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L’impasse stratégique insoumise

vendredi 28 octobre 2022 par Faire vivre le PCF

Pour info !
Une analyse juste, et des croquis qui sont pertinents de la faiblesse du mouvement.
Sûr que cette « impasse stratégique « n’est pas celle de la seule FI, mais aussi celle du PCF…

(F.A-ANC)

Nous sommes en difficulté, dans le mouvement social comme dans le rapport de forces politique. Les droites dominent et le niveau de mobilisation sociale est largement insuffisant pour inquiéter le pouvoir. Pourquoi ?
Quel bilan tirons-nous de l’année 2022 dominée par les idées de Jean-Luc Mélenchon ? de décennies de mouvement social organisée autour de grandes journées d’action sans effet sur les organisations de terrain ?

Il est urgent pour les communistes de sortir des discours électoraux et de regarder le rapport des forces en face, pour inventer de nouvelles formes de rassemblement populaire capables de devenir majoritaire. Et il faut dire la vérité. La stratégie insoumise derrière Jean-Luc Mélenchon est une impasse, pour les luttes comme pour toute construction politique populaire.

Parlement Nupes et marche parisienne, l’impasse stratégique de la France Insoumise

Mélenchon y croit dur comme fer, Macron a perdu, il n’a pas de majorité et il devra passer par la dissolution. Après sa marche du 16 octobre pour le climat de 130 000 personnes, il affirme le 20 octobre : « La France entre en turbulence. »

En 2017 lors d’une marche électorale de 130 000 personnes, il citait Victor Hugo « Aujourd’hui, pour toute la Terre, la France s’appelle Révolution », et en septembre de la même année dans une marche de 150 000 personnes, « J’espère que nous serons capables de construire ensemble, dans le respect de tous, des mobilisations unitaires toujours plus fortes et résolument conquérantes ». son bras droit Alexis Corbière complétant « Ici, ce n’est qu’un début. »

Il plaidait à cette époque pour l’union des luttes : « Nous allons nous rapprocher des organisations syndicales pour leur proposer de se mettre à notre tête pour mener le combat, un combat qui soit déterminé, décisif et tous ensemble. Ce n’est pas qu’une bataille sociale, c’est une bataille républicaine. »

Cinq ans plus tard, il a tenté de prendre la tête, invitant avec insistance les syndicats à sa marche, mais a constaté le blocage de confédérations syndicales refusant de le rejoindre. Si peu de médias ont fait le rapprochement, la "marche pour le climat et la justice sociale" de 2022 a fait un peu moins que la "marche contre le coup d’état social" de 2017. Et comme en 2017, ce sont les mobilisations syndicales dans la même période qui sont les plus massives, tout en restant très loin d’un rapport de forces mettant en difficulté le pouvoir.

Mélenchon ne peut que tenter de faire pression sur la CGT. Mais le rapport de forces est là, et il faut boire le calice jusqu’à la lie et le vote RN de la motion de censure NUPES. Comme Rocard fin 80, Macron a besoin du 49-3, mais il n’y a pas de majorité pour le démettre. C’est la réalité du rapport de forces politique.

Le constat est désagréable, les faiblesses du mouvement social et de la gauche ne sont pas surmontées. Nous ne sommes pas, pas plus qu’en 2017, à la veille d’une révolution citoyenne. L’unité populaire promise par Mélenchon reste un slogan de mouvement politique.
Pourquoi ?
S’agit-il d’un problème conjoncturel, et il suffirait alors de ténacité pour que le bon moment révolutionnaire vienne ? Ou au contraire s’agit-il d’un problème de fonds, de compréhension de la société française, des conditions de l’unité du peuple.

Quelles leçons tirer de cette longue séquence 2022 dominée à gauche par Jean-Luc Mélenchon ?

L’échec électoral

Il faut d’abord dire la vérité sur le rapport de forces politiques. Au premier tour de l’élection présidentielle, le moment clé de la 5ème république où la bourgeoisie réorganise sa domination politique, la colère contre Macron n’a pas trouvé son débouché et Macron est devenu le premier président de droite réélu, avec un score renforcé. Une analyse précise des résultats du premier tour montre que le vote mélenchon n’est que très partiellement un vote "populaire".

Sa campagne n’a fait reculer ni l’abstention, ni le vote extrême de la colère noire populaire, ni repris un vote socialiste qui avait été entrainé par le macronisme. Il a seulement absorbé la gauche en accompagnant son affaiblissement. C’est un triple échec, devant l’abstention notamment dans les quartiers populaires, dans la fracture confortée avec le vote ouvrier, dans l’incapacité à faire vivre l’unité populaire face aux fractures sociales, géographiques, culturelles.

