion-absorption par Caixabank en 2021). L’État aurait récupéré 14% de la somme versée… Condition de la « générosité » des institutions européennes : une limitation stricte de la souveraineté fiscale du pays. Et son cortège de conséquences (outre la concentration bancaire brusquement accélérée) : réforme du code du travail en 2012, après celle du gouvernement Zapatero en 2010 (baisse des indemnisations aux salariés licenciés, nouvelles facilités aux employeurs pour aménager journées et conditions de travail, possibilité de licenciement collectif élargie à l’administration et aux entreprises publiques) ; nouveau coup porté aux retraités en 2013 (désindexation par rapport à l’inflation et gel du montant des pensions ; adoption du principe d’un « facteur de soutenabilité » ajustant les pensions à l’évolution de l’espérance de vie) ; forte augmentation de la TVA, etc.

D’autre part, l’année 2011 a connu le mouvement « des Indignés ». Dans son sillage s’inscrit le phénomène Podemos, marqué à la fois par l’irruption électorale fulgurante du nouveau parti (électorat jeune et urbain) et la faiblesse de son assise territoriale et de son organisation…

3) Début 2020 s’installe un nouveau gouvernement en Espagne dont font partie certains membres du PCE (les ministres Yolanda Diaz et Alberto Garzon ; le Secrétaire d’État Enrique Santiago). Gouvernement « de coalition » largement dominé par un PS dont ni l’accommodement à la doxa « néolibérale » de l’UE ni l’atlantisme sont à découvrir. Cette participation au gouvernement est celle d’un PCE (doublement masqué dans Izquierda Unida, alliée à Podemos) très affaibli dans son organisation et ses soutiens électoraux : l’effectif de ses adhérents, récemment actualisé dans le cadre de l’élection des délégués à son XXIe Congrès, est de 7 700, alors qu’il dépassait 10 000 lors du congrès précédent il y a six ans, et se situait autour de 200 000 dans les années 1978-1979. Izquierda Unida avait obtenu 11 mandats aux élections législatives de 2011 et seulement 2 aux élections suivantes (2015), face aux 69 députés de Podemos. Les deux formations présentées en coalition (Unidas Podemos) à l’échéance suivante (juin 2016) ont maintenu le même total de 71 mandats. Sous la même formule, leur représentation est tombée à 42 députés à la suite des législatives d’avril 2019 et à 35 après leur répétition en décembre de la même année. Le 19 juin dernier, les élections régionales en Andalousie ont montré la poursuite accélérée de la tendance à la baisse.

Après deux ans et demi, les acquis du gouvernement qui s’affiche « le plus progressiste de l’histoire de l’Espagne », vis-à-vis des intérêts des travailleurs et autres couches populaires, s’avèrent bien modestes. Des manquements au programme du gouvernement de coalition, imposés par le partenaire dominant, n’ont pas été sans controverse en son sein (par exemple, en ce qui concerne la protection du droit au logement et la réforme fiscale promise et toujours différée). Mais il y a eu aussi des renoncements que les membres d’Unidas Podemos - et du PCE - ont justifiés, en évoquant un principe de « solidarité gouvernementale » respectant les choix et les admonestations de « Bruxelles », qu’ils se gardent bien de contester De l’annulation promise de la réforme du code du travail de 2012, on en est passé à une réforme partielle (soutenue par le patronat et par les principales directions syndicales), en limitant notamment les possibilités pour les employeurs du recours aux contrats temporaires, mais sans toucher ni aux montants des indemnités à verser aux salariés en cas de licenciement abusif (fortement réduits en 2012) ni, dans cette même échéance, à la faculté discrétionnaire des employeurs de réintégrer les salariés à leurs postes ou bien les indemniser, qui reste elle aussi intacte. Ce qui soulève bien des doutes sur la continuité réelle des nouveaux CDI. La nouvelle réforme du système public de retraites a éliminé la menace du « facteur de soutenabilité » qu’avait introduit celle du PP ; elle a en outre récupéré la revalorisation annuelle des pensions en fonction de l’évolution des prix. Or, d’une part, le gouvernement qui prépare, nous dit-on, un nouveau « mécanisme de solidarité intergénérationnel » (dont on ne connaît pas grand-chose à ce jour) favorise en même temps les systèmes complémentaires privés, alors que, d’autre part, la Banque centrale espagnole renforce les injonctions de Bruxelles à renoncer à l’indexation automatique à l’inflation, en prônant la prise en compte de l’inflation dite « sous-jacente » dont le calcul exclut les prix de l’énergie et des produits non-élaborés (alimentation comprise)… Nous restons aussi sans nouvelles à propos de l’annulation promise de la loi de sécurité plus connue comme « loi-bâillon » dont des centaines de travailleurs en lutte ont fait les frais.

