Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > International > La réunification de la Corée aura-t-elle lieu ?

La réunification de la Corée aura-t-elle lieu ?

dimanche 29 avril 2018 par Martine Bulard

Pour éviter de « répéter le passé malheureux qui a vu tourner court de précédents accords intercoréens », le président nord-coréen Kim Jong-un et son homologue du Sud, Moon Jae-in, ont écrit une page d’histoire en se jouant de la ligne de démarcation de la zone démilitarisée de Panmunjom.

Poignée de main chaleureuse, sourires aux lèvres, les deux hommes ont fait un pas au Sud, puis au Nord, avant de repasser au Sud. Kim Jong-un est le premier dirigeant nord-coréen à franchir cette ligne depuis 1953. Les invectives de l’été 2017 semblent loin. Dans une déclaration commune, les deux Coréens se sont engagés à la « dénucléarisation complète de leur péninsule ».

Réel engagement ou paroles en l’air ? La prochaine rencontre avec le président Donald Trump sera déterminante.

Le texte suivant est de Martine Bulard et date de Janvier 2016, il permet de mieux comprendre la réalité et l’enchainement de ce qui vient de se passer.

Soixante-trois ans après la fin de la guerre qui a divisé la Corée en deux, aucun traité de paix n’a été signé pour normaliser les relations entre les deux pays. Au Sud, les dirigeants conservateurs imaginent une absorption du Nord sur le modèle de la réunification allemande. L’histoire coréenne ne présente pourtant que peu de points communs avec celle de l’Allemagne.

Émouvantes retrouvailles entre Coréens du Nord et du Sud dans la célèbre station du mont Kumgang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC). Larmes et sourires mêlés, des hommes et des femmes, souvent très âgés, ont revu un frère, une sœur, une mère, un père, un fils ou une fille pour la première fois depuis la cassure de la péninsule, en 1953. En vertu de l’accord de l’été dernier entre les deux gouvernements, 400 Sud-Coréens, tirés au sort parmi les 66 488 personnes qui en avaient fait la demande auprès des autorités de Séoul, ont été autorisés à franchir la frontière, le 20 octobre 2015 [1]. Quand ces rencontres cesseront-elles de faire l’événement pour appartenir à la vie quotidienne ? Nul ne le sait.

Certes, on trouve au Nord de formidables fresques saluant l’unification et, au Sud, un ministère du même nom. De chaque côté, on assure rechercher les voies de l’indispensable réunion « du » peuple coréen. Mais, dans les faits, le rapprochement n’avance guère. Pour la plupart des commentateurs, la faute en revient aux dirigeants nord-coréens et à leurs lubies provocatrices. Celles-ci apparaissent d’autant plus dangereuses que Pyongyang affirme détenir l’arme nucléaire. Pour autant, nombre d’observateurs, en Corée du Sud, refusent de lui faire porter le chapeau. Ils soulignent la responsabilité des gouvernements de Séoul, notamment depuis 2008. Beaucoup pointent également du doigt les États-Unis.

Pour comprendre les peurs qui agitent les deux Corées, il faut se replonger dans une histoire lourde de drames. Dès 1910, la péninsule est occupée par le Japon, qui impose un régime d’une cruauté extrême — une occupation, avec son lot de résistances (plutôt au Nord, industrialisé) et son cortège de collaborateurs. Libéré des Japonais, le territoire se retrouve livré aux « forces de paix » : au Nord, les troupes soviétiques, Kim Il-sung prenant la tête du pays ; et au Sud, les États-Unis, qui installent un pouvoir autoritaire en s’appuyant sur des forces ayant collaboré avec Tokyo.

Jouant du dépit des progressistes, le Nord envahit le Sud, avant d’être repoussé par l’armée américaine, mandatée par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), alors boycottée par l’URSS. S’ensuivra un déluge de feu auquel participera — au moins symboliquement — la France. Le général Douglas MacArthur, qui dirige les opérations, menace à plusieurs reprises d’utiliser l’arme atomique [2]. Seule l’entrée en guerre des troupes chinoises évitera à la Corée du Nord l’éradication totale et à la Chine le stationnement de l’armée américaine à ses frontières.