L’Union Populaire est au mieux difficile, au pire une forme de mensonge publicitaire. Mélenchon savait que le vote utile profiterait encore plus aux deux premiers candidats, mais il lui permettait de dominer la gauche dans la défaite. Il a poursuivi aux législatives dans un déni total du rapport de forces prétendant devenir premier ministre, obtenant le plus grand groupe politique de gauche, mais dans une gauche au plus bas, et derrière le groupe RN... Les péripéties des 49-3 suivis de motions de censure confirment l’incapacité de la gauche parlementaire à mettre en péril le pouvoir.

L’échec populaire

Le record d’abstention aux législatives montre la faiblesse générale de la gauche et de l’union populaire relookée en "NUPES". La fracture entre Mélenchon et le peuple se lisait déjà dans les résultats des présidentielles, mais en étant masqué par le bon score de LFI et la bataille acharnée pour présenter comme un succès ce troisième échec.
Mais elle apparait très largement aux législatives. Ceux qui ont parlé d’un progrès de la gauche sur 2017 passant de 64 à 147 députés, oublient qu’en 2017, 131 députés LREM étaient issus du PS ou des verts... Il faut remonter à 1993 et la large victoire de la droite après deux mandats de Mitterrand pour trouver une gauche parlementaire plus faible.

Dès qu’on raisonne en masse, en nombre de citoyens mobilisés d’une manière ou d’une autre, la réalité du rapport de forces réapparait avec une grande clarté et c’est bien parce-que notre peuple le ressent qu’il ne peut croire aux promesses médiatiques.

Voici un graphe des grands évènements électoraux ou sociaux en millions de voix ou de manifestants estimés par les organisateurs (tableau de données en notes). Il montre bien les tendances depuis 20 ans, les progrès de l’abstention et et de l’extrême-droite, et l’affaiblissement social et politique de la gauche et du monde du travail.

Rappelons que la France de 1968 avait connu dix millions de grévistes, la grève étant un acte beaucoup plus fort qu’une manifestation. Nous en sommes très loin, et le niveau de mobilisation baisse depuis les années 2000. Mais Jean-Luc Mélenchon ne peut que tenir un discours "positiviste" évoquant à propos de la marche pour le climat du 16 septembre « L’indéniable succès de cette marche donne du courage et la secousse va aller en profondeur dans les institutions ». Il fournit même le bâton pour se faire battre en affirmant :

  • D’une façon ou d’une autre, la marche du 16 octobre est le moment clef de la séquence politique, car c’est celui qui montrera le rapport de force central de la société : Macron contre le peuple / le peuple contre Macron.
  • Le peuple ?
  • Oui pas seulement les salariés qui peuvent faire grève (à juste titre), mais aussi les chômeurs avec et sans allocations, les retraités, les étudiants, les lycéens, les précaires, les saisonniers, etc.
  • C’est ici une divergence stratégique de fond. Pour moi, le peuple est le nouvel acteur social et politique de notre époque.

La vérité, tous les militants la connaissent dans leur entreprise et leur quartier. Les difficultés des mobilisations sociales ont explosés après l’échec des batailles de grande ampleur contre la réforme des retraites en 2010 et contre la loi travail en 2016. Le mouvement des gilets jaunes a confirmé l’éclatement d’un peuple désuni, et la longue période de confinements et de craintes épidémiques ont fragilisé, et parfois cassé, les liens du mouvement social.

Plus profondément, c’est l’impasse politique qui désarme le peuple et conduit beaucoup à considérer comme inutile toute mobilisation. Les manifestations de 2010 s’inscrivait dans la colère contre un Sarkozy symbole d’une bourgeoisie arrogante et dans la perspective d’un retour de la gauche. Mais l’impossibilité pour le président "élu contre la finance" de se représenter en 2017 confirmait la fin de toute perspective d’alternance "de gauche" dans le cadre désormais totalement dépassé de l’union de la gauche de 1981.

