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Histoire française du suffrage universel.

vendredi 6 janvier 2017 par Francis Arzalier

Nous vivons un moment inquiétant de l’histoire : les mots et les concepts sont outrageusement détournés de leur signification première. C’est au nom d’une bien curieuse " démocratie " que les dirigeants des USA et de la France prétendent imposer par les armes leurs volontés au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe.
Cette conception ressassée de " démocratie à l’occidentale ", réduite au capitalisme, c’est-à-dire dire à la liberté de tirer profit des capitaux, des marchandises et des hommes, doublée d’un pluralisme politique et de votes périodiques prétendument libres, ne fait plus recette dans le monde.

Les scrutins successifs en Afrique, surveillés de très près par les sponsors occidentaux qui y dépensent des fortunes a financer leurs favoris, n’arrivent à traîner aux urnes qu’une faible partie des citoyens, malgré les " petits cadeaux" déversés.
- Aux États Unis, ce modèle de démocratie selon nos médias, un électeur sur deux ne se déplace pas, et des millions d’autres votent par dépit pour le plus grand démagogue qui parle à la télévision.
Même verdict ou presque en Europe, et notamment en France. Une nuée "d’experts" ne cesse de le répéter, en toute hypocrisie : c’est le suffrage universel et les pouvoirs élus qui sont vomis, par des foules répétant en chœur la même antienne : " Tous pourris ! Tous les mêmes ! A quoi sert de voter, il en sera toujours ainsi ! " !
Au printemps 1968, de jeunes exaltés bien assagis depuis clamaient : "Élections, piège à cons ! ". Ce slogan ravageur serait il devenu une réalité cinquante ans plus tard ?

Il est vrai que nous avons été abreuvés depuis des décennies par des politiciens et de Droite et de Gauche, attachés à leur plan de carrière et fort peu à leur idéal affiché, prêts à se faire élire en ne disant à l’électeur que ce qu’il veut entendre, et à pratiquer le contraire une fois au pouvoir.

Ces professionnels sont ennemis acharnés pour accaparer les prébendes d’un État " représentatif ", mais tous convaincus en fait de l’évangile " libéral ", des dogmes du " Marché capitaliste " et de l’inégalité entre les hommes et entre les peuples. Cela n’a pu qu’engendrer le dégoût de la " politique ", confondue avec un art professionnalisé de réaliser ses envies de pouvoir au lieu d’un idéal altruiste, et la nausée devant des élections souvent renouvelées, qui créent l’espoir et l’éteignent aussitôt.

N’est il pas plus que temps de redonner leur sens originel aux mots, de rappeler que la " démocratie ", ce concept formulé dans la Grèce antique, signifie un pouvoir politique exercé par les citoyens assemblés, des citoyens égaux en droits et en devoirs devant la loi commune, et en fortune aussi : un projet que l’Athènes de Péricles ne réalisa pas vraiment car les esclaves et ceux nés ailleurs étaient exclus du vote. Mais depuis deux mille ans, cette aspiration vit toujours, même si le nombre de citoyens actuels contraint à d’autres modalités qu’une assemblée générale sur la grand place pour décider des lois comme autrefois.

Et le suffrage universel est un pan essentiel de la démocratie. Encore faut il qu’il soit considéré comme une condition nécessaire mais pas suffisante, un simple vecteur d’égalité entre les hommes et entre les Nations.

Le seul moyen de retrouver la saveur initiale de ces mots, Démocratie, Suffrage universel, est d’en retracer la genèse et l’histoire.

1789-1851 : DES INVENTEURS ET DES DÉTOURNEMENTS

Contrairement aux affirmations nationalistes, la France n’a pas inventé la démocratie ( démos, peuple - kratos, pouvoir ) et le suffrage universel qui y concourt : ce sont des aspirations communes à tous les peuples, sous des vocables divers, et, depuis des millénaires, présents sous forme d’ébauches, diverses et incomplètes, de consultation populaire.

Plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, les citoyens athéniens votaient sur l’Agora, et ceux de Rome sur le Forum. Mais ils n’étaient qu’une partie de la population. Plus près de nous, dans la plupart des villages du Royaume de France au XVIIIeme siècle, l’Assemblée paroissiale composée de tous les chefs de famille élisait le syndic et les notables : une sorte de préhistoire du suffrage universel français.

