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Quel avenir pour l’Afrique ? Entretien avec Francis Arzalier

vendredi 14 octobre 2022 par Francis Arzalier (ANC)

Directeur politique d’Initiative Communiste le journal du PRCF, Georges Gastaud a interrogé notre camarade Francis Arzalier, dirigeant historique de l’AFASPA, animateur de la « Polex » et co-dirigeant de l’A.N.C. à propos du devenir de l’Afrique. Nous remercions nos camarades et Francis de nous autoriser à publier cet interview.

Initiative Communiste : peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Francis Arzalier  :
Historien et retraité de l’Éducation qui était encore nationale quand j’étais prof d’IUFM, j’ai acquis un peu d’expérience africaine parce que je suis devenu militant communiste il y a plus de soixante ans pour lutter contre la guerre féroce menée par la France de Guy Mollet( PS ) et de De Gaulle contre le peuple algérien, et contre le colonialisme français en Afrique noire.
Je l’ai fait durant des décennies au sein du PCF, qui était alors la force majeure de lutte des travailleurs français contre l’Impérialisme et le colonialisme.

Jusqu’au début du XXIème siècle, quand le PCF « en mutation » électoraliste et opportuniste a abandonné tous ses principes de lutte de classe, ce qui l’a amené à sa quasi-disparition actuelle, j’ai alors rompu avec lui, et rejoint les groupes de militants qui refusaient cette dérive mortifère, d’abord en animant durant plus de 15 ans le Collectif Communiste Polex, qui essayait de son mieux de maintenir un mouvement anti-impérialiste français, bien mis à mal par la décrépitude idéologique du PCF, dans le cadre d’une véritable contre-révolution idéologique libérale submergeant notre pays depuis 30 ans.

C’est aussi dans cette optique anti-impérialiste que j’ai été responsable durant 15 ans de la revue de l’Association d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique « Aujourd’hui l’Afrique », jusqu’à ce qu’elle cesse de paraître faute de financement. Ce qui m’a permis de nouer de nombreux contacts solidaires avec des militants africains contre l’impérialisme.

Je suis aussi membre du Bureau national de l’ANC, l’un des groupes communistes qui ont pérennisé le combat de classe contre Capitalisme et Impérialisme, et à ce titre persuadé de la nécessité de reconstruire patiemment un Parti Communiste digne de ce nom, de dépasser ainsi la dispersion actuelle des militants grâce à des actions unitaires et respectueuses de nos différences

Initiative Communiste : L’Afrique francophone est en plein rejet de la « Françafrique » néocoloniale (Mali, Burkina Faso…). Ce rejet peut-il évoluer d’un rejet indiscriminé de « la France » vers un positionnement anti-impérialiste global d’orientation socialiste ou socialisante ? Comment mieux faire entendre aux jeunes Africains en révolte que la « France sans fric » que défendent les communistes français a le même ennemi qu’eux, les Bolloré, Le Drian et Cie ?

Francis Arzalier :
Les peuples de l’Afrique subsaharienne, aux prises avec les fléaux croissants depuis des décennies d’une indépendance nominale qui ne fut jamais une réelle décolonisation, ont pu se rendre compte du mensonge total sur lequel repose l’intervention militaire française au Sahel : depuis le début de l’opération Barkhane en 2014, l’insécurité liée aux bandes de délinquants et djihadistes que la France prétendait combattre n’a fait que croître.

Ainsi la zone frontalière Burkina-Mali, ravagée par les exactions a vu plusieurs millions de paysans obligés de quitter leur village et leurs champs, pour aller s’entasser en camps de réfugiés urbains.
Maliens et Burkinabés ont pu se rendre compte que les soldats français n’empêchaient nullement ce désastre, se compromettaient même au service de clandestins armés séparatistes sahariens, et que la présence militaire française, contrairement aux dires de Macron et ses ministres, servait exclusivement à protéger les intérêts des entreprises capitalistes exploitant l’uranium du Niger ou le pétrole dans la dictature tchadienne.

C’est la cause de ce que nos médias aux ordres baptisent le « sentiment anti-Français », qui a explosé en insurrections militaires soutenues par la majorité de la population de Bamako à Ouagadougou, et fermente ailleurs, du Sénégal au Bénin.

