Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Société, Culture, Environnement > Entre les labos pharmaceutiques et les médecins, 14 millions de conflits (...)

Entre les labos pharmaceutiques et les médecins, 14 millions de conflits d’intérêts potentiels !

Lobbying et mégaprofits : tout ce que les labos pharmaceutiques voudraient vous cacher.

jeudi 15 novembre 2018 par Rozenn Le Saint.

En leur offrant gratifications et contrats rémunérateurs, les laboratoires pharmaceutiques ont tissé une dense toile de liens d’intérêts au sein de la profession médicale. Cette influence leur permet de peser sur les prescriptions et les décisions des agences sanitaires. Malgré la succession des scandales, la transparence reste très parcellaire dans ce domaine. En partenariat avec le projet EurosForDocs [1], nous dévoilons un outil permettant d’y voir plus clair sur ces liens d’intérêts : pas moins de 14 millions de liens ont été répertoriés en France depuis 2012, pour un montant total de plus de 3,5 milliards d’euros versés aux professionnels de santé.

Médiator, vaccination contre le virus de la grippe H1N1, pilules contraceptives de troisième génération, Depakine… Les scandales sanitaires se suivent et se ressemblent. Le dernier en date concerne le Levothyrox : la nouvelle formule de ce médicament destiné à lutter contre les troubles de la thyroïde, lancée par le laboratoire Merck en mars 2017, a provoqué de nombreux effets indésirables. Malgré les déclarations rassurantes de Merck et des autorités de santé, il subsiste des zones d’ombre autour de cette affaire [2]. Encore une fois, le manque de contre-pouvoir face au poids du lobbying de l’industrie pharmaceutique est décrié. Et l’indépendance des médecins qui défendent publiquement des médicaments controversés est mise en cause.

Le manque de contre-pouvoir face au poids du lobbying de l’industrie pharmaceutique est régulièrement décrié.

La ministre Agnès Buzyn n’a retenu que très peu des recommandations faites dans le nouveau rapport commandé par le ministère de la Santé suite au scandale. Mais elle s’est au moins engagée à « sécuriser, moderniser et améliorer l’accessibilité de la base Transparence santé ». Celle-ci avait été créée en 2012 sur le modèle américain du Sunshine Act suite à un précédent scandale sanitaire, celui du Médiator. Les entreprises pharmaceutiques sont censées y répertorier tous les avantages (repas, transport, hébergement lors des colloques) d’une valeur supérieure ou égale à dix euros offerts aux professionnels de santé (médecins, chirurgiens dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, pédicures et podologues, orthophonistes et orthoptistes), ainsi que les contrats passés avec eux.

Ces contrats peuvent être des formations dispensées au personnel des laboratoires par les médecins, des animations de conférences pour leur compte, des signatures d’articles scientifiques vantant les mérites d’un médicament (ghost writing), etc. Les données sont rendues publiques sur le site transparence.sante.gouv.fr depuis avril 2016. Mais celui-ci, sous la responsabilité du ministère, est si mal conçu que ces informations sont au final inaccessibles aux citoyens et difficiles à exploiter. En cause, la mauvaise volonté aussi bien des laboratoires pharmaceutiques que du gouvernement.

Les liens d’intérêts des défenseurs de Merck en plein scandale du Levothyrox

C’est pourtant bien là l’objectif central d’un dispositif de transparence de ce type : rendre les liens d’intérêts visibles et accessibles à tous, pour mettre les professionnels face à leurs responsabilités et pour que les décideurs et les citoyens connaissent mieux les experts qui expriment leur avis.

Exemple avec le scandale du Levothyrox. Dans une tribune parue le 28 décembre 2017 dans les colonnes du Monde, cinq endrocrinologues (spécialistes des hormones, notamment thyroïdiennes) dédouanent le laboratoire en pointant un « effet nocebo » (le négatif de l’effet placebo) : selon eux, les effets indésirables ne seraient que de nature psychologique. Avec la base Transparence Santé, il serait assez fastidieux de trouver la trace des éventuels liens d’intérêts de ces professionnels. Heureusement, grâce au nouveau projet EurosForDocs (lire notre article « EurosForDocs, une base de données d’utilité publique »), cela devient beaucoup plus facile. Or, parmi les cinq signataires de cette tribune, un seul n’a pas de lien d’intérêts avec Merck : Xavier Bertagna. Un deuxième, Philippe Bouchard, n’a eu qu’une seule relation financière avec le laboratoire, la prise en charge d’un repas en 2015.

