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Shireen Abu Akleh : quatre raisons pour lesquelles Israël peut s’en tirer avec cet énième meurtre

jeudi 8 septembre 2022 par Amira Hass

Abu Akleh, la victime n’est pas anonyme. Cela n’a quand même pas empêché Tsahal de mener une opération de camouflage.

L’armée israélienne veut nous faire croire qu’il y a une « forte probabilité » qu’un de ses soldats de l’unité d’élite Duvdevan se soit trompé et ait pensé que la journaliste Shireen Abu Akleh était une Palestinienne armée (à cause du casque sur la tête et du gilet pare-balles qu’elle portait). C’est pourquoi il lui a tiré dessus à travers une lunette de visée, qui grossit par une puissance de quatre, depuis l’intérieur de la jeep blindée où il était assis.

D’un point de vue civil, et non militaire, deux conclusions découlent de la nouvelle dissimulation de Tsahal, connue sous le nom d’ « enquête ».
La première est que si un soldat confond les journalistes et les hommes armés, et si ses commandants lui permettent de continuer à tirer au moins 10 balles dans cette confusion vers les journalistes, alors Tsahal est vraiment dans un sale état.
La deuxième conclusion est qu’une telle confusion n’est possible que parce que Tsahal, ses commandants et ses soldats, ont un mépris profond et croissant pour la vie des civils palestiniens.

Les soldats sont programmés pour être « confus » et faire de telles erreurs professionnelles, parce qu’ils sont socialisés pour croire qu’ils sont la victime et que le criminel est la population civile palestinienne qui est sous la domination étrangère israélienne.

L’annonce par l’unité du porte-parole de Tsahal des conclusions de la nouvelle enquête sur le meurtre de la journaliste, qui avait l’habitude de couvrir les invasions et les raids militaires, ignore le fait qu’avant de tirer et de la tuer, le soldat ou un autre soldat a tiré sur le journaliste Ali al-Samoudi et l’a blessé à l’épaule.

La déclaration du porte-parole de Tsahal et les reportages des médias passent également sous silence le fait que quelques minutes avant le tir mortel, le groupe de journalistes —portant des casques et des gilets pare-balles— est passé devant les soldats qui se trouvaient à l’intérieur de leurs véhicules blindés.

« Nous avons marché de manière rectiligne, alors que devant nous, à une distance d’environ 200 mètres, se trouvaient quelques jeeps de l’armée. Nous voulions que les soldats nous voient et nous reconnaissent en tant que journalistes », a expliqué le journaliste vétéran al-Samoudi à l’ONG israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem.
Comme sa collègue Abu Akleh, al-Samoudi avait l’expérience de la couverture de tels événements et avait appris quels moyens de prudence étaient nécessaires pour rester en sécurité.

Deux autres journalistes qui se trouvaient sur les lieux à Jénine et ont livré leurs témoignages à B’Tselem —Shatha Hanaysha et Mujahid al-Sa’adi— ont également souligné que leurs actes visaient à assurer aux soldats dans les jeeps qu’ils étaient des journalistes. S’il y avait eu une bataille à cet endroit, ils ne seraient pas passés devant les jeeps avec autant de confiance.

Selon l’armée israélienne, le soldat a tiré une vingtaine de balles, dont 10 sur la « zone » où se tenait Abu Akleh. Selon B’Tselem, les soldats ont tiré environ 16 balles en direction des journalistes. L’un des six premiers tirs a blessé al-Samoudi. Il s’est précipité pour s’abriter derrière une voiture en stationnement. Trois autres journalistes, dont Abu Akleh, ont reculé de l’endroit où ils se trouvaient.
Puis sept coups de feu ont été tirés dans leur direction, dont l’un a touché Abu Akleh à la tête, par derrière. Alors qu’un habitant palestinien tentait de l’évacuer, les soldats ont tiré vers lui trois autres coups de feu.
Alors, est-ce ce seul soldat qui a tiré ou plusieurs ?
Nous ne le savons pas.

Il y a cinq conditions nécessaires pour que le meurtre ou la blessure de civils palestiniens par des soldats israéliens se passe tranquillement et sans aucune complication médiatique. Dans le cas du meurtre d’Abu Akleh, seules quatre de ces cinq conditions étaient réunies.

La première condition est que le public israélien croie les histoires de cow-boys dont il est gavé, comme si les soldats israéliens en Cisjordanie étaient envoyés au combat, même symétrique, contre des forces ennemies de même puissance qui n’auraient aucune raison ou justification de résister à l’invasion militaire de leur quartier.

La dernière couverture en date fait état de tirs nourris en direction des jeeps blindées de l’armée israélienne dans lesquelles se trouvaient les soldats.
Il est vrai que de nombreux jeunes Palestiniens, en particulier dans la région et le camp de réfugiés de Jénine, se sont procuré des armes et ont fait vœu de ne pas laisser l’armée envahir leurs villages et leurs quartiers sans résistance, refusant d’être les proies impuissantes de chasseurs en safari.

Sur les reportages occasionnels à la télévision, les tireurs armés ont effectivement l’air effrayants : des visages masqués, d’énormes fusils à la main. Parfois, ils parviennent même à toucher un soldat. Mais être considéré comme un héros par les Palestiniens et être prêt à sacrifier sa vie contre un ennemi occupant équipé d’armes sophistiquées et avancées ne remplace pas les exercices d’entraînement et le développement continu des tactiques de combat dans des conditions de guérilla.
Et ces deux éléments font manifestement défaut.