Malheureusement les partis progressistes et syndicats de l’époque des Indépendances ( RDA, PIT, etc ) ont connu depuis la fin du XXème siècle le même déclin opportuniste que les partis communistes d’Europe qui leur avaient servi de modèle, et n’ont plus guère d’audience.

On est dans ces pays ouest-africains dans une phase transitoire de reconstruction politique d’organisations structurées anti-impérialistes, armées d’objectifs clairs de développement économique et politique réellement indépendant.

Au sein même de cette nouvelle génération de militants qui luttent pour une « deuxième vague d’indépendances », certains se réfèrent au marxisme, d’autres liés à la bourgeoisie nationale aspirent à remplacer au pouvoir les tenants actuels de la « bourgeoisie compradore » asservie à l’Impérialisme occidental.

Les différences idéologiques recouvrent souvent des clivages de classe.

Tant que cette étape de reconstruction du tissu militant africain ne sera pas achevée, il est logique que le mécontentement populaire débouche sur des « Coups » militaires, dont les protagonistes ne sont pas à l’abri des pressions extérieures, et des ambitions dictatoriales : beaucoup d’officiers africains ont été formés en France….

Initiative Communiste : Le représentant malien à l’ONU a dialectiquement qualifié Macron et Cie de « gouvernants français anti-français » qui « renient les Lumières ». Cela n’ouvre-t-il pas un espace aux Français progressistes qui combattent pour une République française sociale et souveraine réellement amie de l’Afrique ?

Francis Arzalier :
La formule n’est pas fausse, et démontre que le refus de l’impérialisme français ne relève pas de la xénophobie anti-francaise, comme le prétendent nos « élites ». C’est sur cette base politique que nous devons exprimer notre solidarité avec les militants africains, car les intérêts de nos peuples sont les mêmes, ne serait ce que pour éviter d’autres guerres impérialistes. Et cela sans ce côté donneur de leçons qui a trop souvent pollué les relations entre la « Gauche » française et les partis africains.
Les contours de l’avenir de l’Afrique ne relève que des peuples de ce continent, notre bilan doit nous enseigner la modestie.

Initiative Communiste : le maintien de liens néocoloniaux avec l’Afrique nuit à la langue française et à la Francophonie internationale alors même que le centre de gravité du français s’est déplacé vers l’Afrique. Comment à ton avis faut-il s’y prendre, s’il n’est pas trop tard, pour relancer cette Francophonie menacée par le tout-anglais transatlantique, porté par l’impérialisme américain et qui marque des points partout, en France et en Afrique ?

Francis Arzalier :
Les nouvelles relations égalitaires avec les peuples d’Afrique devront être aussi d’ordre culturel. La « deuxième vague des Indépendances » passera d’abord par un renouveau des langues africaines, éradiquées par les colonisations, sous prétexte d’unité linguistique d’un continent morcelé en ethnies, puis en États.

Certes, il est toujours bon d’être bilingue, et les Africains le sont déjà plus que nous, utilisant comme vecteur d’échange, d’éducation et de culture l’idiome de l’État d’Europe qui les a autrefois soumis, l’anglais ou le français, au sein de pays partagés entre plusieurs dialectes ( Au Mali, le Bambara, le Peul, le Dogon, etc, sont des langues différentes ).

Mais les militants africains savent bien que chaque impérialisme essaie d’étendre son influence par la langue, les centres culturels, les échanges et les médias, et le Tout-anglais est d’autant plus à l’offensive en Afrique que l’État français y a laissé un peu à l’abandon les Centres culturels français.

Une France démocratique s’honorerait de leur redonner une vigueur nouvelle, notamment en y valorisant la diffusion des héritages révolutionnaires et progressistes qui jouèrent un rôle important dans la formation de nombreux militants et intellectuels africains.

Initiative Communiste : à ton avis, quels devraient être les principes d’une politique internationalistes d’une France vraiment progressiste à l’égard de l’Afrique francophone et non francophone ? Existe-t-il encore un espace pour un panafricanisme ou pour un panarabisme socialisant et laïque ?

