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Syrie : Pour plus de vérité dans les relations internationales

dimanche 3 mars 2024 par Hans-Christof von Sponeck

Rappellons nous ! L’attaque chimique présumée contre Douma, en périphérie de Damas, le 7 avril 2018, a changé la donne. Afin de justifier les frappes militaires de représailles menées contre des cibles en Syrie, les discours officiels de la Première ministre britannique Theresa May ont fait spécifiquement référence aux « images bouleversantes d’hommes, de femmes et d’enfants gisant, morts, de la mousse dans la bouche », et la Maison-Blanche à des vidéos et des images montrant « les restes d’au moins deux bombes-barils contenant du chlore qui ont servi dans le cadre de l’attaque, dont les caractéristiques correspondent à celles utilisées lors de précédentes attaques ». Ils sont prêt à tous les mensonges pour justifier les actions de l’impérialisme occidental. Et l’ONU ne semble plus en mesure de garantir la Paix !(JP-ANC)

On a tellement diabolisé injustement la Syrie et on a détruit en partie ce très beau pays en invoquant tant de mensonges.
L’ancien coordinateur de l’ONU pour l’Irak, Hans-Christof Graf von Sponeck. Il a été parmi les premiers hauts fonctionnaires de l’ONU à avoir dénoncer les mensonges à propos des armes de destruction massive en Irak. Il a aussi dénoncé les manipulations occidentales concernant la pseudo attaque chimique à Douma, en Syrie.

J’aimerais vous raconter une histoire en lien avec la condition humaine, la nature humaine et le devenir de notre société dans un ordre mondial multipolaire. Mais avant cela, je dois dire quelques mots sur la déshumanisation et le manque d’humanité qui caractérisent le désordre mondial actuel et qui, malheureusement, relèvent du même sujet.

Cela concerne la présence d’armes de destruction massive en Syrie et le devoir des organisations multilatérales d’œuvrer pour le bien-être de l’humanité en la protégeant de la guerre, de la pauvreté et de l’exploitation.

Le 7 avril 2018, Douma, une ville de la banlieue de Damas, a subi un bombardement qui a coûté la vie à 43 personnes. Quelques jours plus tard, les forces aériennes américaines, britanniques et françaises ont frappé des objectifs syriens en représailles à l’utilisation présumée de gaz toxiques par le gouvernement syrien. Dans ce cas précis, une stratégie de puissance inhumaine a conduit à une grave crise aux conséquences internationales. Les études scientifiques de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) ont été manipulées et politisées afin de justifier une attaque aérienne.

Au terme de deux années de travaux, un premier rapport de recherche, que l’on peut consulter, a été publié en juillet 2023. Il décrit ce qui s’est passé et ce qui doit être fait pour faciliter un réexamen fiable de l’incident de Douma et pour restaurer la confiance dans le travail impartial d’organisations internationales telles que l’OIAC et l’ONU.
Sans aucun doute, c’est là une entreprise particulièrement ambitieuse.

Venons-en à mon histoire.
Par une heureuse coïncidence, quatre personnes se sont retrouvées : deux professeurs, l’un Américain et l’autre Britannique, l’ancien directeur général de l’OIAC, Brésilien, ainsi qu’un ancien collaborateur de l’ONU, Allemand. Nous avons tous les quatre un point en commun : notre volonté inconditionnelle de défendre sans réserve la vérité dans les relations internationales, cette vérité que nous considérons sérieusement menacée dans le cas de Douma.
Plus important encore, il s’agit pour nous de protéger des êtres humains qui sont victimes d’une guerre par procuration, une guerre qu’ils n’ont pas souhaitée. Les témoignages de deux scientifiques de l’OIAC – convertis depuis en lanceurs d’alerte qui occupent des postes clés de l’OIAC dans l’enquête sur la Douma – nous ont convaincus que, sous la pression de puissants Etats membres, la direction de l’OIAC à La Haye a manipulé la vérité sur les évènements de Douma et continue à le faire à plusieurs reprises.

En 2019, après un entretien confidentiel avec l’un des lanceurs d’alerte à Bruxelles, nous avons donc décidé de former un petit groupe de résistance citoyenne pour continuer à enquêter sur ce même sujet très lourd : Douma. Comme notre première rencontre avait eu lieu à Berlin en 2021, nous nous sommes donné le nom de « BerlinGroup 21 ».