Vue aérienne du cortège funèbre de Shireen Abu Akleh à Jérusalem occupée. Quelle vue ! Ca coupe le souffle. Malgré toute la violence de la police israélienne, ils n’ont pas pu réprimer ou dissuader les gens. La Palestine fait ses adieux à un héros et une icône
Les sources militaires, qui ont rendu compte de l’ « enquête » et ont été citées dans la presse, ont fait état de tirs massifs, indiscriminés et mettant en danger la vie des soldats pendant la bataille.
Personne ne peut douter de la peur subjective des soldats [de l’armée la plus lâche du monde], mais est-il possible de croire la description faite par l’ « enquête » d’une bataille dans laquelle les soldats de Tsahal sont décrits comme des civils presque innocents qui se trouvaient là par hasard ?

Des clips vidéo filmés en temps réel, obtenus et diffusés par des médias internationaux —tels que CNN et le New York Times— montrent qu’il n’y a eu aucune bataille, ni pendant ni avant que le soldat désorienté ne tire sur les deux journalistes. Si des balles ont touché les jeeps, cela ne s’est pas produit à ce moment-là.
Alors de quelle bataille nous parle-t-on ?

La deuxième condition requise pour que la mort d’un civil palestinien passe complètement sous le radar est l’incrédulité et le discrédit automatiques de l’opinion publique israélienne à l’égard de tout témoignage oculaire palestinien et de toute enquête indépendante —que ce soit par des médias étrangers ou par des organisations de défense des droits de l’homme.

Même si, après la publication de ces enquêtes et d’autres enquêtes journalistiques indépendantes, Tsahal peut toujours se cacher derrière des termes comme « par erreur » et « forte probabilité » —c’est précisément parce qu’elles se sentent protégées par le même discrédit israélien de toute constatation palestinienne.

L’une des choses les plus horribles que j’ai vues.
Les forces d’occupation attaquent les personnes en deuil transportant le corps de Shireen depuis l’hôpital. Ils utilisent des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes et les chargent avec des chevaux et des matraques
.(Photo de Une)

La troisième condition est le mépris collectif et constant des Israéliens pour la liste croissante de civils palestiniens tués ou blessés par des soldats de l’armée israélienne ou des agents de la police des frontières, qui laisse entrevoir un modèle de règles d’engagement très indulgentes.
B’Tselem documente chaque cas, dont certains obtiennent l’attention des lecteurs du Haaretz, et c’est tout. Les chiffres croissants ne tirent pas la sonnette d’alarme —ni pour le public, ni pour la Knesset, ni pour le ministère public, ni pour les tribunaux.

Alors pourquoi les forces israéliennes devraient-elles se transformer et modifier leurs protocoles ?

La quatrième condition est que le public israélien considère comme naturelle et normale la mission des forces de sécurité —l’armée, les services de renseignement, la police— en tant que gardiens et protecteurs de l’entreprise de colonisation. Parce que le projet de colonisation s’étend sans opposition internationale, de plus en plus d’Israéliens en profitent directement et indirectement —une apparente normalité que les Palestiniens, également des manifestants non armés, perturbent parfois.

Et comme presque tous les foyers israéliens ont un fils ou un fille soldat auquel ils s’identifient automatiquement, la capacité cognitive à mettre en doute cette fausse normalité est altérée et paralysée. Le soldat a toujours raison. C’est pourquoi les forces israéliennes ont toujours raison aussi. (Sauf, bien sûr, si les commandants maltraitent les soldats ou leur donnent de la nourriture immangeable. C’est seulement dans ce cas que les parents gueulent).

La cinquième condition est l’anonymat des victimes palestiniennes. Lorsqu’un Israélien est blessé dans une attaque palestinienne, il est immédiatement reconnu et cher au public israélien : avec une histoire de vie, et le contexte sociologique qui est compris sans beaucoup de mots.

Lorsque les morts et les blessés sont des Palestiniens —même si leurs noms sont publiés—, ils sont étrangers, aucun des quelques détails connus ne peut susciter des associations d’affection et d’identification chez les Israéliens. Dans le cas d’Abu Akleh, c’est précisément la condition qui n’a pas été remplie. Elle était à la fois une citoyenne américaine et une icône médiatique pour des centaines de millions de téléspectateurs de la chaîne de télévision Al Jazeera. Elle est également devenue célèbre pour ceux qui ne la connaissaient pas auparavant.

Mais cela n’a pas suffi pour que les forces israéliennes s’abstiennent d’étouffer l’affaire. C’est précisément le fait que Tsahal ait ignoré la documentation vidéo et les témoignages de témoins palestiniens, publiés par des médias internationaux respectés, qui soulève des questions sur la véritable raison de la dissimulation dans cette affaire.

S’agissait-il vraiment d’un soldat confus (ou deux) qui a fait une erreur, ou d’un doigt léger sur la gâchette dans le cadre d’une routine —une routine que Tsahal n’a pas l’intention de changer parce qu’elle est un moyen de « gouvernabilité » nécessaire pour faire avancer l’entreprise de colonisation ?

Source  : Haaretz, 6 septembre 2022

Traduit par Fausto Giudice pour Tlaxcala

   

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