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Sur les quinze métiers qui devraient recruter le plus en 2018, douze sont non ou peu qualifiés, précaires, mal payés, à forte proportion de temps partiel et largement saisonniers.

mercredi 2 mai 2018 par Jean Gadrey pour Alternatives Économiques

Selon la vaste enquête (publiée il y a quelques jours, menée fin 2017 par Pôle Emploi auprès des employeurs) « Besoins en main d’œuvre 2018 », ou « enquête BMO », il y aurait certes une hausse des projets de recrutements en 2018 (+ 18 %), mais elle concernerait pour une large part des emplois dégradés (statut, conditions de travail et bien entendu salaires). À commencer par des emplois de saisonniers, dont l’enquête indique qu’ils représenteraient 34,6 % des recrutements anticipés dans l’ensemble des 200 métiers recensés !

Voici donc la liste des « quinze métiers les plus recherchés » (par les employeurs, pas par les salariés et les chômeurs) : le « top 15 ».

Métiers Ensemble des projets de recrutement et % de projets saisonniers

  • Viticulteurs, arboriculteurs salariés, cueilleurs : 128 800 / 95,4%
  • Agents d’entretien de locaux : 105 40026 / 2%
  • Serveurs de cafés, de restaurants (y.c. commis) : 89 200 / 63,0%
  • Professionnels de l’animation socioculturelle : 85 300 / 67,3%
  • Aides, apprentis, employés polyvalents de cuisine : 83 500 / 40,9%
  • Agriculteurs salariés, ouvriers agricoles : 73 200 / 84,5%
  • Aides à domicile et aides ménagères : 65 600 / 21,3%
  • Aides-soignants : 58 500 / 22,3%
  • Ouvriers non qualifiés de l’emballage et manutentionnaires : 58 100 / 47,2%
  • Employés de libre-service : 57 400 / 37,9%
  • Artistes (en musique, danse, spectacles) : 50 700 / 41,7%
  • Cuisiniers : 46 700 / 51,4%
  • Ingénieurs, cadres études & R&D informatique, responsables informatiques : 42 700 / 1,4%
  • Employés de l’hôtellerie : 40 300 / 68,6%
  • Vendeurs en habillement, luxe, sport, loisirs et culture : 37 700 / 45,1%

Ensemble des projets de recrutement : 2 346 000 / 34,6%

Notons que pour le métier baptisé « professionnels de l’animation socio-culturelle », qui semble un métier relativement qualifié dans ce top 15, il y aurait 67 % de saisonniers dans les projets de recrutement ! Autant dire que le professionnalisme en question, même s’il existe dans les compétences des personnes, n’est guère reconnu dans les faits. Les deux autres métiers assez ou très qualifiés sont d’une part les métiers artistiques (le plus souvent très mal payés, et avec 42 % de saisonniers) et d’autre part ceux de l’ingénierie informatique. Et ils ne sont pas dans les dix premiers.

SOUVENT À TEMPS PARTIEL, TRÈS MAL PAYÉS, SOUVENT SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ

Presque tous ces métiers « d’avenir » ont un taux d’emploi à temps partiel bien supérieur à la moyenne nationale (moyenne proche de 19 % pour les deux sexes, mais proche de 30 % pour les femmes), même lorsqu’ils ne sont pas saisonniers. On sait par exemple que dans l’ensemble des métiers des « services directs aux particuliers », ce taux est de 52 %, et il est de 32 % pour l’ensemble des employé.e.s de commerce (source enquête emploi 2016).

Pour les salaires mensuels nets médians, j’ai emprunté à mon ami et ex-collègue à Lille François-Xavier Devetter le tableau qui suit. Il ne correspond pas exactement aux mêmes catégories de métiers, mais on y trouve la confirmation de l’essentiel : la grande majorité des métiers du top 15 fait partie des plus mal payés. Une personne seule gagnant ces montants mensuels médians vit nettement sous le seuil de pauvreté (1000 euros mensuels en 2013, année de ces chiffres).

Les 10 métiers les plus mal payés

Métiers et Salaire mensuel médian

  • 563C - Employés de maison : 650
  • 561A – Serveurs : 790
  • 561D - Aide de cuisine : 800
  • 684A – nettoyeurs : 800
  • 422E - surveillants éducateur : 807
  • 554E - vendeurs habillement : 847
  • 563B - aides à domicile : 900
  • 525A - agent de service école : 948
  • 561F - Femme de chambre : 960
  • 563A - Assistantes Maternelles : 982

Ensemble des dix métiers : 840 Source : Conditions de Travail, DARES, 2013.

Remarques complémentaires

1) Il ne faut pas confondre les données de cette enquête BMO, issues d’anticipations des seuls employeurs interrogés fin 2017 sur leurs projets 2018, avec des analyses prospectives de l’évolution des emplois telles que celles que j’ai citées dans ce billet de février dernier « Les métiers qui devraient créer le plus d’emplois dans les 10 ans aux États-Unis et en France ». Cela dit, dans la prospective de France Stratégie citée dans ce billet pour la période 2012/2022, on retrouve les mêmes tendances, les mêmes métiers en haut du classement.

2) Il ne faut pas confondre les projets de recrutement anticipés par les entreprises sur toute l’année et les créations nettes d’emplois sur la même année, notamment parce qu’un grand nombre d’emplois éventuellement créés en 2018 peuvent être… supprimés quelques semaines ou quelques mois après, ou… pas créés du tout. Voici d’ailleurs la formulation de la question de l’enquête, qui met bien en relief le côté souvent temporaire de ces embauches :

« Envisagez-vous de recruter en 2018 ? (Entre le 01/01/2018 et le 31/12/2018) Qu’il s’agisse de nouveaux emplois, de remplacements (pour congés maternité ou maladie, départs en retraite, démissions...) ou de projets saisonniers (c’est-à-dire liés à un surcroît d’activité temporaire et récurrent). »

En réalité, dans beaucoup de cas, les entreprises annonçant des recrutements potentiels en 2018 termineront l’année avec le même nombre de salariés que fin 2017, voire MOINS ! Voici au moins deux raisons. D’abord, selon cette enquête, 34,6% des recrutement annoncés comme possibles en 2018 sont des emplois saisonniers… donc supprimés après la « saison », qui peut être très courte (vignes, cueillette, sports d’hiver, plages, etc.). En second lieu, la part dite « de projets de recrutement difficiles » (pour des raisons diverses) est de 44,4%. Une partie des recrutements envisagés n’aura donc pas lieu.

On note en passant que cette enquête ne demande pas aux employeurs combien de postes risquent de disparaître.

Au total, en dépit de très sérieuses limites, ces données d’enquête nous disent déjà une chose importante : ce qui tend à se développer massivement dans ce pays où l’on célèbre en haut lieu les entrepreneurs, les start-ups, la high tech et la compétitivité, c’est de l’emploi dégradé, précaire, sous-payé même lorsqu’il est d’une grande utilité sociale. Avec les orientations actuelles, avec la chasse à tout ce qui ressemble à un bon statut d’emploi et à des protections décentes, c’est le « précariat » qui va se répandre.

   

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