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De retour du Donbass

samedi 20 avril 2024 par André Fadda (ANC)

Nous n’avons pas l’habitude de faire des interviews mais nous estimons qu’en l’absence d’information dans les gros médias sur la guerre qui se déroule au Donbass depuis 2014 et qui explique en grande partie la guerre Russie-OTAN en cours depuis février 2022, il nous semblait nécessaire de transmettre cet aperçu “provenant de l’autre côté du miroir”.

La Rédaction

Tu viens de rentrer d’un voyage au Donbass en tant que membre d’une délégation internationale conduite par la Banda Bassotti. Qu’est ce qui t’a motivé à partir là-bas ?

Oui, je suis parti avec la Caravane antifasciste, organisé tous les ans depuis 2014 par le groupe de musique italien Banda Bassotti. Depuis le massacre d’une quarantaine de communistes, syndicalistes et anti-Maïdan dans la Maison des syndicats à Odessa par des groupes néonazis ukrainiens, une dizaine de militants de plusieurs pays font le déplacement. Cette année, je suis allé avec des communistes et antiimpérialistes allemands, espagnols, italiens, mexicains, portugais et y compris une camarades palestinienne.

Comme tu sais, les informations données par les médias occidentaux, y compris par l’Huma, sur le conflit entre la Russie et l’OTAN en Ukraine sont tendancieuses, soutiennent Zelensky et les néonazis d’Azov les yeux fermés et nient la réalité vécue par les travailleurs et les populations du Donbass.

En France, nous sommes un certain nombre à savoir tout ce qui s’est passé en Ukraine depuis 2014. Comment cette guerre a démarré il y a 10 ans suite au coup d’état du Maïdan, soutenu financièrement et militairement par les États-Unis et les Britanniques. En tant que syndicaliste et communiste, il est de mon devoir de faire preuve de solidarité et de tout faire pour contrer le tas de mensonges et manipulations orchestrées par la France et colportées par mon organisation syndicale et par le PCF où je militais jusqu’à il y a peu. Voilà donc pourquoi j’ai décidé d’aller au Donbass. Une fois arrivé là-bas j’ai pu palper de première main sur le terrain, la souffrance mais également la résistance et l’espoir de gens dont leurs histoires sont réduites au silence.

Depuis 2014, le point de vue qui est diffusé par l’Union européenne, les médias et les partis politiques présents à l’Assemblée nationale est clairement celui qui est affiché par le gouvernement de Kiev. Les gens du Donbass, les militants et sympathisants des partis et organisations de la gauche ukrainienne, les journalistes qui sont emprisonnés et parfois assassinés parcequ’ils se sont opposés à l’idéologie néonazie, sont invisibles. Nous parlons de personnes qui sont persécutées, qui n’ont pas le droit de s’exprimer dans les médias. Leur réalité n’apparaît pas, les persécutions, les tortures, les disparitions, les exécutions sommaires et les bombes qui frappent ces populations, ces militants de gauche, ces journalistes, ces travailleurs, n’existent pas dans les journaux télévisés, dans la presse des pays occidentaux y compris dans la presse syndicale.

En 2022, la Russie a justifié son intervention parce qu’il s’agissait d’une guerre contre le néonazisme en Ukraine. A travers les échanges que tu as pu avoir avec la population, cela ressort dans les conversations ?

Oui, cela ressort fortement. Avant que la Russie ne décide d’intervenir en Ukraine en février 2022, cette situation existait déjà. Juste après le coup d’état du Maïdan, le putschistes qu’ont-ils interdit ? Une partie de la culture de l’Ukraine et pas n’importe laquelle. Celle liée à la mémoire historique. La loi sur la condamnation du nazisme, abrogée. Le Parti communiste ukrainien qui était la 4ème force politique en Ukraine, avec une implantation très importante dans le Donbass mais également dans la ville de Kherson, interdit. Dix autres partis de gauche, interdits. L’interdiction de l’utilisation de la langue russe dans les écoles et dans les médias et toute forme culturelle liée au monde russe. L’emprisonnement de militants politiques de gauche. L’assassinat de journalistes. La réhabilitation des collabos nazis ukrainiens de la Seconde Guerre Mondiale et les cérémonies officielles en leur hommage. La création de la page internet Myrotvorets, soutenue par Kiev, qui répertorie toute personne jugée prorusse et qui dresse une liste noire de « gens à abattre ». Et quand un de ces “ennemis” de l’Ukraine est tué, alors la photo de cette personne est affichée sur sa page.

