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“Prudence, Courage et esprit critique” : à propos de la mobilisation des Agriculteurs en France et de ses perspectives

jeudi 25 janvier 2024 par Unité CGT

La mobilisation paysanne, qui s’est puissamment amplifiée en ce début d’année 2024, peut amener de l’eau au moulin de la Justice sociale et fiscale. Prenons-y notre part, avec prudence, courage et esprit critique.

Une révolte agricole gronde dans toute l’Europe. En Allemagne, mais aussi en France, aux Pays-Bas ou encore en Roumanie, des agriculteurs se mobilisent ces derniers mois contre les réglementations européennes. En France, ce mouvement fait la Une actuellement des journaux. Actions coup de poing, blocages d’autoroutes et de péages : les agriculteurs multiplient les initiatives en amont de semaines qui s’annoncent très chargées.

En Allemagne comme en France, l’annonce de la fin programmée des subventions sur le « rouge » ; le diesel agricole indispensable pour faire fonctionner les machines, a mis le feu aux poudres. Cette explosion de colère, à l’image du point de départ de la mobilisation des Gilets jaunes en novembre 2018, cache toutefois un mal-être bien plus profond.

Écartelés entre une grande distribution vorace et des institutions nationales et européennes qui les méprisent, les métiers du secteur agricole comptent parmi les plus précaires dans de nombreux pays d’Europe. Et ce, malgré un système, une fois n’est pas coutume, largement subventionnée par l’argent public.

Il faut ainsi relever que le secteur agricole français bénéficie d’un très grand nombre d’allègements de charges fiscales et sociales, d’un montant équivalent à environ 4 milliards d’euros de manque à gagner pour les recettes publiques chaque année, et qu’il est en outre destinataire de 9 milliards d’euros annuels d’argent public, à travers les subventions de la PAC (Politique agricole commune) de l’Union européenne.

De plus, comme nous l’avons écrit plus haut, les agriculteurs bénéficient de subventions sur le diesel agricole. En 2023, cette exemption représentait 1,7 milliard d’euros.

Ces chiffres interpellent et illustrent la réalité d’un monde agricole fondamentalement inégalitaire, dominé et dirigé par les énormes groupes agro-industriels et qui laisse crever des milliers de petits et moyens exploitants individuels ou familiaux.
Comble de l’hypocrisie, c’est bien la mafia (patronale et réactionnaire) de la FNSEA (mais aussi des Jeunes Agriculteurs ou de la Coordination rurale) qui bénéficie (très) majoritairement des subventions et exonérations fiscales tout en cadenassant les revendications paysannes et en prétendant diriger le mouvement revendicatif.

Il faut d’ailleurs noter qu’à ce stade, au 24 janvier au soir, la Confédération paysanne (20 % aux élections de 2019), progressiste et favorable à la transition agroécologique, a appelé ses adhérents à se mobiliser.

« Alors que plusieurs Confédérations paysannes départementales étaient déjà mobilisées sur le terrain, la décision de notre comité national va amplifier cette mobilisation ».

La Confédération veillera à lutter « contre toute forme de récupération » visant à « attiser le chaos, encourager le repli sur soi et in fine poursuivre la fuite en avant d’un système qui nous met en concurrence les uns contre les autres ».

Pour la Confédération paysanne, « le constat est partagé : la colère exprimée est légitime, tant le problème de la rémunération du travail paysan est profond ». « Par contre, sur les solutions proposées, l’agriculture française tourne en rond depuis des décennies derrière la sacro-sainte “compétitivité” chère à l’agrobusiness et aux marchés mondialisés », a ajouté l’organisation dans une allusion au duo syndical FNSEA-Jeunes agriculteurs.

La Confédération a une double revendication : une loi interdisant tout prix agricole en dessous des prix de revient et la fin immédiate des négociations d’accord de libre-échange.

Il faut bien rappeler également que les dirigeants de la FNSEA ont décidé de sauter à pieds joints dans la démagogie. Ainsi, le « Pacte vert européen », pris pour cible par les agriculteurs, a par exemple déjà été vidé de sa substance sous l’assaut répété des lobbyistes de l’agro-industrie à Bruxelles.

Le loup est ainsi dans la bergerie : les nababs de la FNSEA, les céréaliers et autres magnats de l’agro-industrie, font tout pour dévier et détourner la colère des agriculteurs sur tout sauf sur le plus important : le rôle et la responsabilité des gros producteurs vis-à-vis des « petits » agriculteurs.

Preuve en est, l’objectif assumé par la FNSEA et cie, main dans la main avec un gouvernement (qui d’ailleurs laisse faire les blocages, à contrario de son autoritarisme brutale et son cortège de violences et crimes sécuritaires en 2023 et 2018), de faire sauter des normes.
Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau va ainsi présenter le 24 janvier une facilitation et une accélération des conditions de construction de gros bâtiments d’élevage jusqu’ici classés comme industriels et nécessitant donc une autorisation environnementale, ainsi que l’aménagement de réservoirs d’eau à usage agricole – autrement dit des barrages, des retenues, mais aussi potentiellement des mégabassines.