Mais sa naissance véritable est due à la Révolution, qui créa la Nation à partir de 1789.
Une fois la Monarchie détruite en 1792, les Robespierristes n’eurent de cesse de mettre en place le suffrage universel masculin : il fut inscrit pour la première fois dans la Constitution française de 1793. Il s’agissait pour "l’Incorruptible" et Saint Just de faire des législateurs les mandataires de l’ensemble des citoyens, y compris les plus pauvres, en contraignant ces élus du peuple a respecter leur mandat : cette "Constitution de l’An II" sera la seule en France a affirmer ce principe, répudié malheureusement par toutes celles qui ont suivi.

Évidemment, cette conquête majeure de la Nation française se heurta aux réalités de l’époque, guerre civile, invasion étrangère et coup d’état qui permit aux défenseurs du droit de vote réserve aux plus aisés de renverser Robespierre en été 1794 ( 9 thermidor ).

L’ébranlement du Royaume de France en 1789 n’était au départ qu’une Révolution bourgeoise. Ses animateurs, Mirabeau, Sieyes ou Barnave, avaient créé la souveraineté nationale, qui se confondait pour eux avec le pouvoir de "l’élite éclairée", les possédants, débarrassés de l’arbitraire seigneurial et clérical.

Mais cette Révolution ne fut pas que bourgeoise : elle mit en mouvement, très vite, les majorités paysannes qui ne voulaient pas voir les riches citadins accaparer les biens du clergé, et les foules de pauvres urbains, artisans, boutiquiers et salariés, organisés en Sociétés populaires, militants qui se baptisent fièrement Sans Culottes, pour se différencier des nantis qui en portaient. Ceux là voulaient pousser plus loin la Révolution, et rêvaient d’égalité sociale et de démocratie, qu’ils vont essayer de gagner au cours de journées insurrectionnelles successives, imposant la déchéance du Monarque et la République en 1792.

C’est en s’appuyant sur cette vague "Sans Culotte" que les "Montagnards" Robespierre et Saint Just, petits bourgeois partisans de la démocratie, attentifs aux désirs populaires, ont imaginé le suffrage universel en 1793. En ce sens, il est né dans notre pays de la Révolution, en même temps que la Nation, mais aussi de la lutte de classe en son sein. Et son histoire au cours des trois siècles suivants sera le reflet du rapport de forces mouvant entre les classes sociales et les partis qui les expriment.

Dès le renversement de Robespierre, le droit de vote est devenu censitaire, excluant salariés, artisans et boutiquiers des villes, et la majorité des paysans. Durant le "Directoire", la bourgeoisie qui veut conserver à son seul profit les acquis de la Révolution, assure ainsi son pouvoir politique.

En 1799, cette même bourgeoisie française confie quinze ans durant les rênes à Napoléon Bonaparte,qui lui assure un temps de juteux bénéfices, grâce à la conquête et à la soumission du reste de l’Europe. Autocrate conservateur issu de la Révolution, l’Empereur Napoléon sait aussi rallier la majorité paysanne à son pouvoir, en flattant le nationalisme français par la gloire militaire, mais aussi, on l’oublie trop souvent, en rétablissant intelligemment le suffrage universel masculin sous la forme truquée de plébiscites : les électeurs sont conviés à approuver ainsi un homme, un chef, au lieu d’un programme politique.

Deux façons de manipuler le suffrage universel en usage jusqu’à nos jours, jusqu’aux référendums-plebiscites de Charles De Gaulle et aux postures guerrières de Sarkozy et Hollande...

Évidemment, cela présente quelques risques en cas d’échec : Napoléon, englué dans le soulèvement des peuples occupés d’Espagne et de Russie, a vu son pouvoir s’effondrer dans la défaite, et les Bourbons réoccuper le trône avec l’assentiment des Monarques d’Europe. Avec eux, il n’a plus été question que de suffrage censitaire, fort limité, durant plus de trente ans, Restauration et règne de Louis-Philippe.

La Révolution de 1848 offre une deuxième naissance au suffrage universel masculin, en le réinstallant en même temps que la Deuxième République. Une Révolution essentiellement urbaine, née d’une insurrection populaire dirigée par une petite bourgeoisie cultivée,avide de libertés de pensée et de presse.

