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Cent ans de la Révolution d’Octobre : combattre l’image de terreur rouge et de tyrannie

vendredi 23 mars 2018 par Gilles Questiaux

Aujourd’hui, les générations nouvelles arrivent à l’âge adulte après un intensif lavage de cerveau scolaire et universitaire, dont le but est qu’ils identifient dans leur esprit la révolution à la tyrannie sous sa forme la plus brutale.

Si nous voulons que notre doctrine libère à nouveau l’énergie révolutionnaire des masses, il est capital de réfuter cet amalgame, non pour prononcer un jugement moral et non scientifique de « réhabilitation » de telle ou telle figure historique calomniée par l’historiographie bourgeoise, mais pour invalider la prétention morale, les clichés et les affabulations du discours contre-révolutionnaire, dont la sémantique n’a guère changé depuis la chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II, en 1794. La « guillotine », le « bolchevisme », le « stalinisme », c’est au fond la même chose : le cri du cœur des oppresseurs millénaires pris à la gorge. Or pour faire la révolution, il faut avoir foi en l’innocence foncière des opprimés, et dans la justice de leurs actes.

Car ce qui est attaqué dans chaque cas à travers le tableau souvent apocalyptique et volontairement exagéré de tyrannie et de terreur rouge c’est le principe même de la rupture de l’État de droit traditionnel ou bourgeois, et sans cette rupture le rêve démocratique millénaire des exploités et des opprimés ne se réalisera jamais. Cette dictature révolutionnaire, qui n’est jamais à leur programme, jamais souhaitée par les masses, elle n’existe qu’en réaction à la contre-révolution.

La contre-révolution qui a fixé son quartier général à Washington depuis la fin de la seconde guerre mondiale prend toujours l’initiative de la violence, et elle dispose des moyens d’informer, c’est-à-dire d’amplifier à volonté l’image de la violence révolutionnaire et de dissimuler la sienne.

La terreur rouge est ambivalente, car si elle détruit provisoirement les conditions du débat démocratique, en détruisant les anciens pouvoirs elle permet la démocratie future. Chez les Grecs déjà la tyrannie avait pavé la route de la démocratie, et chez les Romains les empereurs tyranniques maudits par la tradition des historiens étaient ceux qui s’étaient attaqués à la richissime caste sénatoriale esclavagiste, qui contrôlait la production culturelle et donc l’opinion de la postérité.

Pour prendre le cas de la Russie, ce pays n’a jamais connu la paix véritable de toute la durée de l’expérience soviétique. Il a donc du rester sur le pied de guerre, et relever les défis de la course aux armements et à l’espace, et il a été gouverné par des lois d’état de guerre et d’état d’exception durant la première moitié de son existence, puis par des règlements et des pratiques administratives limitant la liberté individuelle reflétant ces conditions anormales. La terreur rouge qui devait étouffer dans l’œuf la contre-révolution se mit en place dès juillet 1918 ; lorsque Trotski commandait l’Armée Rouge et que Lénine gouvernait. Elle persista avec des phases d’intensité variable jusqu’au XXème congrès (1956). Staline ne fit exception dans l’exception que parce qu’après l’assassinat de Kirov par des contre-révolutionnaires en 1934, il cessa d’en exempter les membres du parti.

Sans doute Staline a-t-il eu le mérite finalement difficilement contestable sans mauvaise foi, sauf par les ignorants et les sots qui envahissent le monde de la culture, d’avoir conduit l’URSS et donc le monde à la victoire contre le fascisme hitlérien. Mais ce mérite est fragile ; car dans l’inconscient bourgeois, la victoire du fascisme aurait bien mieux valu, comme ce fut le cas en Espagne, nettoyée après la Guerre civile pa run génocide politique. Et après tout qu’importe ? puisque le franquisme a conduit par une ruse de l’histoire à la kermesse consumériste et hédoniste que fut la "movida" !

Le « prince moderne », le parti machiavélien nécessaire pour fonder la démocratie sans classe que voulait Gramsci, ne sera sans doute plus dominé par une personnalité telle que Staline, incarné par une « star » politique, objet d’un transfert d’affect d’échelle planétaire, phénomène psycho-politique caractéristique des formes technologiques et politiques du XXème siècle. Mais il ne ménagera pas pour autant les forces du passé. Parce que l’enjeu de l’avenir pour l’humanité, à travers les contradictions du capitalisme pourrissant, c’est de choisir entre le socialisme, ou l’anéantissement. Et si le recours à un tel tyran collectif ou individuel s’avérait nécessaire pour trancher ce nœud, ce qui serait véritablement criminel serait de ne pas l’employer.