La bourgeoisie en a profité pour fabriquer un nouveau mouvement politique cassant tout repère populaire au service d’un capitalisme débridé. Sarkozy avait encore une promesse que le travail paie, Macron n’en a plus besoin puisqu’il "suffit de traverser la rue". La guerre de tous contre tous s’affiche dans un pouvoir qui supprime toutes les illusions politiques qui masquaient la nature du capitalisme au profit d’une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

Jean-Luc Mélenchon, prisonnier de sa pensée "mitterandienne" ne veut pas dire la vérité de ce rapport de forces. Il est contraint à tourner autour du pot en cherchant comment se renouveler médiatiquement en se répétant sans cesse sur le thème de "ça vient". Mais sa pensée se heurte aux limites fondamentales de sa famille "socialiste" sur trois points clés :

  • - son obsession à penser le peuple comme dépassant les contradictions de classes et trouvant son unité ailleurs que dans son rapport aux luttes de classes.
  • - son incapacité à penser la rupture autrement que comme une campagne électorale posant la question du pouvoir politique, autrement dit, son électoralisme
  • - son incapacité à penser le lieu de l’affrontement principal, l’entreprise où se joue le rapport capital-travail et où peut se construire l’unité populaire sur une base de classes.
    La première limite fondamentale, le peuple et les classes sociales

Jean-Luc Mélenchon a longtemps été dans un PS porteur d’intérêts de couches moyennes, au gouvernement face à de grandes luttes du monde du travail, de la casse de la sidérurgie en 1984 à la privatisation d’EDF en 2000. Malgré toutes ses envolées lyriques et ses critiques du PS, il est marqué par l’idée de Strauss-Kahn sur l’impossibilité de construire une victoire politique avec les seules forces du travail. Il théorise un peuple qui serait plus grand que le monde du travail et qui doit donc trouver une représentation plus large que le mouvement social classique.

Bien sûr ce « peuple » intègre les salariés. Mais il ne s’y limite pas. D’autres catégories sociales y entrent de plein droit à égalité de dépendance des réseaux et du droit d’y accéder. Ce sont les chômeurs, les retraités, les étudiants, les lycéens, les précaires, les paysans, les artisans, les auto entrepreneurs etc.
Aucun d’entre eux ne peut défendre ses droits autrement que par l’action politique sous toutes ses formes démocratiques depuis le vote jusqu’à l’action symbolique ou spectaculaire dans la rue.

Cela le conduit à séparer le salariat, défendu par le mouvement syndical, de la "’cité" que devrait organiser le mouvement politique, le conduisant à cette formule incroyable « les deux acteurs que sont le peuple et les salariés ». Ses difficultés avec les confédérations syndicales, malgré ses appuis dans de nombreuses fédérations, le conduisent ainsi à régler son problème par cette dichotomie surréaliste, le peuple à coté des salariés, méprisant du même coup les énormes efforts militants de la CGT pour organiser les auto-entrepreneurs des deliveroo et autres ubereats dans leur bataille pour un contrat de travail.

Ainsi sont dessinés deux milieux d’expression démocratiques au deux points de contacts fondamentaux du fonctionnement de la société avec chaque individu. D’abord le lieu de travail où les syndicats organisent l’information et l’action. Ensuite la Cité en général ou les organisations politiques et les associations en font autant. La stratégie de Front populaire est celle qui veut rassembler dans une même mobilisation les deux acteurs fondamentaux que sont le Peuple et les salariés...

Des intellectuels poussent cette analyse au bout en théorisant à la Negri une "multitude" qui serait bien plus large que la classe ouvrière historique, dont l’émiettement aurait conduit à la fin politique, au profit des "mouvements"...

Mélenchon fonde sa stratégie politique sur un constat sociologique : les sociétés globalisées du capitalisme tardif ne rendent plus possible, à la suite des délocalisations industrielles et de la tertiarisation de l’économie, la concentration des masses ouvrières, et par-là la constitution d’un sujet politique dans les usines. Le travail – et plus spécifiquement le travail industriel – perd sa centralité sociale, au profit des villes : avec la croissance des flux urbains, les villes deviennent les lieux de concentration par excellence du XXIe siècle, et par-là les centres de la nouvelle conflictualité sociale.

Entre les luttes pour le « droit à la ville » des années 1980, les mobilisations en Amérique latine pour les services publics contre les politiques néolibérales, les occupations des places publiques dans le sillage des Printemps arabes, c’est une même dynamique conflictuelle qui apparaît : la constitution des « populations urbaines » en colère, sujet trans-classe par excellence, en nouvel acteur politique.

Mélenchon reprend lui-même cette théorie de la multitude... « Le peuple, c’est la multitude urbaine prenant conscience d’elle-même à travers ses revendications communes ». C’est cette conception qui conduit à une bataille électorale concentrée sur les villes urbaines populaires où la gauche mitterrandienne était dominante et où il est souvent possible de prendre la place des communistes sans affronter la droite ou l’extrême-droite.