Mais pour la première fois dans l’histoire de France, la jeune classe ouvrière urbaine joue un rôle essentiel dans ce soulèvement : trois mois d’espoirs déçus et de drapeaux rouges brandis, qui s’achèvent dans une répression sanglante en juin 1848. Il ne reste alors d’une République convertie au conservatisme social que le suffrage universel : la bourgeoisie victorieuse s’emploie à le vider de ses potentialités subversives, d’abord en imprégnant les paysans de la peur des " partageux ", socialistes des villes, dont on leur dit qu’ils menacent leur propriété arrachée aux seigneurs en 1789.

Ensuite en inventant ce succédané de monarchie qu’est l’élection au suffrage universel du président de la République, à l’image des États Unis d’Amérique esclavagistes. Le résultat de ce retour en arrière est immédiat : les Frances bourgeoises et paysannes élisent à ce poste un Bonaparte, petit neveu nostalgique de l’autre, qui, quelques mois plus tard, transforme par un coup d’état la République en Second Empire. Les leçons du premier Napoléon profitent au second : point n’est besoin de supprimer le suffrage universel pour assurer l’ordre capitaliste. Il est plus pertinent de manipuler l’opinion,et de normaliser à son profit le mode de scrutin.

LES AVATARS DU SUFFRAGE UNIVERSEL EN FRANCE ( 1851-2017 )

Durant les 19eme et 20eme siècles, l’histoire en dents de scie de ce suffrage universel est le reflet des contradictions sociales. Cette conquête démocratique, pour laquelle étaient morts des Français désireux d’égalité entre les hommes et entre les peuples, a souvent été travestie aux fins les plus réactionnaires, mais a parfois permis aussi des progrès essentiels de notre société. Chaque fois que le vote s’accompagnait des luttes sociales nécessaires.

La manipulation fut évidente sous l’autorité de Napoléon III, qui sut organiser l’élection de députés sans pouvoirs décisifs, et multiplier les plébiscites approbateurs truqués, pour faire accepter les inégalités sociales croissantes nées du développement industriel capitaliste.

Il fallut en 1870 pour faire s’effondrer l’Empire en quelques jours d’émeute, la défaite et l’invasion prussienne, alors que les scrutins successifs ouverts pourtant à tous les citoyens même peu fortunés n’avaient guère ébranlé le régime.

Mais c’est aussi par le suffrage universel, dans une capitale que la guerre avait vidée de ses nantis a l’abri des canons en province, alors que la majorité ouvrière y demeurait, que vécut quelques mois, de mars à juin 1871, la Commune de Paris. Expérience éphémère, mais bouleversante, d’un pouvoir réellement démocratique, qui n’hésita pas à confier ateliers et logis abandonnés par leurs propriétaires au contrôle des citoyens.

Tout un arsenal de mesures révolutionnaires,sous la direction des élus, eux-mêmes surveillés par ceux qui leur avaient donné mandat, y compris les femmes au sein des Clubs. La Commune fut écrasée dans le sang, mais laissa dans la mémoire universelle une trace pérenne : les Soviets de Russie en 1917 en seront très fort inspirés.

La IIIeme République, sortie en 1870 des décombres de la défaite, durera 70 ans, jusqu’au nouveau désastre national de 1940. Durant ces décennies, la bourgeoisie française fera du régime parlementaire avec délégation de pouvoir aux élus son mode de gestion favori, qui lui permettra de faire de la France une des plus grandes puissances financières, industrielles et coloniales du globe.

Elle était ainsi l’héritière assumée de la Révolution de 1789-99, tout en étant convaincue des vertus du conservatisme social, du nationalisme, et du capitalisme en expansion. Elle fit de sa République " l’apogée de sa domination, le fruit mur de la Révolution bourgeoise ", selon la belle formule de Jack London ( le talon de fer, 1908 ).

Ce suffrage universel masculin sera corseté par deux dispositifs constitutionnels, destinés à limiter ses potentialités subversives : il est inscrit dans la loi fondamentale de la République que les députés élus au suffrage universel n’ont aucun mandat obligatoire. Ils ont donc toute latitude de décider des lois sans tenir compte de leurs promesses électorales, en fonction notamment de leurs objectifs personnels de carrière : une incitation directe à l’opportunisme électoral, voire à la corruption, des maux fort répandus parmi les politiciens vers 1890, et qui iront jusqu’à contaminer les députés du jeune Parti Socialiste.