Quand le Nord dépassait le Sud

Le 27 juillet 1953, un armistice est signé à Panmunjeom, sur le 38e parallèle, ligne de démarcation d’avant l’offensive militaire. Une guerre pour rien, en quelque sorte. Aujourd’hui encore, deux baraquements bleus, séparés par des dalles en béton au sol, matérialisent la frontière dans la « zone démilitarisée » (demilitarized zone, DMZ), avec d’un côté des soldats américains (estampillés ONU) et sud-coréens et de l’autre des militaires nord-coréens, figés dans un invraisemblable face-à-face.

A rebours des idées reçues, l’ancien ministre sud-coréen de l’unification (2002-2004) Jeong Se-hyun, rencontré à Séoul quelques semaines avant le voyage des familles de l’autre côté de la frontière, rappelle qu’il fut un temps où « c’est le Sud qui craignait une réunification sous l’égide du Nord ». Ce dernier, malgré les dévastations, affichait alors un produit intérieur brut (PIB) deux fois plus élevé. Mais, au milieu des années 1960, le Sud décolle tandis que le Nord régresse. La peur change de camp, mais la méfiance s’installe de part et d’autre.

Ce septuagénaire qui a vu alterner des périodes d’ouverture et de complète fermeture raconte avec moult détails la saga des deux frères ennemis, où le plus inconstant n’est pas celui qu’on croit : « La politique du Sud vis-à-vis de la Corée du Nord change au rythme des présidents de la République. Elle varie en fonction de leur sentiment anticommuniste (ou non) ainsi que de leur croyance (ou non) dans l’effondrement rapide du Nord. »

Dès 1972, une première « déclaration commune » envisage une possible « réunification ». Mais c’est après la fin de la dictature au Sud, et surtout après la chute du mur de Berlin, que Séoul change de braquet. « Le président Roh Tae-woo [1988-1993] a senti que le monde bougeait. Il avait beau être un militaire, il n’était pas obsédé par l’anticommunisme, et il a jeté les bases d’un accord avec Pyongyang », explique M. Jeong. Le 21 septembre 1991, les deux Corées intègrent officiellement l’ONU. Trois mois plus tard, elles signent un « accord de réconciliation, de non-agression, d’échanges et de coopération » — une énumération de grands principes. Mais, à défaut d’entrer dans l’état de paix, on est sorti de l’état de guerre.

Selon M. Jeong, les dirigeants nord-coréens veulent en profiter pour normaliser leurs rapports avec les États-Unis ; d’autant que les aides soviétiques se sont volatilisées avec l’URSS. En janvier 1992, assure-t-il, « Kim Il-sung envoie son propre secrétaire au siège de l’ONU à New York pour une rencontre secrète avec un émissaire américain, porteur d’un seul message : “Nous renonçons à réclamer le retrait des troupes américaines du Sud ; en contrepartie, vous garantissez que vous ne remettrez pas en cause l’existence de notre pays.”

George Bush père répondra à l’offre par le silence. C’est à ce moment que Kim Il-sung lance sa politique nucléaire, convaincu que Washington veut rayer la RPDC de la carte ». Ce qui n’était pas entièrement faux. Comme tout Sud-Coréen, M. Jeong désapprouve ce recours au nucléaire, mais il insiste sur l’ordre des responsabilités, contredisant l’histoire officielle : Washington jette de l’huile sur le feu ; Pyongyang réagit.

A Séoul, le successeur de M. Roh, Kim Young-sam, est persuadé, à l’instar du président américain, que le Nord communiste va s’effondrer, comme l’Allemagne de l’Est en son temps. Il cadenasse toutes les issues afin de précipiter sa perte. La RPDC, elle, connaît une période de famine dans la seconde moitié de la décennie 1990, qui fait près d’un million de morts et dont les séquelles se font sentir jusqu’aujourd’hui [3]. Mais la dure répression et les réflexes nationalistes de sa population l’empêcheront de voler en éclats.