Mais dans ce cas que reste-t-il de la libre liberté des individus libres ? Il faudra la reconnaître pour ce qu’elle est : un mythe, et affronter la réalité : il n’y a aucune précaution légaliste qui pourrait garantir en toute circonstance la liberté des personnes contre l’arbitraire politique, car la pseudo-démocratie de marché qui s’en gargarise et qui nous gouverne ne nous en offre d’ores et déjà aucune. S’il existait une institution assez forte pour interdire à l’État bourgeois de devenir tyrannique en cas de besoin, on le saurait, et ni Mussolini ni Hitler ni Pinochet ni le colombien Uribe n’auraient été employés à la pérennité de l’ordre bourgeois. D’ailleurs supposer une telle garantie revient à supposer une pure absurdité logique, car si elle était assez puissante pour exercer un tel contrôle, elle le serait aussi pour exercer la tyrannie elle-même. Et il faudrait en créer une autre, encore plus puissante pour interdire la tyrannie à l’institution qui doit interdire la tyrannie ; et ainsi de suite.

La séparation des pouvoirs est une illusion idéologique, colportée par la culture scolaire, et le digest de la pensée dominante proposé par les instituts d’études politiques et il n’existe en fait de pouvoirs et de contre-pouvoirs indépendants que ceux qui sont issus de la lutte des classes, qui produisent un équilibre précaire de forces antagonistes qui luttent pour le pouvoir hégémonique, et qui placent simultanément leurs pions dans les trois "pouvoirs" théoriques de l’État bourgeois et dans les médias.

Tout le monde sait qu’un tribunal sans policier pour le protéger et sans loi à appliquer ne peut fonctionner. La séparation des pouvoirs est une construction utopique inventée par Montesquieu au XVIIIème siècle pour garantir les élites et elles seules contre l’arbitraire d’un tyran gouvernemental susceptible à l’occasion de trancher en faveur des opprimés. Elle a été décalquée dans la constitution américaine pour donner un sens à l’anarchie capitaliste, l’hydre à têtes multiples qui gouverne les États-Unis et le monde avec eux, à seule fin d’accroître le profit à court terme des oligopoles et de maintenir les privilèges politiques d’une caste de rentiers héritiers des positions dans l’État.

Ainsi la liberté et le pluralisme réels et historiques ne doivent pas être confondus avec l’idéologie de la liberté et du pluralisme, et ceux qui aujourd’hui formulent le discours qui exalte ces valeurs en pratiquent le contraire exact. Dans la société capitaliste, la véritable liberté d’opinion est une fonction du dépassement possible du capitalisme, de la marche vers un système productif supérieur, rationnel, et démocratique. Cette perspective sortant depuis les années 1980 de la discussion permise, « du cercle de la raison », par l’accusation de tyrannie proférée contre ses partisans, le pluralisme se dégrade en option de consommation marchande et disparait finalement aussi.

Incidemment, le seul contre-pouvoir efficace qui se soit jamais exercé dans la société bourgeoise se trouvait dans les syndicats de lutte des classes et dans les partis de la Troisième Internationale et leurs alliés. La clef du pluralisme du XXème siècle se trouvait à Moscou.

La tyrannie révolutionnaire est une forme historique qui peut se développer dans des circonstances données. Elle n’est nullement souhaitable en elle-même, mais elle peut devenir nécessaire et rien ne peut interdire à un peuple révolutionnaire de l’employer pour se défendre ; à condition d’en sortir. Et la sortie de la violence politique ne peut être définitive qu’avec le dépassement de la lutte des classes par l’instauration de la société sans classes. Vouloir supprimer la violence dans une société de classe, signifie la soumettre à un contrôle préventif qui en définitive étouffe toute liberté et toute dignité. Où est la dignité de ce libéralisme bourgeois qui tolère que le président des États-Unis organise l’assassinat sur sol étranger de victimes portées sur une liste de proscription ?

Et les opprimés peuvent-ils prendre l’initiative de la Terreur ? Dans une tradition philosophique qui remonte à Saint Thomas d’Aquin, la guerre juste est la guerre défensive, et ce thomisme moral reste fondamental dans l’idéologie populaire en Occident et dans les régions qu’il a influencé (dont les anciennes colonies christianisées). C’est pour cette raison que le peuple refuse d’appuyer une stratégie offensive délibérée, émanant d’un petit groupe révolutionnaire, comme celle pourtant héroïque des révolutionnaires russes de la "Volonté du Peuple" qui exécutèrent le tsar Alexandre II à Pétersbourg en 1881. Par contre le peuple russe est resté indifférent à l’élimination de la famille impériale entière par les bolcheviks, en 1918, car les choses avaient changé : cette clique dynastique avait tiré sur le peuple en 1905 et l’avait entrainé de sa propre initiative dans la boucherie de la Guerre Mondiale.

Ainsi l’initiative révolutionnaire de la violence, comme le montrent les épisodes de la lutte armée audacieuse menée par les populistes en Russie des années 1866 à 1905, par les groupes révolutionnaires européens et par les Weathermen américans, qui la pratiquaient dans les années 1970, conduit à l’échec. C’est une erreur que de vouloir frapper au cœur l’État bourgeois par un attentat comme le voulaient les Brigades Rouges. Car il n’en a pas.

GQ, 7 juin 2014 (à chaque republication sur Réveil Communiste mes textes sont retouchés, ces modifications ne sont pas datées lorsqu’elles n’infléchissent pas le sens général)

Légende photo : Felix Dzerdjinsky, organisateur de la Tchéka (police politique soviétique)

   

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