Cela poussera de prestigieux militants comme Jules Guesde à approuver la guerre impérialiste en 1914, et même à la gérer en devenant ministre. La déroute idéologique du socialisme français lors du premier conflit mondial montre à quel point de perversité peut aboutir le suffrage universel, falsifie par la délégation de pouvoir et le parlementarisme professionnalise. Est ce à dire dès lors qu’il n’était qu’un leurre, comme le prétendaient les Anarchistes ?

Les faits montrent au contraire que durant les trois décennies précédant 1914 furent imposées aux possédants français de nombreuses conquêtes sociales et politiques favorables aux classes populaires, qui firent de la France une contrée de rêve pour de nombreux émigrés d’Europe Orientale fuyant la misère et les persécutions : libertés de presse (1881), école primaire gratuite et obligatoire (1882), libertés syndicales (1886), droit d’association (1901), séparation de l’église et de l’état laïque (1905), impôt direct proportionnel au revenu, règlements divers du travail salarié (interdiction de celui des enfants, de nuit pour les femmes, obligation du repos hebdomadaire, etc..).

Des avancées qui n’auraient pu être obtenues sans le suffrage universel, notamment grâce au poids grandissant au Parlement des députés socialistes. Mais aussi grâce aux grèves ouvrières, puissantes des la fin du XIXeme siècle, malgré la répression par la police et l’armée. En un mot, grâce à la lutte de classe, qui peut s’exprimer dans les urnes comme dans la rue...

SUFFRAGE UNIVERSEL ET LUTTES POPULAIRES

Toute conquête nait du lien nécessaire entre les deux : la France en donne une preuve éclatante en 1936, durant les quelques mois dits de Front Populaire. Le pays était alors fortement impacte, comme ses voisins, par les effets directs de la crise du capitalisme : chômage des salariés et faillite de nombreux entrepreneurs privés. Comme de l’autre côté du Rhin, ou des Alpes, cette situation avait généré le foisonnement des Fascismes, doctrines autoritaires et xénophobes, qui menaçaient de renverser la République à leur profit. C’est pour parer à ce danger fasciste que le Parti Communiste français avait signé avec Socialistes et Radicaux une alliance électorale dite de Front Populaire. Cet accord, essentiellement défensif, " pour le pain, la paix, la liberté ", ne contenait pas de programme économique et social détaillé, mais suscita l’espoir de la majorité des ouvriers et salariés, et permit en février 1936 d’élire une majorité de députés de gauche, et de stopper les velléités putschistes des "Ligues " xénophobes et autoritaires.

Toutefois, aucun historien sérieux ne peut attribuer à la seule élection au suffrage universel les avancées majeures de l’été 36 : semaine de quarante heures, conventions collectives, congés payés, nationalisation de la Banque de France et des chemins de fer, etc..

Le gouvernement socialiste et radical ne les prévoyait pas, elles furent imposées au patronat par la formidable vague de grèves et d’occupations d’entreprises. Mais à l’inverse, il faut constater que cette victoire sans précédent des luttes sociales fut facilitée durant les négociations dites de Matignon par l’existence d’un gouvernement de gauche, issu de sa victoire électorale.

À contrario, quand, dés l’année suivante, la pression populaire s’est essoufflée, et a laissé place a la démobilisation ouvrière, la majorité parlementaire a dérivé vers la " pause sociale ", et une politique extérieure de conciliation avec la menace fasciste ( non-intervention en Espagne, dont la République était attaquée par les insurgés Franquistes avec l’aide d’Hitler et de Mussolini, Traité de Munich concédant au Führer nazi le droit de conquérir ses voisins, etc.).

De reculade en reniement, l’Assemblée française élue dans le cadre du Front Populaire en 1936, a terminé sa vie en donnant la pire illustration de la nocivité d’un suffrage universel perverti par la délégation de pouvoir, et le refus de tout mandat impératif des élus : en été 1939, la quasi totalité des députés et sénateurs de Gauche ont approuvé avec ceux de Droite l’interdiction du PCF et l’internement de ses militants. Et, pour couronner cette volte-face, ils ont donné le 10 juillet 1940 pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, signant ainsi le suicide de la IIIeme République, au nom du suffrage universel !

Les quatre ans de régime Vichyste ont, certes, reposé sur l’occupation allemande et la soumission au Nazisme. Mais ils ne s’y résument pas. Il s’est agi d’un nouveau régime politique français, affichant fièrement sur ses billets de banque " État français " et non plus République. Cela signifiait clairement que sous l’autorité suprême du "Marechal-sauveur de la France ", les responsables du pays ne tenaient plus leurs pouvoirs des citoyens et du suffrage universel.

