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Permis de tuer

samedi 31 mars 2018 par Serge Halimi pour le Monde Diplomatique

La police estime que l’enquête prendra « de nombreux mois », mais la première ministre britannique Theresa May a déjà identifié le coupable : l’ordre de tuer M. Sergueï Skripal serait venu du Kremlin.

Pour le ministre des affaires étrangères Boris Johnson, le « comportement dangereux du président Vladimir Poutine » constitue en effet le « fil rouge » rattachant la tentative d’empoisonnement de l’ancien colonel des services de renseignement russes réfugié au Royaume-Uni à tous les forfaits antérieurs de Moscou : « l’annexion de la Crimée », « les cyberattaques en Ukraine », « le piratage du Bundestag », « l’ingérence dans plusieurs élections européennes », « l’indulgence envers les atrocités perpétrées par Assad en Syrie » [1].

Résumons : M. Poutine en est capable, c’est donc qu’il est coupable.

Entre pic à glace et thé au polonium, entre Léon Trotski (assassiné au Mexique) et Alexandre Litvinenko (empoisonné à Londres), les services de sécurité russes ont assurément liquidé nombre d’opposants vivant à l’étranger. Sans que cela suscite le même hourvari diplomatique, d’autres gouvernements ont recouru à des pratiques tout aussi détestables. La « longue histoire d’assassinats commandités par l’État » dont s’offusque aujourd’hui M. Johnson entache quelques-unes des capitales occidentales (Paris, Berlin, Washington) qui, relayant Mme May, ont aussitôt publié un communiqué commun contre la Russie.

Israël, en revanche, a eu la sagesse exquise de s’en abstenir, sans doute parce qu’il figure au premier rang des pays qui « procèdent à ce genre d’opérations qu’ils qualifient d’“éliminations extraterritoriales” [2] ». La liste des Palestiniens, représentants officiels compris, abattus par ses services secrets à l’étranger ferait en effet presque passer les Russes pour de tendres amateurs : au moins une demi-douzaine rien qu’à Paris, sans que des sanctions particulières en découlent. Paris, où disparut également l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, et où furent assassinées la Sud-Africaine Dulcie September, représentante du Congrès national africain (ANC), puis, plus récemment, trois militantes kurdes. Quant à Washington, un ancien ministre chilien de Salvador Allende, Orlando Letelier, y a été tué par des agents d’Augusto Pinochet. Ronald Reagan ne cessa pas pour autant de célébrer sa dictature, et Margaret Thatcher ne s’interdit pas davantage de partager à Londres avec le général putschiste un thé (sans polonium)… ni de lui offrir un plat Armada en argent.

« Éliminations extraterritoriales » définirait également assez bien la pratique américaine consistant à tuer à l’étranger, par voie de drones, des terroristes présumés. M. Barack Obama autorisa officiellement plus de 2 300 assassinats de ce genre pendant sa présidence. De son côté, M. François Hollande a confié avoir ordonné plusieurs exécutions extrajudiciaires d’« ennemis de l’État » — une par mois environ au cours de son mandat. Aucun de ses amis politiques interrogés à ce sujet lors d’un débat de la primaire socialiste de l’année dernière ne lui en fit pourtant reproche [3].

« Oui, c’est parfois nécessaire », expliqua même M. François de Rugy, devenu depuis président de l’Assemblée nationale.


[1Tribune publiée par Le Parisien, 16 mars 2018.

[2Pour reprendre une formule du chercheur Mathieu Boulègue, cité par L’Opinion, Paris, 13 mars 2018.

[3Débat télévisé, TF1, 12 janvier 2017.

   

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