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Le yuan peut-il supplanter le dollar ?

mercredi 31 mai 2023 par Anne Cheyvialle

Encore une étude qui nous vient du Figaro. Comme quoi, malgré l’omerta médiatique, le monde bouge. Et le Figaro se rassure comme il peut.(JP-ANC)

La guerre en Ukraine a accéléré les échanges libellés en monnaie chinoise, entre plusieurs pays se défiant des États-Unis. De quoi alimenter les rêves de grandeur que Xi Jinping nourrit pour le renminbi.

Sergio Massa, le ministre des Finances d’Argentine, a atterri ce dimanche à Pékin. Son urgence est de négocier une ligne de financement en yuans pour remplumer le matelas de réserves du pays. Plongée dans une crise et une spirale inflationniste sans fin, l’économie sud-américaine, déjà sous perfusion du FMI, veut éviter un nouveau défaut. Buenos Aires s’est aussi engagé à régler ses importations auprès de Pékin en renminbis (RMB), nom officiel de la monnaie chinoise, « l’argent du peuple » en mandarin.

Ces dernières semaines, les annonces se sont multipliées, émanant surtout des grands pays émergents, montrant leur volonté de commercer davantage en yuans. Dernière en date, le Brésil et la Chine ont scellé un accord le 29 mars, visant à doper les échanges bilatéraux et à faciliter les investissements.

En décembre, c’est l’Arabie saoudite, allié historique des États-Unis, qui a signé un partenariat stratégique avec l’empire du Milieu, prévoyant un usage accru du renminbi au détriment du billet vert.

Autre illustration récente : le 30 mars, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et TotalEnergies ont conclu un premier contrat libellé en renminbis sur des livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL), à travers une plateforme spécialement créée par la Chine pour imposer sa monnaie dans ses importations et exportations d’hydrocarbures.

La nouvelle donne géopolitique avec la guerre en Ukraine et l’évolution vers un monde multipolaire servent l’ambition de Pékin d’en faire une devise internationale et de concurrencer le billet vert.
À terme, l’ambition de Xi Jinping est bien de détrôner le roi dollar.

• La force de l’économie chinoise

Il y a un effet presque mécanique à la montée en puissance du yuan, lié au poids économique de la Chine, qui s’est hissée à la deuxième place du podium mondial derrière les États-Unis.
Depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, ses exportations ont augmenté de manière quasi continue et représentent 14,5% des échanges internationaux. Sa part dans les transactions internationales, progresse toutefois assez lentement, atteignant à peine 5% contre 45% pour le dollar et 33% pour l’euro.

« Il est logique que le yuan devienne une monnaie de facturation étant donné le rôle de la Chine dans le commerce mondial », appuie Antonio Fatas, professeur d’économie à l’Insead. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de 120 pays, dont le Brésil et la Russie, pays amis, du club des Brics (qui réunit aussi l’Inde et l’Afrique du Sud).
« La monnaie est une arme de soft power, souligne Julien Marcilly, chef économiste de la société GSA, qui conseille les États sur leurs dettes.
Après la grande crise de 2008, les Brics affichaient la volonté de s’affranchir du dollar comme monnaie de référence internationale. »

La stratégie de conquête des autorités chinoises s’est renforcée sous le règne de Xi Jinping, qui affiche l’ambition pour l’économie chinoise de doubler les États-Unis d’ici à 2050. Son offensive des « nouvelles routes de la soie », qui vise, en s’appuyant sur la puissance financière, à mailler la planète d’infrastructures stratégiques, pousse à l’utilisation du yuan.

Un autre jalon important a été la création en 2015 du système de paiement chinois, le CIPS (China International Payment System) pour gérer les transactions transfrontalières en renminbis.
Le RMB a gagné en stature internationale avec la mise en place de marchés offshore, l’intégration de CIPS dans Swift, le réseau de messagerie interbancaire mondial et son entrée, actée fin 2015, dans le panier des devises de référence du FMI, les droits de tirage spéciaux (DTS).

Il y a une disparité régionale des paiements en yuans dans Swift, pointe un récent rapport du FMI, ciblés sur l’Asie et les pays en développement et émergents comme le Chili, l’Argentine et la Turquie.
« Le yuan numérique - la Chine est le premier pays à avoir créé une monnaie de banque centrale digitale - fait partie de cette stratégie d’internationalisation mais elle en est encore au stade expérimental entre les grandes villes chinoises », note Elvire Fabry, de l’Institut Delors.

Sur le front commercial, appuie de son côté Gaetano Gaballo, professeur d’économie à HEC, « le partenariat économique régional global (RCEP), le vaste accord commercial entre l’Est asiatique, la Chine, l’Australie et le Japon, pourrait accélérer l’internationalisation du yuan ».
L’an dernier, selon la Banque des règlements internationaux (BRI), le yuan est bien la devise qui a connu la plus forte croissance parmi les 39 monnaies couvertes.

• L’effet de la guerre en Ukraine

Le renminbi profite aussi de la montée des tensions géopolitiques, des rivalités sino-américaines et de la neutralité affichée de nombreux États vis-à-vis de l’agresseur russe.
« Les échanges commerciaux se sont accélérés, depuis la guerre, entre la Russie et la Chine, ils ont augmenté de 30%, et même de 39% au premier trimestre 2023 », signale l’économiste de l’Institut Delors.
Le commerce bilatéral a atteint en 2022 le chiffre record de 185 milliards de dollars. Les entreprises russes ont réglé la plupart de leurs achats chinois en renminbis. Ce qui a certainement contribué à l’essor de CIPS, dont le total des règlements a augmenté de 21% en 2022, s’élevant à 97 milliards de RMB (14 milliards de dollars), selon les données de la banque centrale chinoise.