Cette idée de "multitude" ne résiste pas dès qu’on pose les questions concrètes qui divisent le peuple, entre urbains et ruraux, ouvriers et services, statutaires et précaires, parisiens et provinciaux, jeunes et anciens... Quelles revendications communes entre le défenseur du photovoltaïque sur le toit de sa maison et la famille du quartier populaire qui lui paie paie son électricité comme tous les consommateurs ?

Entre le livreur à vélo et le petit restaurateur dont il distribue les repas ? entre l’urbain sans voiture revendiquant sa qualité de l’air et le salarié périphérique contraint à la voiture quotidienne ? entre le demandeur au petit salaire qui attend depuis des années un logement et le migrant récemment régularisé qui bénéficie d’une priorisation ? La réalité vécue par l’immense majorité du peuple, c’est au contraire la concurrence permanente, la guerre de tous contre tous que le capitalisme organise. Croire que des "valeurs" peuvent surmonter ces difficultés est au mieux un idéalisme benêt, au pire un cynisme détestable.

Tant qu’on se contente, comme le fait le programme l’avenir en commun, de rassembler des revendications locales, sectorielles, corporatistes en espérant les concilier sur la forme, sans faire le travail gigantesque et indispensable d’éducation populaire pour partager un projet de changement de société radical qui va nécessairement heurter certains, prioriser d’autres, même s’il apporte beaucoup à tous, on ne peut espérer construire de réelle "unité populaire".

La multitude dont parle Mélenchon après Negri est une impasse. L’histoire des trois dernières décennies le montre avec force, des révolutions colorées à l’échec du mouvement altermondialiste, en passant par le mouvement des places espagnol, ou le occupy wall street.

S’il ne peut exister d’alternatives dans le cadre du capitalisme, alors pour que l’unité populaire se construire autour du changement de société, elle doit se construire d’abord dans la prise de conscience de la classe sociale qui fait face directement au capital, et c’est cette classe sociale qui doit reconstruire et assumer son rôle dirigeant et organiser ses alliances pour un rassemblement populaire majoritaire qui doit se définir non pas l’accumulation de revendications diverses mais par la cohérence des luttes de classes pour une autre société.

La deuxième limite fondamentale, l’électoralisme

Jean-Luc Mélenchon a été biberonné à l’électoralisme depuis ses premiers engagements. Il faut reconnaitre que c’est le cas de la plupart des militants, y compris des militants communistes, dont ma génération qui avait tant investi dans la campagne de Marchais 1981 que le choc des défaites, la prise de conscience d’un rapport de forces défavorables aux communistes a été brutal.

Puis les chocs de 1989, 1990 et les années suivantes avec l’éclatement du "camp socialiste" ont fortement fragilisé des engagements qui s’étaient tellement structuré autour du programme commun, "le seul chemin" de la révolution, que la réalité de la trahison socialiste, pressentie en 1978, apparente après 1983, éclatante en 1997 a désarmé une large part du mouvement communiste, et donné des ailes aux tenants de la "mutation", ou des métamorphoses qui ont emporté d’un coup le grand parti italien.

Les communistes français ne sont pas morts et ont lentement abordé la critique de cet électoralisme qui dominait l’union de la gauche jusqu’au 38ème congrès. Il n’est pas faux de dire qu’ils ont mis trop de temps, mais ce qui est sûr, c’est que Mélenchon lui, n’en est jamais sorti. Il se plait à l’évidence dans les campagnes présidentielles et s’ennuie tellement dans les années intermédiaires qu’il ne peut résoudre aucun des défis d’organisation, d’action, de rassemblement auxquels ses propres militants sont confrontés entre deux campagnes présidentielles.

Pour lui, tout se condense dans la bataille électorale et il arrive à dire à la foi « L’Union populaire peut devenir un Front populaire ! » tout en affirmant que « Nous, la Nupes, nous sommes l’alliance du peuple en version groupe parlementaire ». On ne peut mieux dire à quel point il est étranger à un fondamental du marxisme « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

Sur ce plan, la stratégie mélenchonienne touche à sa fin, car elle démontre dans la pratique qu’elle ne peut pas "changer la vie", pas plus que ne le pouvait l’union de la gauche mitterrandienne.

