Génocides et mémoire

Certes, durant des siècles, le Rwanda comme bien d’autres pays africains avait vécu l’antagonisme pour la terre entre éleveurs Tutsi et agriculteurs Hutu. Mais les dominations coloniales successives, allemande puis belge, l’avait cultivé jusqu’à l’exaspération pour mieux dominer le pays, et les dirigeants pro-occidentaux d’après l’indépendance avaient érigé cette haine raciste en dogme politique.

Ce qui n’empêcha pas les dirigeants français de 1990, Mitterandiens et Droite confondus, de sponsoriser les futurs tueurs de Kigali, allant jusqu’à envoyer des techniciens hexagonaux les entraîner aux combats à venir. Une collusion qui ignorait sciemment les appels aux pogroms, avec pour seul objectif borné de faire pièce en Afrique de l’Est aux concurrents anglo-saxons.

Il en est du drame rwandais comme de tous les épisodes criminels qui jalonnent l’Histoire des peuples. Après les faits sanglants, et l’analyse, doit venir la mémoire, stigmatisant les assassins et leurs complices, pour que cela ne se reproduise pas. Il serait aberrant, et même criminel, de laisser oublier aux générations actuelles, l’extermination des Juifs par les Nazis et leurs complices européens, les massacres d’Africains du fait de l’esclavage et des conquêtes coloniales, celui des Arméniens massacrés par les Nationalistes Turcs il y a un siècle, et le génocide des Tutsis rwandais il y a 30 ans.

A condition de ne pas oublier certains crimes sanglants au profit d’autres, comme le font les ténors en France du racisme colonial, comme si notre peuple avait en la matière une conscience pure, si les meurtres de masse en Algérie d’il y a 65 ans n’encombraient pas notre mémoire. Faut-il rappeler qu’en cette année 2024, la ville française de Toul célèbre encore l’ignoble Bigeard, théoricien de la torture ?
Et que les appels au crime de Zemmour ont toujours « bonne presse » ?

L’hypocrisie en mantra politique

D’autres événements doivent nous inciter à plus de modestie, à ne pas nous poser en donneurs de leçons humanistes, car de l’Afrique en Palestine ces jours-ci, de la Yougoslavie il y a plus de 20 ans à l’Ukraine aujourd’hui, chaque peuple, quand il est infecté par le nationalisme et le racisme, peut verser dans l’ignominie génocidaire.

« Le ventre est encore fécond, d’où est sortie la bête immonde » (Brecht)

Participer à la commémoration de Kigali, et même reconnaître un évident aveuglement des autorités françaises de l’époque, Macron l’a fait, et nous ne saurions le lui reprocher, même si c’est avec trente ans de retard sur le témoignage de journalistes courageux comme Jean Châtain, correspondant de l’Humanité au Rwanda durant le crime.

Mais il faut resituer cette parole présidentielle dans son contexte géopolitique aujourd’hui.
Le régime actuel du Rwanda, né de la victoire militaire des troupes du FPR Tutsi et d’inspiration anglophone, a rétabli la paix civile et réprimé les tueurs qui n’avaient pas fui le pays vers la France ou la Belgique, et c’est tout à son honneur. Mais sous l’autorité de son chef charismatique Kagamé, il s’est durci en présidentialisme autoritaire, n’hésitant pas à éliminer physiquement d’éventuels opposants. Et cet État est en Afrique orientale un proche de la diplomatie occidentale, notamment Étatsunienne. C’est dans ce cadre que Macron et Séjourné sont allés à Kigali, comme à un autre Canossa.

Mieux, et nos médias taisent ces faits qui scandalisent bien des opinions africaines : ce rapprochement a débuté dans le cadre de l’Union Européenne, qui a signé le 16 février un accord économique avec Kigali, portant sur l’achat aux dirigeants rwandais de « métaux rares », comme le coltan, nécessaire aux portables et smartphones, devenus la drogue quotidienne en Europe occidentale. Simple arrangement commercial, dira-t-on. Les réactions scandalisées dans les capitales africaines, de Kinshasa à Johannesburg, nous disent une tout autre histoire.