Vladimir Poutine a indiqué vouloir utiliser le yuan avec les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. « Dans un monde plus incertain, un groupe de pays regardent la Chine comme un allié stratégique », renchérit Gaetano Gaballo.

Le risque de sanctions économiques imposées par les États-Unis et la force du dollar ont un effet repoussoir.
« Certains pays pourraient faire des déclarations sur l’utilisation du yuan pour signaler aux États-Unis qu’il existe une alternative, explicite Antonio Fatas. C’est principalement ce à quoi on assiste. Il ne s’agit pas d’un changement radical dans les chiffres réels, mais plutôt de l’expression d’intentions motivées par un environnement géopolitique complexe. »
Le soutien financier de Pékin auprès de pays amis, Venezuela, Cuba ou Argentine, contribue à internationaliser le yuan. Pékin multiplie en outre les accords d’échange de devises, y compris avec les économies développées telles que le Canada et l’Union européenne via la BCE.
Le FMI en comptabilise 38 en 2022 pour un montant de 4000 milliards de RMB (566 milliards de dollars).

L’élan d’expansion du yuan ne risque-t-il pas cependant d’être freiné par le ralentissement économique de la Chine, qui s’est aggravé pendant la pandémie et ses difficultés structurelles, en particulier, le creusement de la dette ?
« On pourrait faire un parallèle avec le Japon dans les années 1980 et la menace du yen de concurrencer le dollar, commente Julien Marcilly. Cela ne s’est finalement pas produit avec le plafonnement de l’économie japonaise. » Le fait que la Chine ait moins de capacités financières et moins besoin de s’approvisionner en matières premières est à prendre en compte, poursuit-il.

• Le dollar toujours valeur refuge

L’obstacle majeur à l’envol du yuan vient surtout du statut indéboulonnable de valeur refuge du billet vert. Dans les réserves de change, le renminbi fait figure de Petit Poucet. Le dollar couvre 60% des réserves mondiales - une part qui a peu reculé depuis 2008 - contre 20% pour l’euro, 5% pour le yen et la livre sterling et de l’ordre de 2 à 3% seulement pour le yuan.
Il domine aussi largement les émissions obligataires sur les marchés internationaux. La guerre en Ukraine et le relèvement à marche forcée des taux d’intérêt américains pour faire face à l’inflation ont accentué le pouvoir d’attraction du dollar, qui a atteint l’automne dernier un plus haut depuis vingt ans.
« En temps de crises, dont le rythme s’est accéléré ces dernières années, la réaction épidermique consiste à privilégier les actifs considérés comme valeur refuge », commente le chef économiste de GSA.

Gaetano Gaballo insiste sur deux facteurs, « confiance et responsabilité », déterminants dans le choix d’une devise pour son épargne.
« C’est ce qui rend le dollar très fort, la garantie d’une inflation et d’une monnaie stable ».
Pendant la pandémie, illustre-t-il, les États-Unis ont ouvert de nombreuses lignes de liquidités aux banques centrales. La directrice du FMI ne croit pas non plus à une dédollarisation rapide de la planète. « Ne dites pas encore au revoir à vos dollars, a-t-elle déclaré la semaine dernière, lors d’un forum économique à Doha. Si le dollar est une monnaie de réserve, c’est en raison de la force de l’économie américaine et de la profondeur de ses marchés de capitaux. »
De fait, la moitié de la valeur totale des marchés boursiers se situe aux États-Unis !

• Les contraintes imposées par Pékin

Le yuan pâtit aussi du dirigisme de Pékin. Le virage autoritaire de Xi Jinping n’est pas de nature à rassurer les investisseurs. Les mesures de rétorsion prises à l’encontre des géants de la tech tel le médiatique patron d’Alibaba, Jack Ma, en sont une illustration.
C’est toute l’ambivalence des autorités chinoises, qui d’un côté aspirent à un rôle plus important du yuan sur la scène internationale et de l’autre libéralisent au compte-gouttes leur économie.
« Malgré de récentes libéralisations, le compte de capital (équivalent de la balance des paiements, NDLR) de la Chine reste sous un contrôle très strict, ce qui limite les possibilités d’utilisation du RMB au niveau mondial », synthétisent Hector Perez-Saiz et Longmei Zhang pour le FMI.

La devise chinoise souffre d’un niveau élevé de contrôle des capitaux, à la fois sur les flux de portefeuilles, le régime de change et les investissements directs étrangers. En 2022, les restrictions couvraient encore 12 secteurs (dont l’agriculture, l’exploitation minière et l’industrie manufacturière) même si la liste a tendance à diminuer, précise le rapport de GSA.
Des quotas sont imposés sur les actions et obligations chinoises et certains titres interdits.
Même si les autorités ont élargi la fourchette de fluctuations du yuan, son cours reste sous étroite surveillance. « Pour que le yuan puisse sérieusement concurrencer le dollar ou l’euro, il faudrait une vraie transparence de la politique monétaire et fiscale de Pékin », insiste Gaetano Gaballo.

Le yuan est certainement appelé à se renforcer dans les prochaines années, cependant son influence sera surtout régionale, prédisent les économistes, dans un monde de plus en plus fragmenté. Le billet vert, symbole du rêve américain, n’est pas près de perdre de son hégémonie.


Voir en ligne : https://www.lefigaro.fr/conjoncture...

   

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