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Ne faites pas la guerre aux Russes !

Propagande, mythes, avertissements et Russie profonde.

dimanche 21 mai 2023 par Jacques Henno

Pour comprendre la propagande et "l’âme de la propagande" russe au cours de cette guerre qui, aux yeux des Russes, n’est que la continuation de celle des armées allemandes, napoléoniennes, polono-lithuaniennes, voire varègues. (BD-ANC)

La "maskirovka" (en russe : маскировка, littéralement : camouflage) est le terme russe qui désigne l’art de la désinformation sur le champ militaire, et ce terme caractérise les comportements rusés, typiquement russes ou russo-tatars, en matière d’art militaire. Et quand cela se combine avec un autre type de comportement russe, celui d’ "Ivan l’idiot", alors on passe de la stratégie militaire et de propagande, à la “civilisation” de Russie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la "Grande guerre patriotique", on a parlé de "maskirovka" à propos d’un certain nombre de batailles engagées par l’armée rouge, les plus connues étant celles de Rjev-Vyazma, Stalingrad, Koursk et l’opération Bagration à partir de la Biélorussie vers la Pologne.
Au cours desquelles, l’envahisseur nazi a été presque totalement désorienté sur le lieu et le moment de l’attaque (soit dit en passant les Ukrainiens, les "Petits-russiens" donc, qui sont au fond issus de la même "souche culturelle" russo-tatare, font la même chose avec leur "contre-offensive" annoncée depuis des mois mais toujours pas lancée !).

Ce qui rend la "maskirovka" particulièrement complexe, c’est que sont totalement imbriquées en elle des méthodes relevant à la fois de l’armée, de la diplomatie et du pouvoir politique, voire de la guerre économique. Cela rend très difficile (mais c’est l’effet recherché !) de lire les organigrammes du pouvoir russe (ou auparavant soviétique ou de la cour des tsars), et donc de la prise de décision sur le terrain.

Un observateur extérieur ou un ennemi ont du mal à voir ce qui relève du bordel russe bien connu, et ce qui, au contraire, fait des Russes une force redoutable, implacable. Et le "conflit" affiché actuellement entre Prigorine, Choïgou, Kadyrov, Douguine, le KPRF, Essence du temps, des oligarques, etc etc etc., avec, "au milieu", un Poutine dont on ne sait pas très bien ce qu’il veut, relève aussi de tout cela.
C’est pour cela que les Européens considèrent souvent les Russes comme des Asiatiques, fourbes, illogiques, imprévisibles, déconcertant, subjectifs.

"Ivan l’idiot" comme personnage russe mythique se rajoute à la "maskirovka". Il fait dans la réalité des faits la synthèse entre les deux. Comme dans beaucoup de contes populaires et de mythes russes, d’origine chamanique ou religieuse.

L’aspect social de "l’idiot" est fondamental. Il est par principe le plus jeune fils d’une famille patriarcale. Il n’a fondamentalement aucun droit, aucune propriété, rien qui ne lui appartienne en propre. Il est au bas de l’échelle de la société. Par conséquent, les paysans qui se rassemblaient pour écouter les bouffons-conteurs aimaient entendre comment le héros opprimé, un homme sans argent, « avait de la chance », de fait.
Il parvient non seulement à déjouer ses frères aînés, mais il finit par vaincre d’importants fonctionnaires, des princes et même le tsar lui-même ! C’est un "pot pourri" de la Russie profonde et "éternelle", de "l’âme russe". C’est iconoclaste, c’est "bolchevik", c’est "islamo-tatar", c’est "byzantin", c’est "asiatique", c’est "oriental", c’est slave, c’est russe, tout à la fois.
C’est à la fois communautaire, "communiste" et "inch’ Allah".

Si les frères sont guidés par leur raison raisonnante, "Ivan l’idiot du village", lui, est une créature d’impulsion, de cœur. Il a "l’intelligence du cœur" qui dépasse l’intelligence calculatrice du cerveau. Il va « partout où ses yeux regardent, partout où ses pieds l’emmènent ».
La pratique calculatrice s’oppose ici à l’intuitif qui voit, perçoit, assimile, préfigure. Et c’est ce dernier qui gagne au final. En effet, Ivan ne fait pas confiance à son propre esprit ...trop réducteur et donc souvent inutile, mais seulement à la "volonté de Dieu".

Le lien d’"Ivan l’Idiot" avec l’autre monde est là, il dépasse tout le reste, il est plus élevé que tout sur terre, il est vision, il est visionnaire, il annonce les temps à venir. Dans la maison, "l’idiot" est couché sur le rebord du poêle, qui est le lieu de repos préféré de Baba Yaga, "la sorcière" selon les bien pensants.