Les gens que nous avons rencontré nous ont clairement raconté la violence qu’ils ont subit. Un certain nombre d’Ukrainiens originaires de Karkhov ou d’Odessa, comme le député Alexey Ablu, se sont réfugiés dans le Donbass afin d’échapper à une mort certaine. Pour rappel, le massacre de la Maison des syndicats à Odessa le 2 mai 2014, avait été perpétré par des organisations néonazies comme le Pravy Sektor et les bataillons Aïdar et Azov. Ce jour-là, ils avaient mis le feu à l’immeuble. Des vidéos de cette journée que l’on peut voir sur internet, montrent comment ceux qui ont tenté d’échapper aux flammes ont été abattus ou battus à mort. Une quarantaine de morts et plus de 200 blessés. Comme les gens du Donbass, ces Ukrainiens n’ont pas accepté le coup d’État. Lorsqu’en 2014, ils ont commencé à voir les symboles de l’extrême droite sur les murs de la ville et les néonazis défiler dans les rues, ils ont compris qu’il fallait se battre.

Ceux que j’ai rencontré m’ont dit, qu’ils espèrent que dès mon retour en France, beaucoup plus de gens écouteront mon témoignage et comprendront que la réalité n’est pas celle que raconte les médias occidentaux.

Quel est l’état d’esprit des gens que tu as rencontré ? Comment réagit la population à la présence de l’armée russe ?

Partout où nous sommes allés nous avons pu échanger avec les gens. La population du Donbass est russe. Et ils sont fiers de l’affirmer. La participation massive aux élections présidentielles de mars en est une preuve.

C’est pourquoi, lorsque l’armée russe expulse l’armée ukrainienne lors de sa progression sur le terrain, les habitants qui se terraient dans les sous-sols des immeubles et subissaient les exactions des bataillons néonazis, accueillent les soldats russes en libérateurs. Il faut savoir que dans les localités du Donbass qui sont encore occupées par l’armée ukrainienne, la population est traitée comme une “race inférieure”, selon les témoignages des habitants de Artiomosk (Bakhmut) que nous avons pu rencontrer dans un centre de réfugiés.

Penses-tu que la population du Donbass conserve le souvenir de ce qu’était l’URSS ?

Lors de notre voyage j’ai pu constater à quel point la mémoire et le souvenir sont bien vivants dans les régions que nous avons traversé. Les travailleurs et les étudiants du Donbass mais également de Melitopol, de Akimovski et de Berdiansk (Zaporozhie) restent très attachés à l’histoire de l’Union Soviétique. Tous ceux que j’ai rencontré, jeunes et vieux, nous disent plus ou moins la même chose : “Nos parents et grands-parents croyaient intensément en Lénine et au communisme. Maintenant, nous ne vivons pas dans le communisme, mais cela fait partie de notre histoire et nous ne laisserons pas qu’elle soit détruite”.

Par ailleurs, nous avons croisé de nombreux militaires russes, dont certains font partie d’unités locales, portant sur leur treillis de combat des patchs aux couleurs du drapeau de l’URSS, des portraits de Lénine ou de Staline. Sur un certain nombre de véhicules blindés, les drapeaux rouges avec la faucille et le marteau flottent au vent. Les monuments à la gloire de Lénine, Artiom, l’Armée rouge, des partisans contre le nazisme ou de héros du travail comme le mineur Stakhanov, sont présents dans de nombreuses villes. Presque toutes les familles russes ont perdu un proche dans la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 et le Donbass s’est particulièrement illustré par son activité antinazie. La célèbre Jeune Garde, groupe clandestin de jeunes communistes qui avaient résisté à l’occupation allemande dans la région de Lougansk, fut immortalisée par le livre d’Alexandre Fadeiev.

Donc le sentiment d’appartenance aux idées communistes est bien réel au Donbass…

Après le coup d’état du Maïdan et l’ATO (opération antiterroriste) lancée contre le Donbass par le régime de Kiev en 2014, les communistes s’étaient organisés en milices populaires pour défendre les localités, les mines et les aciéries. Ils ont été réjoints par de nombreux militants du PCU et de l’organisation communiste Borotba d’Odessa, Kharkov, Kiev et autres villes, qui fuyaient la barbarie néonazie. Les structures de ce qu’était le Parti communiste d’Ukraine dans le Donbass étaient ensuite devenues les partis communistes des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Aujourd’hui, elles font partie du KPRF, le parti communiste de la fédération de Russie.