La troisième limite fondamentale, le lieu du rapport de forces

On connait bien cette chanson reprise comme un slogan dans de très nombreuses manifestations "c’est dans la rue qu’çà s’passe"... J’ai eu à de nombreuses occasions des discussions animées avec des militants CGT le reprenant à la sono quand je leur répondais dans le rythme "c’est au boulot qu’ça s’passe". Pourtant, l’histoire populaire nous donne une indication claire sur la place des manifestations de rue dans le rapport de forces.

Quelles étaient la taille des grandes manifestations des deux grands évènements fondateurs de l’histoire populaire, le Front Populaire et Mai 68 ?
- 500 000 manifestants à Paris le 14 Juillet 1936
- 1 000 000 de manifestants dans toute la France le 13 mai 1968

Donc en quelque sorte dans les années 2000, on a fait beaucoup mieux dans la rue qu’en 1936 ou en 1968 ! Et pourtant, chacun sait bien que le rapport de forces n’a pas été plus favorable !

Donc non, ce n’est pas "dans la rue que ça s’passe !".
La rue est , comme l’élection, un thermomètre du niveau de mobilisation. Mais tous les militants doivent savoir, et se souvenir, que la force de mai 68 qui a permis des conquis important, était dans les 10 millions de grévistes [14], qui occupaient leurs usines, inventaient un univers social, culturel, démocratique, d’éducation populaire qui préfigurait les capacités dirigeantes du monde du travail.

Que cela reposait sur un immense effort d’organisation, très concrète pour organiser la protection de l’usine, la logistique de repas et de déplacement, et bien sûr aussi pour diriger collectivement le mouvement. Il faut se souvenir aussi que cette force n’a pas empêché le retour de la droite dès le 30 mai. L’unité populaire n’a pas été assez large et puissante pour y résister. C’est dire à quel point le discours actuel de Mélenchon à la tête de sa marche est mensonger.

Les dernières décennies ont montré d’ailleurs l’impasse des stratégies "mouvementistes" et des "révolutions des places", la difficulté de diriger un "mouvement" organisé autour d’une occupation de lieux publics qui éloigne justement de l’entreprise, et laisse les agitateurs, les services spéciaux, et les forces politiques organisées gérer la période de crise entre provocations et répressions, laissant les "occupants" souvent floués et manipulés.

On ne peut construire l’unité populaire sans la construire sur le lieu de travail, dans sa diversité, et quelles que soient les situations des salariés, statutaires, précaires, autoentrepreneurs, indépendants... Car si la géographie divise, entre ville et campagne, centre et banlieue, banlieue riche et banlieue populaire, nord et ouest...le travail réunit autour d’un réel partagé, la production au sens large, de biens ou de services, malgré les contradictions au sein du monde du travail.

Toutes les familles populaires même les plus marquées par le chômage de longue durée et le RSA ont un lien avec un lieu de travail, à minima l’école comme parent et la grande surface comme client, mais pour l’immense majorité à travers les emplois "émiettés" qu’ils trouvent dans la sécurité, la propreté, les services à la personne, la logistique et dans ces emplois ubérisés au coeur de l’industrie notamment du numérique.

C’est au travail que ce qui divise le peuple peut être surmonté, dès qu’une revendication permet la convergence de tous. C’est notamment le cas sur l’enjeu du racisme et du vote d’extrême-droite. La géographie du vote d’extrême-droite montre à quel point la ségrégation a fait son oeuvre et qu’il est très difficile de lui résister.

Mais ce n’est pas un hasard si l’extrême-droite a fait beaucoup d’efforts pour tenter de s’installer dans des bases syndicales, et que la CGT doit mener une bataille interne parfois difficile pour ne pas lui laisser de place. A l’inverse, c’est bien là que la solidarité entre les différentes catégories peut se construire. Elle est tout sauf naturelle, mais elle est possible dès que les salariés se mettent en mouvement.

L’affirmation d’un peuple politique regroupé sur ses bases écologiques et sociales revendicatives est aussi la condition de la reconquête des secteurs populaires plongés dans la résignation ou le vote d’extrême droite.

Il a souvent de ces formules qui donnent l’impression qu’il est une sorte de Napoléon dirigeant les masses. Mais cette idée qu’un peuple politique (urbain de fait) va partir à la reconquête des secteurs dominés par le vote d’extrême-droite (périphérique) parait tellement déconnectée du réel qu’on se demande qui peut s’en satisfaire. Certainement pas François Ruffin qui persiste à travailler au concret cette question de l’unité populaire dans le réel de sa région marquée par le vote d’extrême-droite.