Durant quatre ans, aucune assemblée politique élue n’a été convoquée, et les responsables locaux peu malléables, maires et autres, ont laissé place à des " délégations spéciales ", nommées par le chef de l’État. Ce système autoritaire inspiré du fascisme, n’a laissé aux diverses résistances populaires d’autre choix que l’insurrection armée, qu’elle soit d’inspiration Communiste ou Gaulliste.

La défaite militaire du Nazisme en 1945 a ouvert la voie dans le monde a un nouveau rapport de forces, et à des régimes issus de la Résistance anti-fasciste, qui se voulaient démocratiques, structurés par le suffrage universel. En France, la IVeme République est ainsi née
des choix du CNR, alors que dans le pays à peine libéré, les mouvements organisés par le PCF et la CGT ont drainé aux élections plus d’un Français sur trois, des millions de travailleurs convaincus de leurs droits face au grand patronat compromis avec les occupants, et décidés à construire une société nouvelle plus juste.

Cette force populaire immense est alors exprimée par un suffrage universel régénéré, astreint à la représentation proportionnelle des forces politiques,élargi aux citoyennes comme le demandait le PCF dès 1920, alors que De Gaulle y était réticent, contrairement à sa légende ultérieure. C’est ce qui a permis les avancées majeures dites de la " Libération " : nationalisations nombreuses, comités d’entreprises, sécurité sociale, etc...

Malheureusement, cette IVeme République ne pouvait que refléter les rapports de forces mouvants entre courants issus de la Résistance. Après 1947 et l’éviction des Communistes du Gouvernement, les partis socialiste ( SFIO ) et centriste ( MRP ), défenseurs de l’Empire colonial et alignés sur l’impérialisme occidental et des États Unis, ont fait délibérément dériver le suffrage universel vers le parlementarisme délégataire.

Le système électoral anticommuniste dit des " apparentements ", l’interdit toujours inscrit dans la Constitution du " mandat impératif " des députés et sénateurs, qui en a fait peu à peu des politiciens professionnels carriéristes, prêts à toutes les compromissions pour s’assurer des soutiens financiers, des pouvoirs, et la réélection épisodique.

Ce type de dérives s’est épanoui au cours des guerres coloniales successives, en Indochine avant 1954, en Algérie après. Le pire en la matière a eu lieu en 1956, quand le Gouvernement du socialiste Guy Mollet, élu parce qu’il avait promis durant la campagne électorale de rétablir la paix par le dialogue en Algérie, s’est empressé sitôt parvenu au pouvoir d’y expédier combattre les jeunes soldats mobilisés du " contingent ", d’y organiser répression, exécutions et torture. Il a même poussé la trahison de ses engagements jusqu’à organiser avec ses alliés britanniques l’invasion de l’Égypte de Nasser, coupable d’avoir nationalisé le Canal de Suez, et surtout de soutenir le Mouvement national algérien !

Cette forfaiture politique à été la cause essentielle du discrédit des institutions de la IVeme République. Elle s’est écroulée sans trouver beaucoup de défenseurs devant le putsch militaire et colonial de mai 1958 à Alger. Ce soulèvement a permis sans coup férir au Général De Gaulle de se propulser au pouvoir, en jouant de la peur de la guerre civile, et de créer en quelques mois une Cinquième République à son usage, avec l’assentiment de la plupart des politiciens de la IVeme, dont l’ineffable Guy Mollet !

Le nouveau régime, installé par des référendums-plebiscites a repris une vieille pratique française, celle de la Monarchie élective inventée par Napoléon Bonaparte. Le concepteur essentiel de la nouvelle Constitution, Michel Debré, l’assumait en la définissant une " Monarchie républicaine ". Autour d’un héros national intronisé périodiquement par le suffrage universel, secondé d’élus professionnels et sans mandat obligatoire, majoritairement soumis au Chef de l’État qui peut les renvoyer au néant politique.

Comme celui de Napoléon en 1800, ce pouvoir monarchique Gaulliste, sanctifié par un suffrage universel colonisé, s’appuyait sur l’assentiment d’une bourgeoisie française désireuse à la fois de conjurer les luttes ouvrières, et de sortir de ses échecs internationaux ( notamment en 1958 des guerres coloniales à son avantage ). Le Gaullisme au pouvoir accomplit largement ces deux mandats de la bourgeoisie, qui ne se détourna de lui qu’en 1968, quand il se révéla largement incapable d’empêcher le plus grand mouvement social depuis des décennies, en manifestations et grèves ouvrières.

