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Trois questions à Romain Migus sur le coup d’État au Pérou et les mobilisations

lundi 9 janvier 2023 par Romain Migus

Comment évolue la situation au Pérou où le président élu en 2021 Pedro Castillo a été victime d’un coup d’État ? Nous interrogeons Romain Migus qui vit sur place et qui suit attentivement les mobilisations. Comme il nous l’annonçait, les manifestations ont repris aujourd’hui au Pérou. Une rassemblement de soutien était également organisée à Bruxelles devant la gare centrale.

Quel est l’état de la mobilisation au Pérou ? Les médias francophones donnent l’impression que la mobilisation s’est éteinte. Comme si l’avancée des élections de 2026 à 2024 aurait arrêté les manifestations…

95 % des médias péruviens sont détenus par trois personnes, trois milliardaires. La situation de la France avec neuf milliardaires fait rêver au Pérou, ici ils ne sont que trois !
Ces grands organes de communication étaient un des ennemis jurés de Castillo depuis le début, un des pouvoirs factices qui a cherché à faire tomber Castillo dès le début de son mandat. Les manifestations à Lima la capitale ont été soutenues mais n’ont pas été massives. Lima compte douze millions d’habitants, les manifestations rassemblaient environ dix mille personnes, ce qui n’est pas énorme en effet compte tenu de la population de la capitale.

En revanche tout le sud du pays et y compris les zones rurales du nord ont été en mobilisation permanente. Là on a des clivages qui divisent la société péruvienne, économique d’abord, mais pas uniquement, ethniques aussi. La moitié du Pérou parle quechua ou aymara ou une langue indigène, la moitié du Pérou a une langue autre que l’espagnol.
Il y a des clivages géographiques, entre côte et montagnes, entre Lima et les régions. Je pense que c’est le plus important, les régions se sentent humiliées, marginalisées face à la capitale gouvernée par des élites qui ne font pas du tout attention aux provinces et qui les pillent.

Toutes les richesses minières et agricoles sont dans les provinces et notamment dans le sud du Pérou. On a une situation dans le sud qui n’est pas comparable à celle de Lima et qui a été proche de l’insurrection et que je dirai d’indignation générale.
On leur a volé le récit démocratique. On leur avait déjà volé le récit économique avec des années de néolibéralisme qui a volé en éclat avec la crise du covid.

Les péruviens se sont rendus compte qu’il n’y avait aucun service public, aucun service de santé, aucun Etat qui pouvait soutenir les septante pourcent des personnes qui vivent dans le commerce informel et qui étaient confinées chez elles à mourir.
C’est déjà un mythe qui a explosé avec le covid et cette crise a expliqué en partie l’arrivée de Castillo au pouvoir.

Là c’est le mythe démocratique qui tombe. Ils pensaient qu’en votant pour un des leurs ils allaient pouvoir gouverner et changer le Pérou. Mais non malheureusement. Ce Pérou profond qui a voté pour un professeur d’école a subi l’acharnement d’une coalition menée par le système pour faire tomber Castillo dès le premier jour.

La droite néolibérale on pouvait s’y attendre, mais aussi toute une gauche progressiste, urbaine, développée, liée aux ONG… qui s’est mis dans le coup d’État et qui reconnu Dina Boluarte au début.

Aujourd’hui cette gauche là est bien emmerdée parce qu’ils ont reconnu la dictature et subissent ses conséquences, de ce qu’ils ont applaudi au début. Ils ont applaudi ce tournant parce qu’il y a une déconnexion totale avec ce peuple rural, plus généralement des provinces.

Et parmi ce peuple la mobilisation continue. Il y a juste eu une trêve, on va dire de Noël, parce que beaucoup de gens qui manifestent sont dans le commerce informel et ils avaient besoin de rentrées économiques pour pouvoir survivre. Le 4 janvier de nombreuses régions ont appelé à une mobilisation indéfinie. Il n’y a pas de fin, on verra comment tout cela se terminera !

 Que reste-t-il de la gauche ?

Ce n’est pas très important, nous sommes plus ici dans un mouvement national populaire loin du carcan de la gauche intellectuelle comme on pourrait la formuler en Europe.

Les revendications principales s’articulent autour de la liberté pour Castillo, la démission de Dina Boluarte et une assemblée constituante. Mais parallèlement il y a des revendications centrées sur le vivre ensemble. Ce qui allait de soi n’est plus accepté. On est maintenant dans un processus constituant où les gens discutent sur la volonté de vivre ensemble ou pas.

Parce qu’il y a des volontés séparatistes aussi qui commencent à surgir dans le sud du pays. Ce processus constituant peut prendre plusieurs années et finir sur la refondation de la république et sur un nouveau pacte social. Comme on a pu le voir au Venezuela entre le Caracazo en 1989 et la nouvelle constitution en 1999.
Mais aussi en Bolivie avec la guerre de l’eau, la guerre du gaz puis la nouvelle constitution dans les années 2000. Également comme on a pu le voir en Tunisie, en Islande.
La réflexion collective et la construction d’un nouveau pacte social cela va bien au-delà de ce qu’on appelle la gauche.

 Comment se placent les États-Unis ? Et côté progressistes le Mexique et la Colombie qui ont joué un rôle ?

On oublie un peu le Pérou parce que la Colombie justement était sur le devant de la scène médiatique pendant des années mais le Pérou est un très très grand pays avec huit bases militaires et un biolaboratoire dans la jungle, tel qu’on en a découvert en Ukraine il y a quelques mois.

Le Pérou a cinq frontières en Amérique Latine, c’est un très grand pays avec des richesses fondamentales, évidemment les Etats-Unis ne veulent pas voir échapper un pays avec une importance telle dans la région. A partir de 2023 jusque 2028, les concessions pétrolières vont être renégociées, pour trente ans.

Castillo, même si il n’était pas une menace pour les intérêts étasuniens dans son pays et dans la région, il n’était pas considéré comme suffisamment sûr pour pouvoir réengager les concessions sur l’exploitation des ressources naturelles.
On a vu que la première personne à reconnaître Dina Boluarte c’est l’ambassade des Etats-Unis puis Luis Almagro, le secrétaire général de l’organisation des Etats américains, appelé ministère des colonies.

Enfin pour ce qui est du Mexique et de la Colombie, ils ont une position digne. Le Pérou a catalysé et a réuni deux gauches qui ont cours en Amérique latine, Mexique, Colombie, Bolivie et Argentine ont dénoncé ce coup d’État. Puis une gauche plus révolutionnaire autour de l’Alba avec le Nicaragua, Cuba, le Venezuela et certains pays des Caraïbes ont eux aussi dénoncé le coup d’État.

Il y a une réunion d’intérêts géopolitiques, d’intégration régionale, autour du cas du Pérou. Au Brésil, au moment du coup d’État, Lula n’avait pas le pouvoir. Finalement ceux qui ont reconnu l’accession de Dina Boluarte au pouvoir sont les pays de droite de la région.


Voir en ligne : https://www.investigaction.net/fr/t...

   

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