Il faut dire que ni le gouvernement ni aucune des formations politiques qui l’intègrent n’ont cherché à s’appuyer sur la mobilisation des travailleurs vers des objectifs nettement définis en leur faveur (bien sûr, je ne parle pas là du soutien de directions syndicales en général très peu enclines à une perspective de lutte des classes). La répression des métallos de Cadix en grève l’automne dernier a laissé peut-être pire que des images poignantes. Certains membres de la composante Unidas Podemos du cabinet ont marqué alors leur distance avec leur collègue titulaire du ministère de l’intérieur. Mais, plus généralement, il semble clair que l’absence de mobilisation sociale, et particulièrement ouvrière, a conforté cette « gauche » gouvernementale plus qu’elle ne l’aurait perturbé ; comme s’il valait mieux pour elle de se tenir à l’écart de luttes qu’elles n’avaient pas la force d’encadrer, ou d’éviter.

On ne peut pas être surpris par le regard complaisant avec lequel les principaux représentants de cette gauche présentent l’accord du gouvernement espagnol avec la CE sur un « Plan de récupération, transformation et résilience », censé apporter les solutions à la crise dont la pandémie constitue le révélateur brutal et un puissant facteur d’aggravation plutôt que la cause unique. L’accord prévoit un transfert de fonds européens à l’Espagne pour un montant de 140 milliards d’euros, dont 70% au titre de prêts, l’Espagne s’engageant à rembourser 63,4 milliards avant le 31 décembre 2058. Au lieu de nous renseigner sur les conditions, le fondateur de Podemos (ex vice-président du gouvernement et aujourd’hui commentateur médiatique), M. Pablo Iglesias y voyait dans un entretien au journal Le Monde la preuve que l’UE « a corrigé le dogmatisme néolibéral qui a fait tant de mal à l’Europe et à ses habitants ». De son côté Mme. Yolanda Diaz, ministre du Travail et actuelle titulaire d’une vice-présidence dans le gouvernement de M. Pedro Sánchez, déclarait que dans ce Plan « il n’y a pas d’hommes ni de femme de la troïka (et qu’il) n’y en aura pas », de même qu’ « il n’y a pas de conditions ayant trait aux agendas législatifs souverains des pays, quoi qu’en disent certains à cet égard ».

D’après la formule du président Sánchez, le Plan relèverait d’un pari pour un pays plus inclusif, plus vert et d’avantage numérisé. Mais que reste-t-il des compétences jadis clé des États en matière de politiques économiques et sociales, lorsque leur exercice est soumis en permanence au visa et aux corrections éventuelles de Bruxelles ? Car les fonds « Next Generation EU » n’entraînent en rien l’abandon du « Cadre Financier Pluriannuel » en cours (2021-2027), dont, si je ne me trompe pas, la base « néolibérale » ne s’est jamais démentie. La dette espagnole s’est accrue exponentiellement pendant la dernière décennie. Son montant est estimé à présent à 1,4 billion (1 400 milliards) d’euros, ce qui représente près de 118% par rapport au PIB du pays.