En conclusion, l’échec d’une stratégie métropolitaine, électoraliste, médiatique

Les limites de la stratégie mélenchonienne sont de plus en plus visibles, que ce soit au plan électoral face à l’abstention, au vote ouvrier, aux divisions du peuple, ou au plan social avec l’impossibilité de mettre son succès médiatique de campagne au service d’une organisation capable de produire cette unité populaire surmontant les divisions géographiques et politiques.

Le parlement ou agora qu’il propose en est le symbole, un rassemblement "en haut" des personnalités et des experts, un espace médiatique pour mettre en scène une unité populaire apparente représentant cette "multitude" qui efface la contradiction capital-travail, éloigne du lieu de l’exploitation, niant les contradictions au sein du peuple.

Et ce n’est pas une question de contexte, de "mauvais moment de l’histoire". C’est bien l’effet de son choix stratégique de ne pas faire d’analyse critique de l’histoire de l’union de la gauche. Car cela conduirait à constater que c’est la domination du courant socialiste sur la gauche qui a conduit à l’échec et à ... Macron captant encore en 2022 une part de l’électorat mitterrandien.

Mais faire la critique de la victoire de Mitterrand sur les communistes conduit inévitablement à chercher le fil de l’histoire communiste. Au contraire, Mélenchon s’enferme dans l’anticommunisme qui a toujours guidé ces choix, avant 1981, comme il l’explique dans son bilan raisonné de la présidence de Mitterrand, comme après 2008 dans la construction de son mouvement, parti de gauche, France Insoumise, Union Populaire. La place prise ces dernières années par son parti trotskyste de jeunesse, le POI en est révélateur. Et il l’explique très bien au fonds en théorisant après la multitude plutôt que le monde du travail organisé, la révolution citoyenne plutôt que socialiste.

« La révolution citoyenne, ce n’est pas l’ancienne révolution socialiste. Certes, elle inclut nombre de tâches qu’elle voulait prendre en charge : la lutte pour l’égalité du bien-être, le contrôle collectif des biens communs, l’éducation de tous, et ainsi de suite. Mais la révolution citoyenne vise des objectifs plus amples. Ceux de l’intérêt général humain. Son programme part de l’évaluation des rapports de l’humanité avec l’écosystème et des tâches qui en découlent. Elle est dite « citoyenne » parce qu’elle désigne l’acteur qui l’accomplit et qui doit en rester le maître : le citoyen. »

Ce n’est plus en résumé l’histoire des luttes de classe dont Marx dit qu’elle est l’histoire de toute société, mais l’histoire des rapports de l’humanité avec l’écosystème. Elle n’est pas faite pour renverser le rapport capital-travail, mais pour donner le pouvoir au "citoyen", comme si la grande révolution française n’avait pas été à la fin, la révolution de la bourgeoisie.

Mélenchon s’est construit pour lui-même, il peut s’installer dans une fondation à sa mémoire, mais le mouvement populaire est à terre, à reconstruire. La première étape est de sortir de cette longue séquence Mélenchon qui n’est que la répétition sous forme de farce de la séquence Mitterrand dont il est le produit. Il faut dire la vérité de cette "nouvelle union" mélenchoniste qui n’est que la dernière mouture de l’union de la gauche initiée dans les années 1970. L’union populaire ne peut que se construire dans l’action, dans les entreprises et les quartiers, et cela suppose un immense effort militant, d’éducation populaire et d’organisation.

Les communistes se cherchent et subissent encore les effets d’un choix stratégique, le programme commun, qui les a rendu inaudibles et inefficaces dans les luttes de classe, jusqu’à pratiquement perdre tout l’acquis électoral construit historiquement dans le monde du travail.
Mais leur prochain congrès pourrait être celui de la maturité dans la crise de la gauche, après les succès personnels de Fabien Roussel qui a redonné une place reconnue au point de vue communiste dans l’espace médiatique.

Il est impossible de construire un rassemblement populaire majoritaire avec un peuple divisé et c’est tout le problème de l’échec des luttes sociales des années Hollande puis Macron. De ce point de vue, l’enjeu du travail et de l’entreprise est décisif. C’est là que la conscience de classe peut se reconstruire, que des militants peuvent se forger, enracinés dans une classe sociale qui assume l’affrontement avec le capital. Mais cela se joue aussi là où le peuple vit ensemble, là ou le rassemblement peut se faire avec les couches sociales diverses qui ont intérêt à retrouver le chemin d’un rassemblement populaire.

   

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