Francis Arzalier :
Deux questions en une.

1/ Une France progressiste ou socialiste devrait nouer avec les États africains le plus possible de relations économiques, culturelles et diplomatiques sur une base de stricte égalité, du « gagnant-gagnant », sans ingérence politique ou militaire ( ce qui implique d’ores et déjà le retrait des troupes de l’Ouest africain, des agents plus ou moins secrets qui agissent un peu partout, etc.
La France a un lourd passé colonial et impérialiste ( du Rwanda en 1994 à Barkhane ), ce n’est évidemment pas Macron qui va engager ces nouvelles relations.

2/ Les progressistes ou communistes africains actuels s’interrogent beaucoup sur l’héritage panafricain des militants prestigieux de 1960, le malien Modibo Keita, le Ghanéen N’Krumah, etc, qui envisageaient l’unité de l’Afrique sur une base anti-impérialiste.
Dans une première étape, ces fondateurs ont créé chacune des Nations indépendantes, en unifiant dans un ensemble citoyen les différences culturelles, qui avaient souvent été utilisées par les colonisateurs pour diviser les colonisés.
Leur bilan a été très positif : il y a 20 ans au Mali, les gens se présentaient d’abord comme Citoyens de la Nation malienne, avant de faire état de leurs différences culturelles, leur appartenance au peuple Bambara, Peul, Dogon, etc.

Il a fallu le discrédit de l’État malien corrompu et incapable d’assurer la sécurité des citoyens depuis vingt ans pour faire renaître dans le pays des conflits ethnicistes oubliés : ainsi ces dernières années a-t-on vu des milices dogons exercer des raids punitifs meurtriers contre des villages peuls accusés sans preuves de complicité avec les clandestins intégristes.

Le premier objectif des anti-impérialistes africains est d’abord de reconstruire leurs états nationaux, pour qu’ils redeviennent capables d’assurer la sécurité des citoyens, et une économie forte qui permette d’éradiquer ces fléaux persistants, la pauvreté et le chômage massifs qui nourrissent l’émigration obligée, et les bandes armées délinquantes, qui n’ont aucun mal à recruter des combattants qu’ils ont les moyens de rétribuer.

Cette première étape des « deuxièmes indépendances » accomplies, les peuples très divers de l’Afrique iront certainement vers des processus d’unité dont il est difficile aujourd’hui de prévoir les modalités et les échéances.

Au sein des militants anti-Impérialistes africains actuels, les opinions sont diverses sur ce point, même si tous pensent à élargir les institutions existant déjà comme l’OUA, notamment sur les plans économique et monétaire, pour remplacer par exemple le franc CFA actuel, indexé à l’euro, et donc instrumentalisé par l’impérialisme occidental.

Initiative Communiste : le Mali et le Burkina sont tentés de se tourner vers la Russie (et/ou vers la Chine) pour combattre les djihadistes et pour s’affranchir de la Françafrique. Comment juges-tu cette évolution ?

Francis Arzalier :
Face à l’échec total de la présence militaire française au Sahel, il est normal que les opinions maliennes ou burkinabés aspirent à d’autres partenaires militaires susceptibles d’aider à rétablir la sécurité quotidienne, détruite par les groupes armés délinquants-intégristes.

Par ailleurs, soyons clairs : tout État africain indépendant a le droit absolu de choisir un partenaire militaire russe, ou de nouer avec la Chine un partenariat économique, quelles que soient les protestations indigènes de la France mal guérie de son passé colonial.

Ceci étant, l’appel à des mercenaires russes ne peut solutionner à lui seul les problèmes dramatiques d’insécurité au Sahel, dont les causes sont des États réduits à l’impuissance par la soumission à l’Impérialisme, la corruption des dirigeants politiciens et parfois militaires, et le non-développement économique qui génère pauvreté, émigration et délinquance.

Les militants africains lucides ont pour objectif premier la reconstruction d’un État au service des citoyens, capable d’assurer, y compris militairement, la sécurité quotidienne.

On ne guérit pas une carence politique ou économique et sociale par les seuls moyens militaires.

   

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