Baba Yaga est la gardienne des portes du pays des morts. Il n’est pas étonnant dès lors dans ces mythes que les animaux (magiques) aident Ivan, car beaucoup d’entre eux étaient des bêtes totémiques dans le passé païen, slave et aussi ougro-finnois de la Rus’ (Ruthénie).
Et ce n’est pas une surprise dès lors qu’il soit le seul personnage parlant qui ait finalement un sens, malgré son idiotie apparente. Donc, si dans un passé plus récent, le lien d’Ivan avec la foi dans le Christ est évident, dans le passé païen, il ressemblait plus à un chaman, l’intermédiaire entre les mondes. C’est de lui dont il est question dans le film de Kontchalovsky Les nuits blanches du facteur. Il est un intermédiaire entre le monde divin et le monde réel, matériel.

Le seul qui peut parler les deux langues. Ironiquement et paradoxalement, il est le seul à connaître la vérité vraie, la vérité réelle, la vérité profonde.
Au-dessus du temps et au delà de l’espace.

Les contes populaires russes n’ont pas par hasard été bien accueillis par les pouvoirs soviétiques car ils restauraient la dignité populaire, la Russie profonde, et la foi dans le destin qui était à la fois l’annonce du royaume de Dieu devant advenir avec le retour de Jésus sur terre qui apporterait la paix et la justice, et celle du royaume de justice que devait apporter le progressisme communiste iconoclaste abattant les popes traitres, véreux, collaborateurs des boïards corrompus ...et occidentalisés.

Et ce sont donc les bolcheviks qui ont, pendant la guerre civile, rapproché aux yeux des masses le pays du royaume de dieu annoncé, "même si" pour cela il fallait tuer des popes, brûler des églises et des idoles qui symbolisaient désormais la déchéance du pouvoir précédent injuste.
Iconoclasme contre iconodules, le fondement de la "dialectique" de l’orthodoxie chrétienne oscillant entre culte des images (des idoles) et pureté d’ermite. Pour le paysan russe, Marx était un inconnu mais Jésus expulsant les marchands du temple et les prêtres à leur service était attendu depuis des siècles (voir les écrits de Berdiaev [1]sur le sujet).

Et là aussi on retrouve un Kontchalovsky, et tout ce petit monde populaire qui a vibré avec la révolution bolchevique et son bras "justicier", pour la Russie et pour le monde, brisant la corruption arrivée de l’Occident embourgeoisé et rabougri.
Ce rêve millénariste a de fait été interrompu par ...Khrouchtchev, avec le début du consumérisme. D’où aussi le sentiment persistant dans la Russie profonde envers les héros Tchapaïev, Artyom (d’où vient le nom soviétique de la ville d’Artyomovsk, rebaptisé par Kiev, Bakhmut), puis l’épopée stalinienne des plans quinquennaux, de l’ascension sociale renversant l’ordre établi et celle de la "Grande guerre patriotique" au service de la régénération de l’humanité entière.

Comme le définissait déjà Vladimir Lénine, un conte populaire, un conte de fées magique, exprime principalement « les aspirations et les attentes du peuple ».

Les personnages injustement opprimés issus des couches les plus basses de la société sont devenus les nouveaux héros du peuple sous les communistes, en conservant leur sève populaire truculente. Un paysan naïf qui atteint son but alors qu’un bourgeois, un homme riche, puissant, égoïste, "cosmopolite" et en principe éduqué est laissé de côté, au bord du chemin – Cette représentation du monde a surpris les Russes eux-mêmes, sur eux-mêmes, par son audace.

De nombreux films tirés de Gorki et dessins animés ont été produits à l’époque soviétique mettant en scène "Ivan l’Idiot" : Comment Ivanouchka-Douratchok cherchait le miracle, Le Petit Cheval bossu, etc...

Et la vidéo chantée proposée plus bas ne fait que remettre en cette période "d’opération spéciale" en scène un saltimbanque, un clown, qui désoriente par ses pitreries et son dénuement une troupe d’Allemands aux regards d’acier et, vous l’aurez remarqué, extrêmement bien choisis comme acteurs pour caractériser la froideur germanique des SS (et celle anglo-saxonne germanique elle-aussi aujourd’hui des néocons).
Ces Allemands sont d’abominables brutes ou des naïfs incultes et bornés qui s’apprêtent à pendre deux enfants de partisans soviétiques. Et pour faire face à cette armée allemande, armée et bien équipée, les Russes ne sont que deux et ils n’ont presque pas d’armes.