4) Dernier point que j’aborderai très brièvement : l’UE, l’OTAN, le problème de la guerre ou la paix. Un article de la Rete dei Comunisti traduit de l’italien par le site de l’ANC en mai affirmait que « l’UE est en passe de dépasser la condition de zone économico-financière, en tentant de devenir un super-État impérialiste qui rivalise sur la scène mondiale comme les autres puissances ». Sans pour cela s’écarter, du moins pour l’instant, du statut subordonné qui est le sien par rapport aux USA. Au début des années 1980, le gouvernement de l’UCD (droite post-franquiste « recentrée ») retrouvait la vieille formule des canons et du beurre (popularisée aux USA pendant la Première guerre mondiale, et reprise plus tard par Mussolini et par Goebbels, entre autres) pour justifier l’adhésion de l’Espagne à l’OTAN en 1982, alors que les négociations pour son admission à la CEE continuait à traîner (elle aboutiront en 1986) : l’argument utilisé était que l’OTAN ouvrirait l’accès à la CEE. Le PS de Felipe González, alors à la veille de sa première victoire électorale qui l’a porté au gouvernement, s’y est opposé prudemment par une campagne sous la consigne « OTAN, de entrada no », jouant sur le double sens en espagnol de l’expression « de entrada » (« d’entrée », mais aussi « en principe »). Une fois au gouvernement, il a organisé (en 1986) le référendum qu’il avait inscrit sur son programme de 1982, mais cette fois-ci en revenant complètement sur son opposition précédente et misant très fort pour le maintien de l’Espagne dans le Pacte atlantique, dans des limites qui d’ailleurs n’ont été respectées ni par les gouvernements successifs de Gonzalez ni par aucun de ses successeurs.

Par la suite, la foi atlantique (de longue date, il faut le dire) des dirigeants du PSOE a été attestée à maintes reprises : ainsi par Javier Solana, secrétaire général de l’OTAN en exercice lors des bombardements contre l’ex Yougoslavie en 1999 ; aussi par la décision de Zapatero (qui en 2004 avait eu le geste, surtout symbolique, mais sans doute courageux de retirer les troupes espagnoles d’Irak) en 2011, en passe de quitter le gouvernement, d’accueillir en Espagne le bouclier antimissile de l’OTAN ; ou par le dynamisme militariste affiché par l’actuel Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le même Josep Borrell qui avait « expliqué » à la presse espagnole la reconnaissance en 2019 par le gouvernement dont il avait la responsabilité des affaires étrangères, du chimérique « président » auto-proclamé du Venezuela, du fait des « très fortes pressions » qui avaient été exercées sur l’Espagne, en y ajoutant : « je ne dirai pas de la part de qui… ».

Madrid accueillera dans quelques jours (du 28 au 30 juin) le prochain sommet de l’OTAN. Dans l’unanimisme qui caractérise l’atmosphère ambiante dans l’UE, le président Sánchez n’a jamais laissé planer le moindre doute sur son alignement. Les réserves exprimées (plutôt timidement) par ses partenaires de coalition gouvernementale à propos du rôle joué par l’OTAN et de la collaboration militaire espagnole avec Kiev, ne relèvent, selon lui, que d’une vision « d’un autre temps » et n’entament nullement la position de son gouvernement à ce sujet. En cas de besoin il s’en porte garant. Le 30 mai dernier, fêtant officiellement le 40e anniversaire de l’adhésion de l’Espagne à l’Alliance atlantique, et en compagnie entre autres de M. Stoltenberg, M. Pedro Sanchez a souligné l’unité de propos entre l’UE et l’OTAN. Les membres du gouvernement appartenant à Unidas Podemos n’ont pas assisté à la célébration. Le lendemain la ministre Mme Yolanda Diaz, lancée dans sa campagne pour une "nouvelle" plate-forme électorale autour d’elle, s’en est excusée en manifestant qu’elle était prise de longue date par un rendez-vous médical ; le ministre M. Garzon, lui aussi membre du PCE, s’est déclaré à son tour "très à l’aise" en tant que membre du gouvernement de coalition. Les deux, de même que le député secrétaire d’Etat et secrétaire général du PCE, M. Enrique Santiago, avaient applaudit la harangue télématique adressée le 5 avril par M. Zelensky au Parlement espagnol.