Cette relative impuissance de De Gaulle et ses lieutenants face Mai 68 lui valut sa disgrâce : lors du référendum de 1969, à l’occasion d’un projet régionaliste que peu d’électeurs avaient lu selon les traditions plébiscitaires, une part de la Droite bourgeoise incarnée par Valéry Giscard d’Estaing fit basculer la majorité vers le Non, et le Général-President s’en alla ruminer sa rancoeur en retraite.

Plus d’un demi-siècle plus tard, la Constitution fabriquée en 1958 satisfait cependant toujours la bourgeoisie, qui a pourtant beaucoup changé au fil des ans. Elle a répudié son nationalisme hexagonal avec l’Empire colonial perdu, et s’est convertie peu à peu au mondialisme capitaliste, qui lui permet de glaner des profits au loin en détruisant à l’occasion l’industrie sur le sol national.

Elle n’ambitionne plus guère que le rôle de supplétif zélé de l’impérialisme occidental à direction étatsunienne. Tous les Présidents successifs qui on été ses fondés de pouvoir aux rênes de la France en cinquante ans,qu’ils aient relevé des partis de Droite comme Pompidou, Giscard, Chirac ou Sarkozy, ou du Parti Socialiste comme Mitterand ou Hollande, se sont lovés dans cette monarchie sacralisée par un suffrage universel corseté, inaugurée en 1958.

Chacun évidemment avec sa personnalité, et en fonction des contingences sociales et politiques. Mais tous ont peaufiné, durant leur quinquennat ou septennat, cette version caricaturale de "démocratie", y compris Mitterand qui avait pourtant consacré un livre à la dénoncer ( le coup d’état permanent ). Tous se sont efforcés de vider le suffrage universel de ses potentialités subversives.

De Gaulle avait inauguré ce grand ballet des politiciens hypocrites : il prétendait donner plus la parole à la Nation grâce à l’élection du Président par l’ensemble des électeurs, alors que l’objectif était uniquement de renforcer ses prérogatives au détriment de l’Assemblée législative. Et cela fut encore accentué en 2000, quand le choix du Chef de l’État vint tous les cinq ans précéder de peu celle des députés, réduits à être la " majorité présidentielle " ou son opposition.

Ils seront élus par des circonscriptions découpées sur mesure, avec un mode de scrutin assez majoritaire pour contraindre les minorités subversives à s’aligner sur plus modérés qu’elles, seul moyen d’être modestement représentées à l’Assemblée.

Un suffrage totalement perverti, qui a habitué les citoyens français à voter pour celui jugé le moins nocif plutôt que pour un programme, ou à ne plus voter du tout, révulsés qu’ils étaient par le carriérisme et la démagogie de ces parlementaires abonnés à leurs intérêts personnels, et parfois corrompus.

Chacun des Présidents successifs a ajouté sa pierre à l’édifice, de captation des volontés du peuple, quitte à les étouffer quand elles ne convenaient pas aux désirs des possédants capitalistes. Ce fut le cas en 2005, quand un référendum maladroitement décidé par Chirac infligea un Non retentissant au projet de Constitution de l’Union Européenne. Trois ans plus tard, avec l’assentiment de sa majorité de Droite et d’un PS rallié au " social-liberalisme ", Sarkozy la fit approuver par les parlementaires assemblés.

Le même Sarkozy, qui envahit la Libye en 2011, la transformant en chaos sanglant jusqu’à aujourd’hui, sans consulter le moins du monde les Français, avec le seul assentiment de ses alliés de l’OTAN.

Les présidents socialistes Mitterand et plus encore Hollande ont multiplié eux aussi les aventures guerrières extérieures. Et ce même Hollande n’a pas hésité à faire adopter une réforme régressive du droit du travail que la majorité des Français refusait, par une Assemblée muselée par la menace de dissolution ( article 49/3 ) : un procédé largement employé par ses prédécesseurs de Droite...

Ces dérives malsaines ont abouti à la situation sans précédent à l’échéance présidentielle de 2017 : le discrédit du système politique est tel qu’un électeur sur deux envisage de ne pas voter, malgré le matraquage obsédant des médias.