L’un d’entre eux a d’ailleurs les yeux bridés, origine asiatique qui plait aux pays de l’aigle byzantin à deux têtes, occidentale et orientale. Car la russité profonde a, à la fois, les yeux bridés et noirs, et aussi les yeux bleus et ronds. Cheveux noirs et peau mate, cheveux blonds et peau blanche, interchangeables. Il y a donc dans l’imagerie russe, un Ivan, Russe blond et grand (avec parfois des yeux bleus mais qui peuvent être bridés), mais aussi un autre Ivan, Russe d’origine tatare (mongole).

Il y a donc le "pitre" du village et le "Tatar" qui est un excellent tireur, précis, implacable, froid, maître de lui. À eux deux, ils pratiquent la "maskirovka", camouflant leur action d’extermination des envahisseurs sous différents leurres, celui du sniper dissimulé et dont chaque balle doit être mortelle et "Ivan l’idiot", le pitre, le clown, à la fois grotesque et magicien, et qui fait de son art du cirque et de son idiotie l’outil imprévisible de la victoire russe.
Et la scène finale, c’est l’avertissement des avertissements envoyés aujourd’hui aux Occidentaux par la propagande russe : "Pourquoi es tu venu ici ? Pourquoi n’es tu pas resté dans ta maison ?".

Pour les Russes, l’élargissement de l’OTAN, c’est le "pourquoi n’es tu pas resté chez toi ?".

Et c’est là où cette chanson de propagande à destination 1/ des Russes 2/ des Occidentaux (ceux en état de comprendre) doit être replacée :

C’est le fond de cette vidéo et de sa chanson :

Cette vidéo et la chanson traduite plus bas sont une manière russe de faire comprendre aux pays et aux élites de l’OTAN qu’il vaut mieux foutre la paix aux Russes parce que personne ne peut exactement savoir dont ils sont capables en réaction …

Être "Ivan l’idiot" est matière à ruser … Car aucune force, aucune armée ne peut soumettre la nature …et la Russie croit dans les forces réveillées de la nature ...inch Allah ! à la russe, en quelque sorte.
En gros, les Russes disent ici face à la propagande occidentale et ses errances : "Si vous voulez croire à ce que nous vous annonçons, ne vous gênez pas !".

Voilà traduite cette chanson :

Le monde est prêt à ouvrir le feu,
Toutes les fondations se sont effondrées.
Le tabou a été effacé par le temps
“Ne faites pas la guerre aux Russes !”
Une fois de plus, les fous se précipitent dans la bataille
Avec leurs compagnies de jeunes hommes
Pour connaître la douleur de l’épiphanie
Ne faites pas la guerre aux Russes !

De nouveau les méchants ici et là
Ils font jouer leurs muscles.
Il y aura de nouveaux chaudrons, alors,
Ne combattez pas les Russes
Qu’est-ce qui vous arrive ?
Avec vos fronts hollywoodiens !
Le cours de la bataille est connu d’avance
Ne faites pas la guerre aux Russes !

L’aube écarlate sommeille
Sur les champs tristes.
Ne faites pas d’histoires pour rien
Ne faites pas la guerre avec les Russes !

Vous ne voulez pas faire la guerre
Derrière vos chopes de bière
Répétez-le comme une leçon
Ne partez pas en guerre contre les Russes
Mettez-vous bien ça dans la tête
Vous ne pouvez pas le faire
Écrivez-le en grosses lettres
Croyez-moi sur parole, mes amis
Ne faites pas la guerre aux Russes !

La flamme éternelle ne s’éteint pas
Sous les vents infâmes
Même les morts craignez-les
Ne combattez pas les Russes
Nos soldats de bronze
Peu importe combien vous en détruisez,
Nous vous paierons de retour
Ne faites pas la guerre aux Russes !

L’aube écarlate sommeille
Sur les champs tristes
Ne faites pas d’histoires
Ne faites pas la guerre aux Russes !
Le monde est prêt à ouvrir le feu

Toutes les fondations se sont effondrées
Le tabou a été effacé par le temps
“Ne faites pas la guerre aux Russes !”
Vos épaules sont fragiles
Elles craquent sous l’effort.
Seuls les Russes eux-mêmes
Peuvent combattre les Russes.

L’aube écarlate sommeille
Sur les champs tristes.
Ne réveillez pas le mal en vain
Ne combattez pas les Russes

Auteur de la chanson : Andreï Kouriaev

La bande annonce du film de Kontchalovsky dit tout cela ...pour qui sait le voir.

   

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