La légende assure que le blocus a été brisé en 1998, quand Chung Ju-yung, le fondateur de Hyundai, l’un des plus puissants chaebol (conglomérats) sud-coréens, franchit la frontière à la tête d’un troupeau de mille vaches, symbole de l’aide humanitaire, avant de rencontrer le président nord-coréen. Mais la grande percée sera la poignée de main historique entre Kim Jong-il (Nord) et Kim Dae-jung (Sud), en juin 2000. S’ouvre alors une décennie de dialogue et d’échanges : ouverture d’un site touristique au mont Kumgang (2003) et d’une zone industrielle à Kaesong, en territoire nord-coréen, avec des entreprises sud-coréennes (2004) ; reconnexion, sous surveillance, de quelques liaisons ferroviaires et routières (2007), etc.

Cette sunshine policy (« politique du rayon de soleil »), ainsi baptisée par Kim Dae-jung en référence à la fable d’Ésope Le Soleil et le Vent, a connu bien des orages, alimentés par les surenchères nucléaires de Pyongyang (trois essais depuis 2006), les intransigeances américaines, l’ambiguïté chinoise. Elle a complètement sombré avec l’arrivée en 2008 du président conservateur sud-coréen Lee Myung-bak, qui fait le choix de la confrontation. Seul vestige de cette décennie prometteuse : le complexe de Kaesong.

Faut-il pour autant tirer un trait sur tout espoir de paix, voire de réunification ? Bien que conservatrice comme M. Lee, la présidente Park Geun-hye avait promis en arrivant au pouvoir, en 2013, de bâtir une « politique de confiance » (trust policy), à mi-chemin entre la « politique du rayon de soleil » et la fermeture totale de son prédécesseur. Mais, si l’on excepte les rencontres familiales d’octobre dernier, rien ne semble bouger. « Mme Park appuie sur le frein et sur l’accélérateur en même temps, lance M. Jeong. Cela fait beaucoup de bruit, mais on reste sur place. »

Washington, le grand obstacle

Directeur du Centre des études nord-coréennes à l’institut Sejong à Séoul, Paik Hak-soon n’est guère plus tendre avec la présidente, qu’il accuse de manipuler la question nord-coréenne pour de sombres raisons de politique intérieure (lire « Virage autoritaire à Séoul »). Dans son bureau à l’entrée du campus, il insiste sur l’impressionnante parade militaire organisée par le président du Nord, M. Kim Jong-un, le 10 octobre 2015 ; un tournant dont le plus marquant n’est pas le déploiement des forces armées, mais sa signification politique : le dictateur affirme ainsi son « contrôle sur les affaires militaires et économiques, sur l’État et le parti ».

Dommage que, se focalisant sur les tares du régime, la presse « ignore ce qui change », ajoute-t-il : « L’économie nord-coréenne se porte mieux. Kim Jong-un a consolidé son pouvoir. Il a amélioré ses relations avec le Japon, qui, depuis mai 2014, a levé certaines sanctions [comme l’interdiction des transferts d’argent liquide] et avec lequel il a entamé des négociations sur la question des citoyens japonais kidnappés [4]. Il a réglé le contentieux avec la Russie sur la dette [5] [11 milliards d’euros datant de la période soviétique, que M. Vladimir Poutine a effacés à 90 %]. Et Moscou a rouvert en septembre 2015 une portion de voie ferrée reliant la ville russe de Khassan à la ville nord-coréenne de Rajin. »

La suite de l’article Ici.

Lire aussi « Négocier sans préalable avec Pyongyang  »). En 2016, Martine Bulard retraçait la difficile normalisation entre les deux Corées.