Il faut savoir en effet que le Rwanda de Kagamé finance et arme les bandes armées délinquantes et ethnicistes comme le M23, qui ravagent depuis des décennies la partie Est vers Goma de son immense voisin la République Démocratique du Congo, tuant, violant à qui mieux mieux, et surtout exploitant à leur profit les ressources minières extraordinaires de la région, considérée comme un véritable « scandale géologique ». En irrespect total de la légalité internationale, ces produits miniers aboutissent au Rwanda, qui les vend à bon prix aux affairistes de l’UE et des États Unis, en spoliant de ce fait les citoyens de RDC, comme au « bon vieux temps des colonies », alors que son sous-sol ne recèle aucun minerai de ce genre !

D’Israël au Rwanda, une manipulation identique.

Ce scandaleux pillage de fait entériné par la « Communauté internationale » (c’est le nom donné par nos médiocrates à l’Impérialisme Occidental, Européen et US) a son équivalent au Moyen-Orient.
L’État d’Israël, transformé en grande puissance régionale, économique et militaire, par les USA et leurs alliés, occupe et pille la Palestine depuis 1947, et envisage aujourd’hui d’en chasser les Palestiniens qui y restent, par les bombes et la famine.
Depuis 70 ans, cet État d’Israël s’est permis à intervalles réguliers d’envahir, de bombarder, d’occuper, des portions des pays voisins (Liban, Syrie, Iran, et Palestine), d’y violer toutes les règles internationales en toute impunité grâce au soutien permanent des USA et de leurs alliés, et de leurs citoyens. Cet assentiment dans l’opinion occidentale pour les actes israéliens quels qu’ils soient, repose sur une manipulation historique à propos de la shoah :

« Les juifs victimes de la shoah ne peuvent être coupables, et l’état d’Israël qui les rassemble non plus. Tout refus de ce dogme est de l’antisémitisme ».

Manipulation d’autant plus aberrante que les victimes de l’extermination des Juifs il y a 80 ans sont à peu près toutes décédées, et que les auteurs de ce crime de masse et leurs complices étaient Européens et non Arabo-musulmans.

Il est révélateur de voir des décennies plus tard l’État prédateur rwandais utiliser à son service la même manipulation éhontée, auréolé qu’il est aux yeux du monde d’être issu des victimes du génocide de 1994. En vertu de quoi, les pouvoirs médiatiques occidentaux font silence sur sa responsabilité dans le pillage et les milliers de victimes à l’Est de la RDC, un des plus féroces conflits en Afrique depuis longtemps. Ce silence assourdissant de la soit-disant « Communauté Internationale » réduite à l’UE et aux USA couvrant le tout parce qu’ils en tirent profit, financier et géopolitique.

Notre stratège-Président Macron s’est inséré dans ce Grand Jeu des Hypocrites, comme il le fait à l’occasion dans ses rêves bellicistes ukrainiens. Il est vrai qu’il n’est pas le seul à surjouer les humanistes éplorés, de l’Ukraine au Congo, sur le dos des peuples spoliés, avec la complicité de pouvoirs locaux soumis à l’Impérialisme.
Récemment, le gouvernement de Londres a ainsi projeté de déporter vers le Rwanda (avec son accord) les migrants africains entrés sans autorisation sur le sol britannique. Et le Pouvoir de Washington, pour rétablir en Haïti un « Ordre pacifié » profitable à ses intérêts régionaux, n’a rien trouvé de mieux qu’y financer un contingent de mercenaires venus du Kenya (avec l’accord de ses dirigeants) ! !

Tel est « l’ordre du monde » actuel, où règne encore l’impérialisme, qui, entre deux discours « moraux » hypocrites, sait encore utiliser certains potentats corrompus du « Sud global » à son service.

08/04/2024