Cependant, le symbolisme soviétique dont je parlais plus haut, ne signifie pas une adhésion automatique et généralisée aux idées marxistes-léninistes. Il fait partie de la mémoire collective de la population, qui n’oublie pas son passé et maintient vivante son Histoire antifasciste. Il exprime un attachement de la population aux valeurs de solidarité, de justice sociale et une fierté du monde ouvrier.

Tu as rencontré le syndicat. Quelle est la situation des travailleurs dans les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ?

Lors de rencontres avec des syndicalistes, j’ai pu me rendre compte à quel point le syndicat est un outil précieux et une organisation de classe et de masse qui vient en aide aux travailleurs et à la population.

En 2014, Kiev refuse de leur verser les pensions, supprime leurs droits sociaux et culturels tout en bloquant l’économie de la région. Après les avoir traiter de “race inférieure”, de “sous-hommes”, l’ancien président Porochenko, lance la guerre contre le Donbass et fait bombarder les villes. Les travailleurs de Donetsk, Lougansk, Marioupol et mais aussi d’Odessa et Kharkov, ne se laissent pas faire. Avec leurs syndicats ils se sont alors mobilisés pour organiser la résistance. Au Donbass, des milices populaires sont créées et de nombreux travailleurs et syndicalistes qui n’avaient jamais pris une arme partent sur le front pour défendre leur territoire, leur entreprise, les bassins miniers et les aciéries.

Aujourd’hui, après 10 ans de guerre et avec le rattachement des républiques à la Russie, il est possible de trouver des produits partout, il y a des médicaments dans les pharmacies, de nombreuses entreprises se sont remis à produire. Les supermarchés et les stations-service fonctionnent. Sur les routes, on peut voir un important afflux de transport de marchandises. De nombreux travailleurs sont sur le front dans les unités de combat, aujourd’hui intégrées dans l’armée russe. Mais beaucoup d’autres font tourner les usines métallurgiques et les mines de charbon. Une politique d’embauche et des actions de formation professionnelle qualifiante envers les jeunes est mise en œuvre. Mais il y a également beaucoup d’autres qui ont perdu leur emploi en raison de l’exode forcé de leurs villes suite aux combats.

Plus concrètement, comment le syndicat s’est adapté à la situation de guerre ?

Les principales activités économiques du Donbass sont les mines de charbon et la sidérurgie. Comme nous en France, pour le syndicat de cette région la question du salaire décent, la sécurité sociale et les conditions de travail font partie de leurs principales préoccupations y compris en temps de guerre. Malgré les bombardements et la menace constante des drones, les syndicalistes cherchent à améliorer les conditions de vie des travailleurs du Donbass. L’accès à la santé, au logement et à l’éducation font partie de leurs priorités. Lors de nos visites dans les orphelinats de la région où nous avions remis du matériel scolaire et le résultat de collectes financières, le camarade syndicaliste nous accompagnait.

La place et le rôle du syndicat est quand même remarqué. Il participe à la vie politique et administrative de la région. C’est un acteur incontournable.

Quel bilan tires-tu de ce voyage ?

Le fait d’être allé dans le Donbass et de parler avec ses habitants est indispensable pour se faire une idée précise de ce qui se passe et pouvoir ainsi en témoigner. J’ai pu percevoir les désirs de paix de ceux qui subissent la guerre depuis déjà dix ans. Face à la propagande que nous subissons ici en France et dans le reste des pays de l’Union européenne, briser le mur de la désinformation est indispensable.
On ne peut pas nier une réalité historique, sociale et politique déjà complexe. En tant que communistes, l’exercice d’analyse et de compréhension s’impose. Nous ne pouvons pas laisser aux médias et aux politiciens, y compris ceux qui se réclament de la gauche, la construction d’un narratif aligné à celui de l’OTAN et l’UE et nous empêcher, voire interdire tout débat sur une réalité inconfortable pour eux. Nous devons faire prendre conscience que la réhabilitation du fascisme a pignon sur rue en Ukraine.
La barbarie nazie revient à grands pas.


André Fadda : Syndicaliste CGT, Militant de l’Association nationale des Communistes (ANC)

   

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