L’accroissement rapide du budget militaire espagnol répond très concrètement aux priorités établies par Washington et par l’OTAN. Il range le pays parmi la vingtaine aux montants les plus élevés. De 17,4 milliards d’euros en 2021, il approche les 21 milliards pour 2022, marquant un accroissement de plus de 17% (après celui de 10% de l’année précédente).

Pour finir, quelle réflexion ?

Les organisateurs du débat nous interrogeaient sur comment sortir de la dictature du capital en Europe. C’est la bonne question et aussi une des plus difficiles à répondre concrètement, dans les faits. Sauf grave erreur d’appréciation, le parcours concernant l’Espagne que nous venons de rappeler relèverait plutôt d’une voie de non sortie.

Comme il a été souvent dit à juste titre, prôner la nécessité de rompre avec les impositions et les conditionnements de l’UE et de l’euro en tant qu’instruments au service du grand capital aux dépens des intérêts de nos peuples, ne veut pas du tout dire que nous partagions l’idée que le départ d’un pays ferait à lui seul le salut de son peuple. Nous avons, d’autre part, entendu et lu des propos signalant le travail d’« accumulation de forces » favorables à cette rupture, formulé comme une condition incontournable pour y arriver, à l’intérieur de chacun de nos pays, tout comme en coordination entre plusieurs pays, particulièrement ceux de la « périphérie » de l’UE. Or, on voit mal à quelle « accumulation » (la recherche invoquée d’un nouveau rapport de forces) peut-on prétendre, lorsque la contradiction la plus flagrante entre les objectifs affichés par un programme et la pratique politique s’avère la règle. Les buts proclamés relèvent alors du rituel, sans aucune portée. Même si on se permet d’affirmer que « le temps nous a donner raison : l’UE est irréformable » (thèses officielles soumises par la direction sortante du PCE au XXIe congrès de ce parti). L’importance d’une coordination internationale des efforts ne peut pas être prise comme prétexte pour justifier une attente indéfinie. En revanche, toute avancée dans un pays peut être un élan pour d’autres.

Aucune opposition efficace à la dictature du capital n’est imaginable sans mobilisation. Le plus grand effort d’explication est indispensable, intensif et soutenu, sur ce que sont ses pouvoirs et leurs effets sur nos vies. Dans cette perspective, les incohérences entre principes et pratiques contribuent à voiler la nature des problèmes et à propager le désespoir et la confusion dans les milieux ouvriers et populaires, désormais placés dans une situation, et face à un horizon de difficultés de plus en plus ressenties par nos peuples, et chargées des pires menaces pour la paix…

Aron Cohen
(Collaborateur de la publication en ligne https://hojasdebate.es/)


[1Je me souviens de la réponse qu’avait donnée, au milieu des années 1970, Alvaro Cunhal, alors Secrétaire général du PCP, à un journaliste qui l’avait interrogé sur la voie au socialisme que serait celle de son parti : sinon les mots, du moins le sens de ses propos constatait la diversité des élaborations proposées ici ou là que son interlocuteur avait mentionnées, chacune abordant la méthode et parfois les « étapes » prévues vers cet objectif révolutionnaire ; quant à eux, communistes portugais, s’excusait Cunhal, ils étaient entièrement pris par la tâche d’essayer de le réaliser. Malheureusement, s’agissant de « sortir de la dictature du capital » en Europe, nous n’en sommes pas à présent au niveau du combat qui était celui de la réponse du dirigeant portugais.

   

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