Alors que les opérations de blocages routiers se multiplient, le gouvernement affirme qu’il n’a pas l’intention d’empêcher cette « expression de revendication » parce « qu’ils sont organisés dans un cadre légal », a avancé la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot. Ces propos s’ajoutent à ceux du ministre de l’Intérieur, « On n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent. », « il n’est pas prévu d’évacuation par les forces de l’ordre » car « il n’y a pas de dégradation »…

Chacun constate bien le deux poids deux mesures insupportables. Chacun a en souvenir le carnage de Sainte Soline, les arrestations violentes et abusives, les procès en « éco-terrorisme » contre des militants, les menaces et intimidations contre la Ligue des Droits de l’Homme. Si le gouvernement a toujours toléré les actions « choc » du moment qu’elles sont menées par la mafia de la FNSEA, rappelons-nous la manière dont la presse et le pouvoir a, dans un premier temps seulement, accueilli les toutes premières démonstrations de force des Gilets jaunes.
Le verni (et la police) a craqué dès l’instant où les manifestants se sont affranchis des éléments les plus réactionnaires et lorsque les revendications ont pris une dimension qui était clairement centrée autour et en faveur de la Justice sociale.

On le voit, les milliers de petits agriculteurs, dont la colère et l’aspiration à une vie digne sont légitimes, sont manipulés, dans le fond et la forme, par les mêmes riches agriculteurs (des patrons en réalité) qui, de fait, ont « privatisé » à leurs profits un secteur entier.

Il convient d’ailleurs de rappeler ici une vérité élémentaire (pourtant masquée par les médias, le pouvoir et les organisations patronales agricoles) : le secteur agricole et ses paysans sont indissociables des ouvriers de l’agroalimentaire.
L’exploitation de ces derniers est une phase clé dans les transformations des produits bruts agricoles. Il faut impérativement lier les revendications entre les paysans pauvres et les ouvriers de l’agroalimentaire. De même, il y a matière à travailler à la convergence avec les travailleurs de la grande distribution.
Tous et toutes ont les mêmes exploiteurs.

Cette dimension de l’exploitation en « milieu rural » prend d’ailleurs des proportions énormes et scandaleuses dès lors qu’il s’agit de sur-exploiter la main d’œuvre immigrée.
A titre d’exemple, l’entreprise espagnole de travail temporaire Terra Fecundis a été condamnée en juin 2022 à verser plus de 80 millions d’euros pour avoir fraudé des organismes sociaux français en envoyant des milliers d’ouvriers agricoles étrangers dans des exploitations françaises en violation des règles sur le travail détaché.
L’implication de l’UD CGT 13 auprès des salariés dans ce dossier avait été particulièrement importante pour obtenir gain de cause.

En France comme ailleurs, la Terre doit appartenir à ceux et celles qui la travaillent.
Cela inclus les paysans bien sûr (certainement pas les managers et gestionnaires des grands groupes de l’agro-industrie), mais aussi les ouvriers – français comme étrangers – sans lesquels rien ne serait produit ou transformé.

Quelques hypothèses, lucides mais optimistes :

1/
Les syndicalistes et la gauche doivent prendre en compte les leçons d’un passé pas si ancien : ce qui se passe en Occitanie et dans le Sud de la France ressemble trop au début des Gilets Jaunes pour que nous puissions l’ignorer. La réalité impose ce fait simple : les organisations patronales de l’agriculture, garante de l’Ordre en ruralité et qui occupent une place centrale dans l’économie française, peuvent être dépassées par la base, dans un sens positif, celui de la lutte des classes.

2/
Contre les monopoles agro-industriels et les géants de la grande distribution, la solidarité avec les petits et moyens exploitants est une évidence, malgré des désaccords certains mais dépassables collectivement. Notre indifférence à l’égard de la condition paysanne et des revendications du secteur primaire laissera le champ libre à la FNSEA et à l’extrême droite.

3/
Un agriculteur se suicide tous les deux jours. Le capitalisme est responsable de cette situation. Un mouvement paysan, radical et social, est possible et souhaitable. Pour ce faire, il s’agit donc, dans un premier temps, de « remettre la colère à sa place ».
C’est-à-dire de la diriger, conjointement et contre le gouvernement et l’UE, mais aussi contre la FNSEA, les JA, la Coordination rurale.
Tous ces acteurs sont responsables du malheur et de la souffrance de la paysannerie en France.

La mobilisation paysanne peut amener de l’eau au moulin de la Justice sociale et fiscale.
Prenons-y notre part, avec prudence, courage et esprit critique.

   

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