Négocier sans préalable avec Pyongyang

Du haut de la tribune des Nations unies, le président américain a promis de « détruire complètement la Corée du Nord » en cas d’attaque. Les dirigeants français et russe, eux, prônent le dialogue, mais ils font de l’arrêt du programme nucléaire une condition préalable et non un objectif de la négociation. Une approche qui a déjà échoué.

Le diable nucléaire est sorti de sa boîte. Pourra-t-il y retourner ? Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il s’agite en République populaire démocratique de Corée (RPDC) — le premier essai balistique date de 1993. Mais, depuis l’an dernier, M. Kim Jong-un fait sonner la charge à un rythme effréné : dix lancements de missiles balistiques de portée intermédiaire ou intercontinentale en vingt mois ; trois essais nucléaires revendiqués.

Cet emballement s’est accompagné d’un défilé militaire spectaculaire et de la diffusion d’images saturées de missiles et de chars (le 15 avril dernier), de fanfaronnades belliqueuses et de menaces contre les villes américaines, que l’homme fort de Pyongyang menace de « réduire en cendres », tout comme Guam, véritable porte-avions américain en plein océan Pacifique. L’engin lancé le 14 septembre a parcouru 3 700 kilomètres avant de s’abîmer dans l’océan, montrant ainsi que cette île située à 3 400 kilomètres de la capitale nord-coréenne n’est plus hors de portée. Pour l’heure, le docteur Folamour de l’Asie s’est bien gardé de tirer dans cette direction. Seuls les Japonais ont entendu le cri strident des sirènes signalant le survol de leur territoire, à la merci de la moindre défaillance.

Aux provocations de M. Kim Jong-un répondent les déclarations fracassantes et les « tweetonades » de M. Donald Trump. À Pyongyang, le président américain promet « le feu et la fureur comme le monde n’en a jamais connu jusque-là » (8 août) ; avec Pékin, jugé trop faible, il menace de couper les ponts commerciaux, car « ceux qui font des affaires avec [les Nord-Coréens] ne pourront plus en faire avec nous » (3 septembre) ; à Séoul, il fait savoir que la stratégie d’« apaisement » du président nouvellement élu Moon Jae-in « ne conduit à rien » (3 septembre).

Fini le temps où l’actuel locataire de la Maison Blanche assurait être « prêt à rencontrer Kim, si les circonstances s’y prêtent [6] ». Au lieu d’utiliser l’Assemblée générale des Nations unies, le 19 septembre, pour lancer un appel à la paix, il a jeté de l’huile sur le feu en menaçant de « détruire complètement la Corée du Nord » si le territoire américain ou celui de ses alliés étaient attaqués ; avant d’annoncer des sanctions supplémentaires. Le Pentagone et ses experts en sont à étudier les scénarios d’une guerre, totale ou partielle, préventive ou défensive, et même celui de l’assassinat du dirigeant nord-coréen, bien qu’ils reconnaissent que « toutes les options sont mauvaises [7] ».

Lire la suite Ici.


[1Selon le ministère de l’unification à Séoul, 53,9 % de ces candidats aux retrouvailles ont plus de 80 ans et 11,7 % plus de 90 ans.

[2Lire Bruce Cumings, « Mémoire de feu en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, décembre 2004.

[3Lire « Voyage sous bonne garde en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, août 2015.

[4Durant la guerre froide, le gouvernement nord-coréen a kidnappé des Japonais pour former ses espions. Il en resterait treize selon Pyongyang, qui en a libéré cinq, et dix-sept selon Tokyo.

[5Lire Philippe Pons, « La Russie appelée à la rescousse », Le Monde diplomatique, mars 2015.

[6Margaret Talev et Jennifer Jacobs, « Trump says he’d meet with Kim Jong-un under right circumstances », Bloomberg News, 1er mai 2017.

[7Marc Bowden, « Here’s how to deal with North Korea. It’s not going to be pretty », The Atlantic, Washington, DC, juillet-août 2017.

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?