Le rejet des politiciens et de Droite et de Gauche a contraint le Président sortant à se retirer de la compétition, et son prédécesseur Sarkozy a dû en faire autant. Ce discrédit ouvre la porte à toutes les démagogies, l’extrême droite xénophobe qui prétend défendre le prolétariat, un histrion ultra-liberal qui se prétend tout neuf, voire de gauche, etc..

Dans ce carnaval des égos gonflés jusqu’à la démesure par le jeu trouble des médias au service du capital, il est normal et presque sain que refleurissent les vieux slogans " gauchistes " de 1968 : " tous pourris..élections, pièges à cons..etc". Car cinquante ans plus tard, il est un fait indéniable : l’élection de 2017 n’apportera aucune issue politique à la France, mais une probable aggravation de la situation politique et sociale, que risquent de confirmer les élections législatives de juin.

Est ce une raison suffisante pour répéter avec nos " experts médiatiques " que " la démocratie est usée ", alors même qu’ils nous expliquent devoir l’imposer par la force en Afrique, en Syrie, etc ?
Faut il accepter sans réagir cet usage falsifié de concepts millénaires, et jeter l’enfant avec l’eau du bain ?

SUFFRAGE UNIVERSEL, DÉMOCRATIE, SOCIALISME : UN SENS À RETROUVER

Pour paraphraser Saint Just, qui faisait du bonheur de tous le but de l’action révolutionnaire, le suffrage universel et la démocratie restent des idées neuves en France et dans le monde, comme le sont d’autres concepts falsifiés aujourd’hui.

Ainsi celui de socialisme, dont les modernes sectateurs de " gauche " du capital ont réussi à faire oublier qu’il n’a de sens que par la propriété collective des moyens de production. Les élections au suffrage universel ne sont des " pièges à cons " que par leurs dérives, leur détournement. Démocratie, Socialisme, Égalité entre les hommes et entre les peuples, ces objectifs révolutionnaires sont d’ailleurs nécessaires ensemble : il n’y a pas de Socialisme véritable et durable, sans Démocratie, c’est à dire participation du plus grand nombre aux choix politiques, les avatars du " socialisme réel" dans le passé l’ont démontré. Il nous reste à les conquérir, débarrassés des scories qui les ont défigurés
aux yeux de nos contemporains :

  • 1 - la délégation de pouvoir à des professionnels, qui font de l’action politique un métier ou une sinécure, dont le seul objectif est de se faire élire, et de s’accrocher ensuite à cet emploi par la manipulation des citoyens, réduits à l’état de consommateurs passifs de marchandises et d’idées fausses.
  • 2 - les pratiques monarchiques, et le formatage des esprits par l’appareil médiatique au service des capitalistes et de l’état imprégné de la religion " du Marché "
  • 3 - l’utilisation du suffrage universel pour empêcher la lutte de classe, alors qu’il ne peut être fécondé qu’en faisant d’elle sa compagne.

Ambitieux programme, et proprement révolutionnaire,qui reste à accomplir en n’oubliant pas que nous sommes les héritiers des militants qui clamèrent en 1793 : "Quand un gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est son premier devoir !"

Il suffit d’actualiser ce propos toujours actuel, en rappelant que ce devoir d’insurrection n’est en aucun cas un putsch ou un soulèvement armé : ils se terminent toujours dans le désastre et le sang quand ils ne sont pas adossés à l’assentiment populaire.

Aucune amélioration sociale durable n’est possible tant que l’opinion ne la désire pas. D’où découle le rôle fondamental des militants, ces ouvriers de la démocratie, qui consacrent leur vie à convaincre de jour en jour les citoyens, rendant ainsi possibles les Révolutions nécessaires.

Notre " devoir d’insurrection " est pacifique, il signifie luttes sociales et politiques, toutes les formes possibles d’expression de ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre.

   

Messages

  • 1. Histoire française du suffrage universel.
    7 janvier 2017, 10:50 - par Jean pierre de Lacruz


    C e long plaidoyer du suffrage universel, tout communiste ne peut que le partager

    .Mais quand le suffrage est a ce point détourner du but démocratique ,et ne sert qu’a empêcher tout développement de la LDC, dans ce cas je fais mien aujourd’hui un slogan que je ne partageais pas en 1968 , élection " PIEGE A CONS "

    Inciter les travailleurs a voter , quant on a pris conscience que le détournement du suffrage universel " FRAINE LA LDC " serait pour un communiste, a mon sens une " trahison ".

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