La géopolitique au détriment de l’homme

Plus nous approfondissions la question des armes chimiques par rapport aux évènements de Douma, plus le sinistre petit jeu géopolitique qui se déroulait et continue à se dérouler à La Haye, au détriment de populations entières, devient clair. C’est pourquoi nous avons contacté d’anciens collaborateurs de l’OIAC ainsi que d’autres experts, afin d’obtenir un complément d’informations : des chimistes, des experts en toxicologie et en balistique ainsi que des gens spécialisés en matière d’armement, de questions de sécurité, de politique qui connaissent bien la Syrie.
Au printemps 2021, ces efforts ont conduit à une « Déclaration de profondes préoccupations » proposée à l’approbation de 24 personnages de renommée internationale qui l’ont ensuite signée, quatre d’entre eux étaient membres de l’OIAC.

Les présidents de l’Assemblée générale des Nations unies, du Conseil de sécurité et de la Commission des droits de l’homme, ainsi que le secrétaire général de l’ONU ont été les premiers à être personnellement contacté et invité à partager les préoccupations exprimées dans la déclaration avec les signataires.
L’ONU nous a répondu par son silence.
Les responsables de l’organisation mondiale, censés représenter les citoyens de ce monde unique, ont fait semblant de ne pas comprendre nos préoccupations et n’ont pas eu le courage d’intervenir en faveur de la paix, leur raison d’être. De plus, il nous importait de transmettre notre déclaration de préoccupations au directeur général de l’OIAC, et de l’accompagner d’un courrier personnel lui demandant de convoquer tous les membres du groupe d’investigation de l’OIAC impliqués dans les évènements de Douma, dans le but de procéder à une réévaluation des rapports publiés.
Il a répondu en nous renvoyant le pli contenant notre lettre et déclaration non décacheté. De notre part, personne n’aurait pu imaginer un tel affront.

Nous n’étions certes pas découragés, mais déçus. Toutefois, l’attitude négative des deux organisations mondiales nous a fait comprendre que notre documentation, la déclaration de préoccupations, ne pouvait être que le début d’une initiative citoyenne. La prochaine étape consisterait donc à rédiger un rapport détaillé sur les manipulations, les analyses erronées et la censure de l’OIAC dans la manière d’accomplir sa tâche.

Pour ce faire, nous avions besoin d’experts dans ce domaine et de soutien politique. Nous avions déjà accès à des experts. Pour ce qui concerne le soutien politique, nous avons établi des contacts avec des députés du Parlement européen, ce qui nous a permis d’obtenir le soutien de deux députés européens irlandais qui nous ont chargés de rédiger ce rapport.
Il s’agissait d’une étape importante qui a également apporté les moyens d’assurer le financement et la distribution du rapport. Jusque là, nous avions personnellement pris en charge toutes les dépenses liées à la gestion de notre site web, aux traductions et au matériel. Pour des raisons évidentes, la collaboration avec les deux députés européens est restée secrète jusqu’à la publication du rapport en juillet, après deux ans de dur travail dans un environnement complexe.

Durant cette période, il n’a pas été facile de faire comprendre à toutes les personnes concernées que même si le cas de Douma constituait une affaire grave mais ponctuelle, il était bien plus important de considérer cette affaire ponctuelle comme symptomatique d’un conflit global entre les grandes puissances et d’agir en conséquence.
Alors que nous travaillions sur le rapport, nous avons eu de nombreuses occasions d’exposer les circonstances du cas de Douma et d’écrire des articles à ce sujet dans des débats publics de manière délibérément restreinte. Les grands médias américains et européens n’avaient aucun intérêt à s’exprimer dans notre sens. Ils nous ont harcelés, ou plutôt, ils nous ont accusés de défendre le dictateur syrien et de faire allégeance à la propagande russe.

Photo de propagande fournie par le groupe djihadiste Jaich al-Islam, qui contrôlait à l’époque la localité de Douma, près de Damas, simulant une attaque à l’arme chimique par l’armée syrienne. Les inspecteurs de l’OIAC qui s’y étaient rendu sur place pour enquêter avaient conclu à une grossière mise en scène. Leur rapport a été censuré et manipulé par la direction de l’OIAC !