Détail des déclarations de Jean-Louis Wemeau sur EurosForDocs.

En revanche, le fabricant du Levothyrox a dépensé pas moins de 12 571 euros depuis 2012 au profit de Jean-Louis Wemeau. Celui-ci a signé la tribune du Monde, ainsi qu’une autre parue dans Le Quotidien du médecin, dans laquelle il dénonce une « tempête dans un verre d’eau » et estime que « la communication du laboratoire, des sociétés savantes, de certaines des associations de patients a été rapidement exemplaire ». Entre 2012 et la parution de ces tribunes, Merck avait déclaré l’avoir défrayé à hauteur de 5 082 euros. Pendant le seul premier semestre 2018, Merck a dépensé 7 489 euros au profit du professeur émérite d’endocrinologie, soit davantage en six mois qu’en l’espace de cinq ans. Le laboratoire l’a notamment rémunéré 1000 euros la journée à trois reprises pour des « contrats d’orateur » lors de conférences. Il lui a aussi payé 4 443 euros (indiqués 14 636 euros sur la base Transparence santé, correspondant en réalité à des dinars tunisiens selon Merck) de frais de transport pour s’y rendre, un montant enregistré en date du 15 mars 2018 !

Détail des déclarations de Jacques Young sur EurosForDocs.

Même constat en ce qui concerne le quatrième signataire de la tribune du Monde, Jacques Young : peu après la sortie de la nouvelle formule du Levothyrox, le laboratoire allemand lui a versé une rémunération de 1 400 euros le 14 juin 2017 au titre d’un « contrat de consultant » pour une « formation équipe médicale ». Il a aussi réglé son addition pour un repas pris le 31 octobre 2017, soit moins d’un mois avant la publication d’une autre tribune encore évoquant le « faux scandale du Levothyrox » parue dans le Journal du dimanche et co-signée avec André Grimaldi, le dernier signataire de la tribune du Monde., avec lequel Merck a également eu des relations d’affaires jusqu’en 2013. Aucun de ces deux médecins n’a répondu à nos demandes d’entretien sur ces liens d’intérêts et dans quelle mesure ils ont pu affecter leur jugement.

Près de 7 500 euros pour une tournée africaine

Nous avons cherché à en savoir plus sur ces près de 7 500 euros correspondant aux montants des trois contrats, aux frais de repas et au 4 443 euros de frais de transport octroyés par Merck à Jean-Louis Wemeau. Ce montant semble correspondre à une « tournée africaine », en Algérie, en Tunisie et au Sénégal, selon le laboratoire. Encore aujourd’hui, les voyages du médecin en Afrique continuent de s’enchaîner. « Ce n’est pas déplaisant, quand vous êtes sollicité : je n’étais jamais allé à Oran, Alger est une jolie ville, Dakar est intéressante. C’est le plaisir de voyager et d’échanger », commente-t-il.

S’agissant de ces frais de transports, le médecin explique que « quand il s’agit d’un vol de plus de six heures, le laboratoire opte pour un billet en business. » Quel est l’objet de cette tournée continentale ? « Ce n’est pas Merck en France mais Merck en Afrique qui m’a sollicité en début d’année 2018. Les responsables de Merck Afrique avaient vu que j’avais écrit sur le Levothyrox. Comme c’est toujours l’ancienne formule du Levothyrox qui est prescrite en Afrique, et que la nouvelle formule va bientôt y arriver, on me demande ce qu’il en est de la crise du Levothyrox en France », justifie-t-il. Un expert de choix pour préparer le terrain avant l’arrivée de la nouvelle formule sur le continent africain.

Suite de l’article Ici.


Voir en ligne : https://www.bastamag.net/webdocs/ph...


[2Lire la série d’article d’Aurore Gorius sur cette affaire pour Les Jours https://lesjours.fr/obsessions/levothyrox/, ainsi que « Levothyrox des découvertes accablantes pour l’Agence du médicament », Médiacités https://www.mediacites.fr/toulouse/enquete-toulouse/2018/10/03/levothyrox-des-decouvertes-accablantes-pour-lagence-du-medicament/

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?