Des attaques personnelles plutôt qu’une discussion factuelle

Nous avons tous subi des attaques sur le plan personnel. L’un d’entre nous a été empêché de s’exprimer au Conseil de sécurité de l’ONU, tandis que l’audition d’un autre n’a pas été jugé recevable par deux ambassadeurs du groupe P5, qui n’ont même pas participé à cette audition. Ailleurs, une ambassadrice a déclaré, en faisant référence à notre groupe : « Eh oui, ce sont des gens qui balancent de la boue dans l’espoir qu’elle reste accrochée aux destinataires. »
Un institut universitaire européen réputé et respecté a retiré son invitation à un congrès sur la Convention sur les armes chimiques, à l’époque où notre rapport était publié, arguant qu’il devait y avoir « un équilibre entre la dimension politique et la dimension académique » – une déclaration qui m’a littéralement effrayé. On a déclaré à un autre de nos membres que sa participation à notre groupe avait détruit l’œuvre de toute sa vie.

L’année dernière, une chaîne de télévision publique bien connue en Europe centrale a diffusé un long documentaire sur les armes chimiques et Douma, il concluait que des armes chimiques y avaient en effet été employé– constat qui ne correspondait en rien à ce que nous avions établi sur la base des documents dont nous disposions. Nous avons contacté le chef d’antenne pour lui demander de nous accorder un délai qui nous permettrait de présenter nos propres conclusions.
Dans sa réponse, il a indiqué que nous devions d’abord prouver que nous étions en mesure de respecter la déontologie du « reporting » diffusé par son institution. Le chef d’antenne a donc reçu notre rapport concernant ce sujet il y a quelques jours. Il nous tarde de savoir si nous allons passer le test standard de la chaîne de télévision mentionnée et si un entretien pourra avoir lieu.
Il y a d’ailleurs également eu de fausses déclarations à la BBC et dans les médias papier anglais, qui ont ensuite dû être retirées.

Notre rapport a été envoyé aux 193 Etats membres de l’ONU et de l’OIAC, en format numérique et en format papier. Le directeur général de l’OIAC et son conseil technique consultatif l’ont également reçu accompagné d’une nouvelle requête demandant à l’organisation de remplir ses obligations et de convoquer une nouvelle enquête sur Douma.
En tout état de cause, les enveloppes ne nous ont pas encore été retournées.

Au Brésil, le nouveau gouvernement brésilien du président Lula da Silva a rapidement réagi à l’envoi du rapport en ordonnant aux ambassades brésiliennes à New York et à La Haye d’insister pour que ce dernier fasse l’objet d’un débat au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’OIAC. Nous nous attendons à ce que d’autres gouvernements et le secrétaire général des Nations unies fassent de même. Bien entendu, nous espérons vivement que les institutions de la société civile feront entendre leur voix et rappelleront aux gouvernements qu’en définitive, des organisations telles que l’ONU et l’OIAC ont un devoir à remplir envers les citoyens, celui de protéger la vérité et de faire respecter le droit international.

Article original en allemand publié le 20 février 2024 dans Zeit-Fragen

Traduit par Arrêt sur info — 22 février 2024


Hans-Christof von Sponeck, né à Brême en 1939, a étudié la démographie et l’anthropologie physique aux universités de Bonn, de Tübingen et de Washington. Il a été décoré du doctorat honoris causa de l’université de Marburg, en 2010. De 1968 à 2000, von Sponeck a été chargé de diverses missions par les Nations unies. Durant cette période, il a été impliqué dans des missions à New York, au Ghana, au Pakistan, au Botswana et en Inde, cela également dans sa fonction de directeur du bureau européen du PNUD, à Genève. De 1998 à 2000, il a été coordinateur de l’ONU et secrétaire général adjoint de l’ONU, responsable du programme « Pétrole contre nourriture » en Irak. En février 2000, il a démissionné de ses fonctions onusiennes pour protester contre la politique de sanctions à l’encontre de l’Irak. Von Sponeck est porteur de diverses distinctions et auteur de nombreuses publications. Il travaille actuellement avec Richard Falk sur la rédaction d’un livre sur la réforme de l’ONU.

   

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